Les mythes : ADN des civilisations orientales et occidentales ?

1655818502506 China News MA Siqi, ZHAO Wengang

Sources de civilisation et de culture, porteurs de l'esprit national, les mythes occupent une place importante, irremplaçable dans toute culture nationale. Encore à ce jour, ils sont présents dans nos vies, soit par les coutumes, soit par une conscience latente. Bien que les récits mythologiques de l'Orient diffèrent de ceux de l'Occident, bien que les mythes de chaque groupe ethnique aient leurs propres personnalités distinctes, la mémoire civilisationnelle qu'ils créent est commune à tous les êtres humains.

Le contenu mythologique ne relève-t-il que de la fiction et de l'imaginaire ? Pourquoi y a-t-il tant de motifs similaires dans les mythes antiques de l'Orient et de l'Occident ? Zhou Ming, chercheur nommé à l'Institut de recherche sur la mythologie de l'Académie des sciences sociales du Sichuan, a récemment accepté une interview exclusive avec China News, expliquant comment les mythes reflètent l'évolution historique et culturelle de l'Orient et de l'Occident et comment ils véhiculent la mémoire civilisationnelle commune à toute l'humanité.

China News Service : À travers le prisme de cultures si différentes de la culture occidentale et orientale, pouvez-vous nous expliquer ce qu'est un mythe ?

Zhou Ming : Le mythe est une forme culturelle unique née pendant l'enfance de l'humanité. Pendant longtemps, en raison de leurs positions, points de vue, méthodes de recherche et perspectives différents, les milieux académiques chinois et étrangers ont donné des réponses hétérogènes à la question « qu'est-ce qu'un mythe ».

En Occident, selon Évhémère, mythographe de la Grèce antique, le mythe était de l'histoire déguisée. Pour Xénophane, disciple de l'école des métaphores mythologiques dans la Grèce antique, les mythes étaient les fables des Anciens. Pour Sigmund Freud, savant autrichien de l'école de la psychanalyse, « les mythes, il semble tout à fait probable qu'ils sont les reliquats déformés des fantasmes de désir de nations entières, les rêves séculaires de la jeune humanité1 ». Et ainsi de suite.

En Chine, il existe également diverses définitions et explications de ce qu'est un mythe. Dans un essai, M. Luxun écrit : « C'est aux temps reculés, parmi un peuple primitif considérant le monde avec ses étranges transformations et tous les phénomènes de la nature qui ne pouvaient procéder d'aucune forme humaine, que se constituèrent les rumeurs susceptibles de les expliquer. Tout ce qui a été de cette façon expliqué, nous l'appelons aujourd'hui “mythe” 2. »

Personnellement, je crois que le mythe est une sorte de conscience globale créée par les ancêtres primitifs, lors du processus de compréhension et de conquête de la nature. Il reflète et exprime les pensées, les concepts, les croyances et la vie sociale étendue des premiers êtres humains. Les mythes sont caractérisés par un degré élevé d'imaginaire et d'interprétation. Leurs formes d'expression sont basées sur des objets narratifs tels que les dieux, les démons et les héros surnaturels.

© Xinhua

CNS : Malgré les différentes formes de civilisation dans le monde, de nombreux mythes et histoires antiques présentent des similitudes frappantes : la création du ciel et de la terre, l'origine de l'humanité, le salut des héros, etc. Pouvez-vous nous parler de ce phénomène ?

Zhou Ming : Dans les systèmes culturels anciens ayant eu le plus d'impact sur le développement de la culture mondiale, il existe des types de mythes relativement similaires, appelés académiquement motifs mythologiques.

À l'origine, l'apparition d'un même motif mythologique est fortement liée à l'évolution similaire du développement des sociétés. Les populations de différentes régions ont des fondements et des conditions économiques, sociales, psychologiques, des bases et des caractéristiques linguistiques, des créateurs et héritiers (comme les sorciers par exemple) très proches, entraînant ainsi l'apparition des mêmes motifs mythologiques dans des cultures de différentes régions du monde.

Par exemple, dans la mythologie grecque, au début de l'univers, était le chaos. Chaos, le dieu du chaos, a créé le monde et a donné naissance à cinq enfants. L'univers a ensuite été divisé en Ciel, Terre, Enfers, Ténèbres et Jour. On retrouve la même histoire en Chine dans la légende de Pangu séparant le Ciel et la Terre.

Prométhée est le créateur de l'homme, qu'il a fabriqué à partir d'argile. Athéna a donné l'âme à l'homme et plus tard Zeus a créé la femme. On retrouve cette même « intrigue » dans la création des êtres humains par notre Nuwa.

Nuwa, déesse créatrice de la mythologie chinoise, qui a façonné les premiers hommes avec de la glaise © wikimedia commons

Prométhée a discrètement volé le feu du soleil, l'a donné aux humains et a été enchaîné par Zeus dans les montagnes du Caucase. Dans la mythologie chinoise, il existe un dieu du feu nommé Ebo qui, selon la légende, a volé le feu du ciel et l'a donné aux êtres humains. Il a finalement été banni dans le monde des mortels.

Les mêmes motifs mythologiques ont occupé une place très importante dans ces différents systèmes culturels et ont imprégné les générations futures.

CNS : La comparaison du Shanhaijing ou Classique des montagnes et des mers, source des mythes chinois anciens, à la mythologie occidentale peut-elle résumer les différences qui caractérisent les mythologies chinoise et occidentale ?

Zhou Ming : Tout d'abord, si on étudie la mythologie occidentale dans son ensemble, on se rend compte de sa spécificité première : elle a subi de nombreuses révisions, suppléments et améliorations au cours du processus de diffusion, formant un style narratif relativement complet qui implique de nombreux personnages et histoires et a de fortes connexions logiques. Au contraire, en Chine, les mythes compilés dans les classiques des Qin et des Han tels que le Shanhaijing sont restés fondamentalement inchangés après leur finalisation. Leurs contenus sont simples et fragmentés, sans lien logique fort.

Deuxièmement, les dieux décrits et représentés dans la mythologie occidentale ont tendance à être très « humanisés » - c'est-à-dire que le monde des dieux et la vie des hommes font partie d'un même ensemble. Les dieux sont comme les humains, ils connaissent joie, colère, chagrin, bonheur, et jouissent de nourritures et de boissons. Au contraire, dans les mythes chinois anciens compilés dans les documents antérieurs à la dynastie Qin et jusqu'à la dynastie Han, les représentations des divinités sont « moitié animales et moitié humaines ». Par exemple, Pangu, séparateur du Ciel et de la Terre, est représenté par « une tête de dragon et un corps de serpent », Nuwa, créatrice de l'homme, est dotée « d'un corps de serpent et d'une tête humaine », Jumang, dieu du bois, a « un corps d'oiseau et un visage humain », etc.

Troisièmement, de la différence fondamentale entre « humanisation » et « déification », on déduit que la mythologie occidentale est plus « réaliste », tandis que la mythologie chinoise est plus encline à « narrer la fiction ». En comparaison, la mythologie occidentale est plus proche de la réalité, de la vie réelle, tandis que l'aspect « surnaturel » prime dans la mythologie chinoise ancienne, plus éloignée de la vie réelle.

Enfin, sur le plan narratif, la mythologie occidentale est plus délicate et complète. Les relations entre les dieux, les relations entre les dieux et les hommes sont plus étroites. Comparée à la mythologie occidentale, la méthode narrative de la mythologie chinoise ancienne est plus simple. C'est aussi l'une des plus grandes différences entre la mythologie chinoise ancienne et la mythologie occidentale.

© Xinhua

CNS : Quelle influence profonde la mythologie chinoise a-t-elle sur la formation de l'esprit national chinois ?

Zhou Ming : Les mythes qui ont pris naissance dans les temps anciens sont la racine et la source de notre culture nationale. L'influence des anciens mythes chinois sur la formation de l'esprit national chinois se reflète principalement dans les points suivants.

Le premier est l'esprit d'exploration, la pensée positive et le courage pour rechercher ses racines. Divers types de mythes originels dans la Chine ancienne montrent des personnages emplis de curiosité pour le monde qui les entoure et la vie humaine. Ils n'arrêtent pas de demander « pourquoi » tout en donnant des explications correspondant à leur propre compréhension, offrant une vision du monde primitive. Le second est un esprit positif faisant face aux défis naturels. Le troisième est la persévérance et la ténacité.

CNS :  Comment comprendre le lien entre le mythe et le monde réel ?

Zhou Ming : En Chine, pendant longtemps, l'étude de la mythologie s'est principalement limitée à la littérature, en particulier au domaine de la littérature populaire. Depuis les années 1980, avec l'introduction d'un grand nombre de théories de recherches sur la mythologie venues de l'étranger, de nombreux chercheurs ont dépassé la recherche littéraire pure et se sont tournés vers la recherche mythologique pluridisciplinaire, multidimensionnelle et à perspectives multiples, allant de l'anthropologie, l'ethnologie, le folklore, la religion, la philosophie, la linguistique, l'histoire et autres disciplines pour étudier le mythe, cette ancienne forme culturelle répandue dans le monde entier, en essayant de clarifier divers problèmes entre mythe et réalité.

Ces dernières années, avec le développement de l'archéologie dans le monde et la fouille de nombreux sites antiques, un grand nombre de reliques culturelles ont été mises au jour. Il est très étonnant de voir qu'il existe un lien aussi évident entre le mythe et la réalité. Les formes, ornements, motifs, symboles des artefacts découverts dans le monde, au même stade du développement culturel humain, sont empreints de concepts mythologiques très similaires et ont un degré élevé de cohérence et de points communs. Ce type de similitude révèle la mémoire commune aux êtres humains, issue du processus de leur développement culturel.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.


Notes :

1. Sigmund Freud, La création littéraire et le rêve éveillé, traduit de l'allemand par Marie Bonaparte et Madame E. Marty, L’article est publié dans l’ouvrage intitulé : Essais de psychanalyse appliquée. Paris : Éditions Gallimard, 1933. Réimpression, 1971. Collection Idées, nrf, n° 263, 254 pages (pp. 69 à 81)

2. Luxun, Brève histoire du roman chinois, Luxun, traduit du chinois par Charles Bisotto, Connaissances de l'Orient, Gallimard, p. 27


Photo du haut : Création de l'homme par Prométhée (Athéna se tient à gauche), bas-relief en marbre, Italie, IIIe siècle, musée du Louvre © wikimedia commons

Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.