La littérature contemporaine, un pont entre les civilisations chinoise et japonaise ?

1656323263173 China News Service Zhang Hengjun

La littérature contemporaine, qui décortique les milles et un visages de la société, permet, malgré elle, de déconstruire les malentendus sino-japonais, conséquence du passé douloureux, observe Zhang Hengjun, dans sa chronique à China News.

La littérature, l’une des expressions les plus vives de nos sentiments, propose également un lieu idéal d’échanges, où les écrivains, les lecteurs ainsi que tous les autres acteurs de la société se nouent les uns aux autres par l’amour des mots. Les belles lettres, dont le charme dépasse bien souvent les frontières, servent de pont entre différents pays et peuples. En témoigne notamment la complicité culturelle entre la Chine et le Japon, marquée profondément par les échanges très poussés dans le domaine de la littérature contemporaine. 

Si les écrivains chinois tels que Mo Yan, Tie Ning, Yu Hua ou encore Can Xuan ont connu durant la dernière décennie un grand succès dans le pays du Soleil-Levant, l’écrivain japonais Haruki Murakami, auteur de La Ballade de l'impossible (le roman japonais le plus lu en Chine), a tellement marqué la jeunesse urbaine chinoise, qu'il est devenu une véritable figure fétichiste pour les bobos dans l'empire du Milieu. Romans de jeunesse, bandes dessinées, thrillers policiers ou encore histoires romantiques... la littérature contemporaine, qui décortique les milles et un visages de la société, a permis, malgré elle, de déconstruire les malentendus sino-japonais durant les quarante dernières années.

Les romans japonais en Chine : succès critique et commercial

Depuis la fondation de la République populaire de Chine, les romans contemporains japonais ont été massivement introduits en Chine. Les œuvres de Yasunari Kawabata et Kenzaburō Ōe, tous deux lauréats du prix Nobel de littérature, ont notamment conquis le cœur des lecteurs chinois, qui ont pu mieux redécouvrir leur pays voisin à travers les écrits de ces deux géants littéraires. Face au succès des classiques japonais dans l'empire du Milieu, la littérature de grand public n’est pas en reste. Les romans de jeunesse (Koizora, Hitori Biyori), les livres jeunesse (The Life of Quill, the Seeing-Eye Dog, Little mouse), les bandes dessinées (Astro, le petit robot, Le Tour du monde de Lydie) ainsi que les thrillers policiers écrits par Seiichi Morimura et Seichō Matsumoto jouissent également d’une solide réputation auprès du public chinois.    

D'ailleurs, la Chine n'a cessé de renforcer, depuis le début du 21e siècle, son réseau de traducteurs de littérature japonaise. De nombreuses maisons d'édition ont même lancé des collections spécialisées en littérature japonaise issues de lauréats du prix Akutagawa ou encore de jeunes auteurs montants, qui ont remporté un grand succès, aussi bien critique que commercial, sur le marché chinois. Par contre, la littérature contemporaine chinoise ne semble pas avoir suscité autant de passions au Japon, même si les écrivains contemporains comme A Cheng, Wang Anyi, Mo Yan ou Yan Lianke ne manquent pas de lecteurs nippons fidèles. 

Force tranquille pour déconstruire les malentendus sino-japonais

Complexe et subtile, l’écriture sert de clé pour lever les mystères de la destinée humaine et de la vie, en documentant les tourbillons et les éclats de l’époque où nous vivons. Ainsi les échanges sino-japonais dans le domaine de la littérature contemporaine ont sans doute servi à reconstruire une perception positive des deux pays. 

Totto‑chan, la petite fille à la fenêtre, livre écrit par Tetsuko Kuroyanagi, a été vendu à plus de 1,1 millions d’exemplaires en Chine. L'œuvre dresse le portrait des deux personnages forts : une héroïne aussi simple qu’adorable et le directeur d’école à l’esprit ouvert et sympathique, permettant de briser les préjugés et les stéréotypes les plus courants sur les Japonais en Chine. Certains écrivains japonais ont même réussi à s’intégrer dans le paysage culturel chinois, tels que Haruki Murakami, qui est devenu un véritable phénomène de société dans l’empire du Milieu, car lire cet écrivain japonais fait désormais partie du mode de vie pour la classe moyenne chinoise. La culture chinoise, très marquée par la poésie et la philosophie taoiste, demeure également une source d’inspiration pour les écrivains japonais de notre époque, ce qui a sans doute aidé à créer plus de proximité avec les lecteurs chinois. 

La littérature contemporaine, antidote au repli culturel

À l’occasion du 50e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et le Japon, comment les échanges littéraires pourraient-ils servir de pont entre les deux pays ? Une question complexe, car il existe trois obstacles à relever. Le premier obstacle relève de la barrière de la langue, car la quantité et la qualité des traductions des œuvres, aussi bien chinoises que japonaises, ne sont pas à la hauteur. Deuxièmement, le manque de confiance politique entre les deux pays, porteurs du lourd fardeau des guerres du siècle dernier. Pour y parvenir, si les autorités japonaises doivent porter un regard critique sur leur passé colonial, la Chine a également besoin de se débarrasser de son complexe de supériorité culturelle. Troisièmement, il faut trouver des points communs, tant esthétiques que culturels, afin de poser les jalons nécessaires pour favoriser des dialogues et une compréhension mutuelle entre les deux pays.

La littérature contemporaine est également perçue comme une arme du soft power et il est tentant pour le Japon comme la Chine de s'inspirer l’un de l’autre pour faire rayonner leur culture sur la scène internationale. Si le Japon mise souvent sur la culture des élites pour promouvoir la littérature avec un grand L, l’accueil des chefs-d'œuvres classiques manque quelquefois d’enthousiasme, en témoigne la part de marché, à seulement 1,8 % de la littérature japonaise sur le marché mondial. Il en va de même pour la Chine, dans sa stratégie, jugée trop élitiste, concernant la diffusion des livres chinois au-delà de ses frontières. Pourtant, grâce à la révolution numérique, ont émergé de nouveaux types de littératures, tels que le Light Novel japonais ou les web-romans chinois, qui ont conquis des milliers de lecteurs occidentaux. Si les romans populaires, peu considérés par les critiques littéraires, sont souvent relégués au second plan, ils se distinguent pourtant par leur diversité, leur imagination ainsi que par les valeurs universelles prônées par les auteurs, et réussissent à combler le fossé culturel entre les pays. 

Zhang Hengjun, directeur du département de journalisme et de communication de l’Université des langues étrangères de Dalian, est spécialisé en promotion internationale de la culture chinoise. 

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo : Unsplash

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