
Comment le corridor du Hexi a-t-il enterré la hache de guerre grâce à des pourparlers il y a plus de 700 ans ?
En 1247, à Liangzhou (l’actuelle Wuwei, dans la province chinoise du Gansu), une discussion majeure a durablement marqué l’histoire du développement de la nation chinoise. La guerre a laissé place à la paix, « l’isolement des Qiang et des Hu » a pris fin au profit des échanges et de l’harmonie entre les différents groupes ethniques et le corridor du Hexi, qui n’était alors qu’un passage sur la route de la soie, est devenu une voie de communication permettant aux civilisations occidentale et orientale d’apprendre l’une de l’autre.
Comment les « Pourparlers de Liangzhou » nous aident-ils à saisir la tendance du développement historique ? Que nous apprennent-ils sur l’engagement et la sagesse dont ont fait preuve les chefs des différents groupes ethniques du territoire chinois ?
Unifier la Chine ou quand les Mongols ouvrirent les hostilités
Après l’unification de Qin et des Han, la grande unification du pays est devenue un concept idéologique largement partagé dans la société chinoise. Il s’agit également d’une pratique politique que tous les groupes ethniques de Chine poursuivent et s’efforcent de réaliser. Après une période de division et de fragmentation s’ensuit invariablement une dynastie unifiée de plus grande envergure et tissée de relations internes plus étroites.
En 1206, Gengis Khan (1162-1227) réunit les tribus mongoles et déclencha les hostilités pour mettre fin aux divisions, étendre son territoire et unifier la Chine. En 1218, il anéantit la dynastie des Liao occidentaux des Khitans. En 1227, il élimina la dynastie des Xia occidentaux des Tangoutes. En 1234, il mit fin à la dynastie Jin des Jurchens... En 1260, Kubilai Khan, fondateur de la dynastie Yuan, devint empereur, ouvrit l’ère Zhongtong et choisit Kaiping pour capitale (Shangdu). En 1271, il baptisa officiellement sa dynastie « Da Yuan» (Grand Yuan), en référence à la maxime du Livre des mutations « Grande est la primauté du ciel » (da zai qian yuan). L’année suivante, il établit sa capitale à Dadu (l’actuelle Pékin). En 1279, il détruisit la dynastie des Song du Sud (1127-1279). Il mit ainsi fin à la coexistence de plusieurs dynasties et au chaos qui régnaient en Chine depuis la fin de la dynastie Tang, ouvrit le commerce entre la Chine et l’étranger, mit en place le système des provinces et réalisa la grande unification du territoire chinois qui dépassait celle des générations précédentes dans l’histoire chinoise.
L’événement majeur et sans précédent qui marqua ce processus fut l’intégration du pouvoir local du Tibet dans l’administration centralisée, grâce aux fameux Pourparlers de Liangzhou.
Rassembler un consensus ou quand Sakya Pandita se rendit à Liangzhou
Voilà près de 400 ans que la région du Tibet était divisée, depuis la chute de l’empire du Tibet.
En 1229, Ögedei (1186-1241) devint Khan et divisa certaines parties des anciennes régions des Xia occidentaux et de Ganqing en fiefs pour son second fils, Godan (1206-1251). En 1239, ce dernier prit personnellement le commandement de Liangzhou et ordonna au général Doorda Darkhan d’entrer dans la région de l’Ü-Tsang (le Tibet central) avec dix mille hommes. Les troupes allèrent jusqu’au monastère de Réting, dans le nord du Tibet, et tuèrent des centaines de moines dans des affrontements armés, ce qui choqua la région.
Doorda Darkhan et ses troupes prirent connaissance de la situation politique et religieuse de la région tibétaine : « Les communautés ou sanghas vénèrent la secte de Gelugpa. La sagesse du roi du Dharma Dalung prévaut. Drigung Kyobpa est respecté pour son honneur et sa vertu. La connaissance du Dharma est l’essence du Sakya Pandita. » Après une planification minutieuse, Godan décida d’envoyer un « messager en or » pour inviter le chef de la secte Sakyapa, Sakya Pandita Kunga Gyeltsen (Sakya Pandita ou Sapan, 1182-1251), à Liangzhou pour s’entretenir du grand plan de soumission du Tibet, l’objectif étant de parvenir à la domination du Tibet par des moyens pacifiques et politiques.
Sakya Pandita fut le premier de l’histoire tibétaine à recevoir le titre de « pandita » (savant doté de grandes connaissances) et l’auteur d’ouvrages tels que Des principes justes tibétains et Les Aphorismes de Sakya. En 1244, à la demande de Godan et faisant fi du danger du périple et de son âge avancé, Sakya Pandita se rendit à Liangzhou, accompagné de ses deux jeunes neveux, Drogön Chögyal Phagpa (1235-1280) et Chhana Dorjé (1239-1267), pour le bien-être de la population tibétaine et la promotion du bouddhisme. La route était éreintante et ponctuée de montagnes. Il en profita pour rencontrer les chefs politiques et religieux de diverses écoles locales. Ils parlèrent du bouddhisme et échangèrent leurs points de vue concernant les pourparlers à venir, afin de former un consensus. En 1246, après trois ans d’un long voyage, Sakya Pandita et ses neveux arrivèrent enfin à Liangzhou et séjournèrent au monastère de la Métamorphose (Huanhua si).
Des pourparlers satisfaisants, compilés dans « Les Lettres de Sakya Pandita aux Tibétains »
Après des discussions approfondies, Sakya Pandita et Godan convinrent que le Tibet passerait officiellement sous le contrôle administratif du gouvernement central de la dynastie Yuan, ce qui entraînerait une unification politique.
Liangzhou était une passe stratégique dans le corridor du Hexi et occupait une position clé sur la route de la soie de la Chine ancienne. Elle était « le nœud de communications de toute la Chine et le bastion du pays » et avait aussi la réputation d’être « la capitale des Cinq dynasties et le chef-lieu du Hexi ». Elle avait toujours été un lieu de convergence pour de nombreux groupes ethniques et de cultures, un lieu de rassemblement pour les marchands chinois et étrangers et un lieu de réunion de personnages venus du monde entier. Godan prit personnellement le commandement de Liangzhou, dont la situation géographique était très importante pour contrôler les communications et liaisons entre l’est et l’ouest, le nord et le sud. Au cours du premier mois de 1247, Godan assista au qurultay ou réunion des armées durant laquelle Güyük Qayan (1206-1248) devint grand Khan, puis retourna à Liangzhou, depuis Karakoroum (l’actuelle Oulan-Bator, en Mongolie). Il s’entretint immédiatement avec Sakya Pandita. Leur discussion allait avoir une influence historique à grande échelle et passa à la postérité sous le nom de Pourparlers de Liangzhou.
Les discussions se déroulèrent en étroite interaction. Sakya Pandita expliqua à Godan l’essence du bouddhisme et le guérit d’une maladie qui le tourmentait depuis de nombreuses années. À la demande de Godan, il inventa l’alphabet mongol composé de 44 lettres, à l’origine de l’écriture phagpa.
Les grandes lignes des Pourparlers de Liangzhou furent compilées dans « Les Lettres de Sakya Pandita aux Tibétains ». Godan et Sakya Pandita convinrent que si le Tibet relevait du contrôle administratif de l’Empire mongol, les fonctionnaires tibétains devaient continuer d’occuper leur poste initial. Ils firent l’inventaire, recopié en trois exemplaires, du nom de chacun des fonctionnaires, du nombre d’habitants et du montant du tribut. Godan repartit avec un exemplaire, un autre revenait au darugachi ou gouverneur Sakya (celui qui est au pouvoir) et le dernier serait conservé par les myriarques tibétains. Dans le même temps, ils dressèrent une carte sur laquelle figuraient ceux qui se ralliaient et ceux qui ne se soumettaient pas, afin qu’ils soient traités différemment. Enfin, les chefs de toutes les localités tibétaines allaient devoir négocier avec le messager en or Sakya et payer des tributs locaux.
À la fin des pourparlers, Sakya Pandita et ses neveux restèrent à Liangzhou. Sakya Pandita continua à diffuser les enseignements de l’école Sakyapa à Godan, aux membres de la famille impériale et aux fidèles de Liangzhou et à s’entretenir avec les chefs d’autres religions. On raconte que grâce au soutien solide de Godan, Sakya Pandita planifia méticuleusement la rénovation et l’agrandissement de quatre monastères bouddhiques des environs de Liangzhou, à savoir le monastère de la Métamorphose à l’est (Huanhua si, l’actuel monastère de la Pagode blanche), le monastère du Lotus (Lianhua si) à l’ouest, le monastère de la Pagode dorée (Jin ta si) au sud et le monastère Haizang au nord. Drogön Chögyal Phagpa étudia le bouddhisme auprès de son oncle et hérita de la robe et du bol du chef religieux de l’école sakyapa. Plus tard, il assuma une grande responsabilité et devint tuteur impérial. Chhana Dorjé revêtit les habits mongols, apprit la langue mongole et fut formé à la gestion administrative. Il épousa la princesse Mokhdun, fille de Godan, devint gendre impérial et fut nommé roi de Bailan. Sakya Pandita mourut en 1251 et fut inhumé dans le monastère de la Métamorphose, à Liangzhou.
Promouvoir l’intégration et insuffler de la vitalité à la nation chinoise
Grâce à des négociations pacifiques, les Pourparlers de Liangzhou mirent fin à la division et aux guerres entre les autorités politiques et religieuses au Tibet. Ils placèrent le Tibet sous le contrôle administratif du gouvernement central, permirent la réunification du plateau du Qinghai et du Tibet et rendirent possible la grande unification nationale. Cette initiative majeure dans l’histoire chinoise permit à la dynastie Yuan d’établir un système de gouvernance au Tibet, de nommer et révoquer des hauts fonctionnaires, de faire un recensement détaillé des populations, de percevoir des taxes, de stationner des troupes et de mettre des lois en application. Elle jeta les bases solides de la carte de la Chine et permit au gouvernement central de mettre en place une administration souveraine continue au Tibet pendant plus de 700 ans.
Zhang Yun est chercheur au Centre de recherche en tibétologie de l’Institut d’histoire de Chine.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photo : Pixabay
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