
Que peut apporter le bouddhisme chinois à l’Occident ?
Historiquement, le bouddhisme a été introduit en Chine depuis l'Inde, puis s'est répandu au Japon, en Corée du Sud, au Vietnam, en Mongolie et dans d'autres pays. De nos jours, le bouddhisme chinois est en train de se réexporter dans le monde.
Dans une interview exclusive avec China News, Maître Guangquan, secrétaire général adjoint de l'Association bouddhiste de Chine et abbé du temple de Lingyin à Hangzhou, estime que l'internationalisation du bouddhisme chinois comporte deux aspects. Il s’agit de faire connaître, d’une part, le concept de compassion, de tolérance et de gratitude, et d’autre part la culture bouddhiste à travers la musique, la cérémonie du thé et le jeu de go.
Comment, après s’être introduit en Chine, le bouddhisme s’est-il adapté dans le pays ?
Après son introduction en Chine à la fin de la dynastie des Han occidentaux (202 av. J.-C. à 8 apr. J.-C), le bouddhisme, qui est né en Inde, a vu sa langue de diffusion passer du sanskrit au chinois. Sous les dynasties des Sui et des Tang, plusieurs écoles du bouddhisme se sont formées : Tiantai, Huayan, Zen, etc. Au fil du temps, l’école Zen a fini par s’imposer. La principale explication est que celle-ci a su s’adapter à la culture chinoise en incorporant certaines pensées importantes du confucianisme et du taoïsme.
Par exemple, selon l’école Zen, la nature de bouddha est présente en chacun, et lorsque cette nature se réveille, on devient bouddha. L’école Zen préconise aussi de se débarrasser du raisonnement encombrant, elle prône la perspicacité intuitive, l’absence de pensée et l'esprit ordinaire. Tout ceci est similaire à la philosophie de vie traditionnelle chinoise. Force est de constater que certains concepts du bouddhisme sont hautement compatibles avec les gènes culturels des Chinois.
Quelle est l'influence du bouddhisme chinois à l'étranger ? Quel rôle les monastères de Hangzhou ont-ils joué dans l'échange du bouddhisme en Asie de l'Est ?
Dans l’histoire de la Chine, Hangzhou est la « capitale bouddhiste du sud-est ». De nombreux moines du Japon et de Corée du Sud se sont rendus à Hangzhou pour apprendre le bouddhisme. Par exemple, sous la dynastie des Song du Nord, Maître Yitian de Goryeo (aujourd’hui la Corée du Sud) est allé à Hangzhou pour étudier le bouddhisme sous la direction de Maître Jingyuan du temple Huiyin à Hangzhou. Il est ensuite allé à Tiantai pour étudier le bouddhisme de l’école Tiantai. De retour à Goryeo, il a fondé l'école Tiantai du royaume de Goryeo, dont l’influence se poursuit jusqu’à nos jours.
Mais les moines japonais étaient bien plus nombreux à étudier le bouddhisme à Hangzhou, et les échanges bilatéraux en la matière étaient bien plus fréquents. Sous la dynastie des Song du Sud, le célèbre moine japonais Jue A se rendit en Chine en bateau avec son disciple Jin Qing pour étudier le bouddhisme (de l’école Zen) sous la direction de maître Hai Huiyuan. Après avoir fréquenté l'école du temple de Lingyin, Jue A retourna au Japon pour répandre la pensée zen. C'est le premier moine japonais à avoir introduit le bouddhisme de l’école Zen au Japon.
Dans L’Histoire des échanges culturels entre le Japon et la Chine, il est rapporté que pour étudier le bouddhisme, d’autres moines japonais – dont notamment Yuan Erbanyuan et Wuguan Pumen – sont allés au temple de Lingyin, tandis que Tianyou Sishun et Nanpu Shaoming ont choisi de se rendre au temple Jingci. Deux d’entre eux, Yuan Erbanyuan et Nanpu Shaoming, sont également allés au temple de Jingshan pour étudier le bouddhisme de l’école Zen. De retour au Japon, ils ont fondé l’école Zen Rinzai, qui deviendra la branche la plus populaire du Japon. Et le temple de Jingshan s’est imposé comme le dojo ancestral de l’école Zen Rinzai. Depuis lors, les échanges entre bouddhistes chinois et bouddhistes japonais se sont poursuivis pendant plus de mille ans, sans discontinuer.
Avant la crise sanitaire, le Japon envoyait chaque année au moins une délégation d’une centaine de personnes en pèlerinage à Hangzhou. Il y a quelques années, l’abbé du temple de Tofuku au Japon est décédé. Avant sa mort, il avait exprimé un souhait : que ses cendres soient déposées au temple de Jingshan, sa demeure ancestrale.
Outre les enseignements bouddhistes, le bouddhisme chinois a joué un rôle important en particulier dans la transmission culturelle. Le temple de Jingshan, par exemple, est le berceau de la cérémonie du thé japonaise. Sous la dynastie des Song du Sud, Yuan Erbianyuan et Nanpu Shaoming ont rapporté au Japon les classiques sur le thé chinois, les services à thé, la méthode de commande du thé ainsi que les rites du festin du thé de Jingshan. Autant d’éléments qui sont à l’origine de la cérémonie du thé au Japon. Dans la cérémonie du thé japonaise d'aujourd'hui, l'agencement élégant du salon de thé, les rites solennels du service du thé et le style de discussion sur le thé rappellent encore les festins du thé de Jingshan.
Qu’est-ce qui, dans le bouddhisme chinois, mérite d'être porté à la connaissance de tous afin de construire une communauté de destin pour l'humanité ?
Je pense que c'est la compassion, la tolérance et la gratitude. Si le concept occidental de démocratie et de liberté pouvait être combiné avec ces trois concepts du bouddhisme chinois, ce serait bien mieux.
Tous les faits et preuves en attestent : la démocratie à l’occidentale n’est pas égalitaire, et ce que l’Occident appelle la liberté n'est pas la liberté au sens propre du terme. Le bouddhisme est inclusif. Ce n'est pas propre uniquement au bouddhisme, mais c’est aussi une caractéristique de la culture orientale. Dans l'histoire, bien qu'il y ait eu de nombreuses frictions entre le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme, il n'y a pas eu de guerres ni de massacres pour des motifs religieux.
L'idée de gratitude est également différente en Orient et en Occident. L'action de grâces en Occident consiste à remercier les parents et les aînés, mais en Orient, cela dépasse l'individu. Par exemple, le confucianisme prône la culture de soi dans le but de faire régner l’harmonie dans sa famille, mais aussi la paix dans son pays et dans le monde. C'est un concept de service aux peuples sous le ciel, et c'est aussi la vision des hauts fonctionnaires-lettrés de la Chine antique, dont Fan Zhongyan (989 - 1052), qui exprima cette célébrissime pensée, transmise de génération en génération : « On doit s’inquiéter de la nation avant qu’elle-même ne le fasse, et ne consentir à se réjouir qu’une fois qu’elle est heureuse. »
Le concept de compassion est lui aussi différent en Orient et en Occident. La miséricorde, en Occident, s’applique aux personnes qui partagent les mêmes croyances religieuses ; si c'est un païen, c'est une autre affaire. En Orient, la miséricorde est accordée à tout le monde. Nous le disons souvent : la compassion est dans le cœur, et il faut sauver tous les êtres vivants. Qu'il y ait ou non de la rancune entre vous et moi, nous abandonnerons nos rancunes et nous nous aiderons mutuellement à sortir de nos problèmes.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photos : site internet du Temple de Lingyin
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