Médecine traditionnelle chinoise au Canada : « il faut surmonter les barrière culturelles »

1657875887836 China News Service Yu Ruidong

Cela fait plus de 150 ans que la médecine traditionnelle chinoise a fait son entrée au Canada. Elle avait été introduite sur place par la communauté des expatriés chinois. Au fil du temps, la médecine traditionnelle chinoise s’est enracinée sur les terres nord-américaines, grâce aux efforts combinés des générations de praticiens et de la communauté des Chinois du Canada. Elle est aujourd’hui de plus en plus reconnue dans la société canadienne et trouve progressivement sa place dans le paysage multiculturel du pays. 

Le développement et la reconnaissance de cette profession n’ont cependant pas été si évidentes et de nombreux défis subsistent. Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette question, le média China News est allé à la rencontre de Jia Baoheng, qui vit à Vancouver et qui exerce le métier d’historien et de chercheur sur l’histoire des immigrants chinois au Canada. 

Comment la médecine traditionnelle chinoise s’est-elle développée au Canada ? 

La médecine traditionnelle chinoise a été introduite au Canada avec les premières migrations de travail. À l’époque, beaucoup de Chinois venaient dans ce pays pour participer à l’exploitation des mines d’or ainsi qu’à la construction du premier chemin de fer transcontinental (construit aux États-Unis entre Sacramento à l’ouest et Omaha à l’est, de 1863 à 1869). Selon une enquête menée par la Commission royale d'enquête du Canada, en 1885, on comptait déjà plus de 40 médecins chinois dans la seule province de la Colombie-Britannique. D’après l’annuaire de 1885 pour la ville de Victoria, située en Colombie-Britannique, les quatre entreprises gérées par des Chinois dans le centre-ville étaient des établissements spécialisés dans les herbes médicinales. Enfin, en 1884, l’association des Chinois de l’étranger à Victoria avait été créée, et avec elle, un dispensaire spécialement conçu pour accueillir les Chinois âgés ou malades. Ce lieu, que l’on appelait la « maison de la paix », est plus tard devenu un établissement de soins en médecine traditionnelle chinoise. 

La présence de la médecine traditionnelle chinoise au Canada s’est ensuite renforcée avec l’essor du quartier chinois de Vancouver. À ce moment-là, la communauté chinoise a créé un hôpital, tandis que de nombreux écrits sur le sujet ont commencé à être publiés. C’est ainsi que Lee Mong Kow (1861-1924), un éminent représentant de la communauté chinoise à Victoria, également interprète et directeur d’école, a rédigé un livre sur les remèdes chinois à base de plantes médicinales. Plus tard, on parlait aussi de médecine traditionnelle chinoise dans le Chinese Times (en chinois dahan gongbao 大汉公报). Ce journal, créé en 1906, le premier en langue chinoise au Canada, faisait de la publicité pour les établissements chinois qui vendaient des produits de la médecine traditionnelle chinoise et diffusait les noms des praticiens de la profession. 

En dépit de cette ancienne implantation, la pratique de la médecine traditionnelle chinoise n’est toujours pas, même encore aujourd’hui, officiellement réglementée au Canada. De nombreux praticiens exercent encore à titre privé et il a fallu que la communauté chinoise du Canada se batte pour obtenir de la reconnaissance. Les groupes de praticiens en Colombie-Britannique et en Ontario ont tout fait pour être entendus par les autorités et par la société canadienne. Encore aujourd’hui, puisqu’il est un État fédéral, le Canada n’a pas encore mis en place de système de réglementation nationale encadrant la pratique de la médecine traditionnelle chinoise ou de l’acupuncture. 

Certes, il y a eu tout de même des avancées : cinq régions canadiennes ont mis en place une législation pour l’acupuncture. Dans l’ordre chronologique, il s’agit de de l'Alberta, du Québec, de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Par ailleurs, la Colombie-Britannique et l’Ontario sont aujourd’hui les deux seules régions à avoir adopté une législation globale sur la médecine traditionnelle chinoise, tandis que la Colombie-Britannique est la seule à accorder le statut de médecin aux praticiens de cette profession. En dehors de ces cinq provinces, il n’y a encore que des associations locales de médecine traditionnelle chinoise qui exercent officiellement sur le territoire canadien. 

Pourquoi la promotion de la législation sur la médecine traditionnelle chinoise au Canada est-elle si importante ? Quelles sont les obstacles aux progrès de cette réglementation ?

Au début, lorsque les autorités du Canada n’avaient pas légiféré sur les pratiques de la médecine traditionnelle chinoise, ces dernières n’étaient pas encore légalement reconnues et protégées. Les qualifications des praticiens de la médecine chinoise n'étaient pas non plus reconnues. Si l’on veut pouvoir gagner la confiance du grand public, mais aussi du gouvernement, des compagnies d'assurance et des patients, il est important que cette législation progresse. L'une des difficultés rencontrées aujourd’hui pour le progrès de cette législation est en fait liée à un manque d'unité au sein de la profession, à des opinions divergentes, voire même à l'existence de « conflits de chapelle ». Ce genre de désaccord contribue au fait que, dans certaines provinces, la législation sur la médecine chinoise traditionnelle tarde encore à aboutir. 

D’autre part, il faut aussi savoir que certains praticiens craignent que la médecine traditionnelle chinoise et l’acupuncture ne soient finalement totalement intégrées au sein du système réglementaire de la médecine occidentale. Ils s’inquiètent car pour eux, cela signifierait que la médecine traditionnelle chinoise perde son authenticité. D’autres en revanche, et ils sont nombreux, pensent justement que cette intégration, si elle se fait en conformité avec les lois et règlements du Canada, permettrait de mieux faciliter la reconnaissance de la médecine traditionnelle chinoise par la communauté locale. 

Le problème est aussi culturel et linguistique. C’est pour cette raison que la mise en place de réglementations dans certaines provinces a été utile : plusieurs praticiens qui ont été formés dans leur famille ou par leurs paires, et qui n’ont pas de solides formations en anglais ou en français, ont tout de même pu exercer de manière officielle. À l’avenir, il est probable que le gouvernement canadien révise à la hausse ses exigences en matière de compétences linguistiques, et exige l’utilisation de l’anglais et du français comme langue officielle dans la médecine traditionnelle chinoise. Le chemin est encore long à parcourir : il n’y a pour l’instant pas de traductions officielles des termes de la médecine traditionnelle chinoise au Canada. 

Enfin, il faut surmonter les barrières culturelles. Les résultats dans la médecine traditionnelle chinoise ne sont parfois pas immédiats. Les Occidentaux sont parfois peu familiers avec les produits et les herbes médicinales chinoises. Par exemple, à la fin des années 1980, le gouvernement canadien a interdit la vente de l'angélique de Chine (Angelica sinensis), une herbe chinoise, qu'il jugeait toxique. Ce n’est finalement qu’au terme de longues explications de la part des Chinois d’outre-mer au Canada que cette question a été résolue. À mes yeux, cette question de la barrière culturelle est très importante. 

L’industrie de la médecine traditionnelle chinoise peut-elle être adaptée au contexte particulier du Canada ? Quels sont finalement les défis qu’elle doit relever pour réussir son implantation ?

Le défi le plus urgent est la question de la diffusion des savoirs. Il faudrait que la médecine traditionnelle chinoise soit introduite dans l’enseignement supérieur au Canada, que des disciplines et des formations diplômantes soient établies. Ce serait là un excellent moyen de favoriser la reconnaissance de la médecine traditionnelle chinoise au sein de la société canadienne. 

Le deuxième défi concerne le domaine de la recherche scientifique. De nombreux herboristes s’inquiètent par exemple du manque de publications d’articles scientifiques, qui pourrait pourtant informer le public canadien sur l’efficacité thérapeutique des méthodes de la médecine traditionnelle chinoise. Cette absence de recherche pose problème, notamment pour la reconnaissance par les compagnies d’assurance. Comme je l’ai déjà mentionné, il n’y a que la province de la Colombie-Britannique qui reconnaît actuellement le titre de praticien de la médecine chinoise traditionnelle. Il faut donc que les efforts soient poursuivis dans les autres régions. La communauté des Chinois du Canada déploie de nombreux efforts pour cela dans la société civile, en organisant des évènements académiques, des activités de formation et de conseil auprès des instances gouvernementales, etc. Il s’agit enfin de renforcer les échanges universitaires : il faut faire venir d’autres talents de la médecine traditionnelle chinoise en provenance de l’Asie, qui pourraient aussi inspirer à la formation de professionnels d’origine canadienne. 

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photo : Xinhua


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