Guqin : la cithare qui faire vibrer l'âme chinoise

1655279172643 China News Chen Jing

Au premier rang des « Quatre arts » du lettré, le guqin, dans sa pureté originelle, demeure l'instrument de musique idéal pour décoder l'ADN culturel et philosophique de la Chine, souligne le chercheur Yu Hui dans un entretien accordé à China News.

Dans l'empire du Milieu, l'ami véritable est « celui qui connaît les sons », ou zhiyin en chinois. L'expression tire son origine d'une légende populaire, qui remonte à 2 000 ans, sur l'amitié entre Yu Boya, joueur de guqin et Zhong Ziqi, bûcheron et auditeur idéal et avoué du premier. Un jour, Yu Boya joua de son guqin à la vue du beau paysage. La belle mélodie séduit Zhong Ziqi qui a décrit, en écoutant de la musique, la haute montagne et de l'eau qui coule, auxquels fait intimement référence le musicien. Un coup de foudre amical, révélateur de la mentalité des lettrés chinois. Ainsi le Guqin, littéralement « cithare antique », occupe une place de premier ordre parmi les instruments solistes chinois tout en incarnant une certaine idée de la classe intellectuelle de la Chine ancienne. Car la cithare à sept cordes fait partie des « Quatre arts » du lettré, que l'on appelle en chinois qinqi shuhua - qin, la cithare, qi, le jeu de go, shu, la calligraphie, et hua, la peinture.

Si l'instrument traditionnel, vieux de 3 000 ans, demeure plutôt discret dans la Chine moderne, il retrouve peu à peu ses lettres de noblesse grâce à un nouvel engouement pour les arts traditionnels dans l’empire du Milieu. Comment une ancienne tradition affronte le monde moderne ? Dans quelle mesure le guqin incarne l’ADN musical et culturel de la Chine ? Entretien avec Yu Hui, éminent chercheur en musique et membre de l’Académie européenne des sciences et des arts. 

Xinhua

China News Service : Pourquoi le guqin est l’instrument musical traditionnel le plus chinois ?

Yu Hui : La musique traditionnelle a traversé des hauts et des bas durant la longue histoire de la civilisation chinoise. Si certains instruments musicaux de la Chine antique ont disparu au fur et à mesure, d’autres ont pourtant su s’adapter avant de trouver une nouvelle vie à notre époque, en témoigne notamment le parcours de deux instruments de musique à cordes que sont le pipa et le yangqin. Le guqin, instrument musical préféré des lettrés, fait exception dans le paysage de la musique traditionnelle chinoise. Si le guqin est considéré comme l’instrument musical le plus chinois, c’est qu’il conserve sa forme et sa structure originelle depuis la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220). La mélodie L'orchidée élégante, composée au XIe siècle, demeure la partition du guqin la plus ancienne parmi celles qui sont préservées jusqu'à aujourd'hui. Durant presque mille ans, elle est jouée et rejouée par des musiciens de génération en génération.

CNS : Dans quelle mesure le guqin incarne l’ADN culturel et philosophique de la Chine ?

Yu Hui : Les partitions du guqin sont rédigées en différents traits formant les caractères chinois. Donc il est impératif de lire le chinois avant de déchiffrer une partition. Ainsi l’instrument revêt une valeur symbolique et demeure le reflet des réflexions philosophiques, idées culturelles et visions sur le monde de l'intelligentsia de la Chine antique. Il n’est pas sans rappeler qu’il se trouve au premier rang des « Quatre arts » du lettré.

Si le taoïsme et le confucianisme, deux courants de pensées dominants en Chine, sont aussi différents que complémentaires, leurs disciples partagent pourtant un point commun : la passion pour le guqin. Selon certains dires, Confucius jouait de cet instrument musical qui l'accompagna toute sa vie. Ji Kang et Ruan Ji, deux poètes taoïstes qui font partie des Sept Sages de la Forêt de Bambous vivant au milieu du IIIe siècle, sont également réputés pour leur maîtrise du guqin.

Malgré son passé glorieux, le guqin a traversé sa crise existentielle au début du siècle dernier, sur fond du Mouvement de la nouvelle culture, lorsque la société chinoise a remis en cause traditions et coutumes en s'orientant vers une occidentalisation à tout-va. Comment prendre le relai pour préserver le prestige de l'instrument musical ? En 1936, une vingtaine de maîtres du guqin ont fondé à Suzhou et à Shanghai le groupe Jinyu, l'association du guqin la plus influente jusqu'à aujourd'hui, posant les jalons de l'intégration de cet instrument traditionnel dans un nouveau contexte de la société moderne.

Wikimedia Commons

Le guqin, dans sa pureté originelle, demeure l'instrument de musique idéal pour décoder l'ADN culturel et philosophique de la Chine. En témoigne le livre The Lore of the Chinese Lute An Essay in Ch'in Ideolog, écrit par Robert van Gulik, sinologue néerlandais reconnu mondialement. John Gage, compositeur avant-gardiste américain du XXe siècle s’est inspiré également du guqin et de la vision musicale prônée par le taoïsme pour créer son chef d'œuvre 4 minutes 33 secondes. Le guqin a été inscrit en 2003 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

CNS : Comment la musique traditionnelle de l'empire du Milieu pourrait séduire un public au-delà des frontières chinoises ?

Yu Hui : Je pense que les échanges culturels lancés par la société civile sont plus efficaces que ceux initiés par les gouvernements. Par exemple, j’ai un ami qui a fondé en 1997 le premier orchestre de musique chinoise composé uniquement de Japonais. Ils ont donné pas moins de 600 spectacles et jouissent d’une très bonne réputation à l’international. Quand je travaillais aux États-Unis, j’ai été souvent invité par les Universités ou les médias pour présenter la musique traditionnelle chinoise. J’avais toujours de très bon retours. En quête de l’identité culturelle, la société chinoise a intérêt d'investir davantage dans la recherche et la promotion des arts traditionnels tels que le guqin.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photo du haut : Xinhua

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