« Yuheng » ou le ministère de l’Écologie de la Chine antique

1659421879655 China News Zhang Lijun

Le concept « Yuheng » contribue à la transmission culturelle et pose les premiers jalons de la conservation de la biodiversité dans l’empire du Milieu, note le chercheur chinois en écologie Li Zhenji dans un entretien accordé à China News.

Il y a 4 000 ans, la Chine s'était déjà dotée d'un ministère de l'Écologie. D'après le Classique des documents (en chinois : shangshu), maître ouvrage d’histoire politique des débuts de la civilisation chinoise, l'empereur Yao (2324 - 2206 av. J.C.) a nommé un certain Bo Yi au poste de responsable de « Yuheng », premier établissement de protection de la nature de l'empire du Milieu.  Ses missions étaient aussi diverses que variées : protection de l'eau, des animaux et des forêts… Si l’harmonie entre l’homme et la nature s’inscrit par essence dans les fondamentaux du taoïsme, un des piliers de la pensée chinoise, la Chine antique est allée jusqu’à porter la protection de l’environnement sur le plan institutionnel en mettant en œuvre différentes lois et politiques écologiques. En témoigne justement l’instauration du ministère « Yuheng ».

Alors qu'aujourd'hui la biodiversité et l'environnement se voient de plus en plus propulsés sur le devant de la scène médiatique, en quoi la sagesse chinoise sur l'écologie pourrait-elle nous inspirer dans nos engagements écologiques ? Entretien avec Li Zhenji, professeur en environnement et écologie de l'Université de Xiamen.    

Quelles étaient la prise de conscience et les différentes démarches pour préserver la biodiversité dans la Chine antique ?

Tout d'abord les intellectuels partageaient tous une prise de conscience des enjeux de la biodiversité. Dans différents ouvrages classiques, comme le Livre des monts et des mers, Guanzi, Classique des vers, Classique de la matière médicale du Laboureur Céleste, ou encore Huainanzi, on énumère pas moins de 300 espèces de plantes. Les rédacteurs du Guanzi, une encyclopédie composée de textes remontant à l’époque des Royaumes combattants(220 - 280), y ont même dessiné les contours du concept de développement durable basé sur des écosystèmes sains et fonctionnels pour tous, qu'ils soient des êtres humains ou des animaux. Sur le plan idéologique, différents courants religieux, tels que le taoïsme, le confucianisme, ou encore le bouddhisme prennent tous en compte la préservation de la biodiversité. Lao-Tseu, qui donne le départ du taoïsme religieux, fait l’éloge du respect de la nature. En témoigne une de ses fameuses citations : « L'homme suit les voies de la Terre, la Terre suit les voies du Ciel, le ciel suit les voies de la Voie, et la Voie suit ses propres voies ». En matière d’écologie, le confucianisme n’est pas en reste. Selon les Entretiens de Confucius, « le Maître pêchait à la ligne, mais non au filet ; il ne tirait pas la nuit sur les oiseaux qui étaient au repos ». Une éthique de l’environnement aussi sobre que précieuse. Depuis la dynastie Tang, de nombreux temples bouddhiques, construits au sommet des montagnes, ont également pour mission de protéger les forêts. Le « Yuheng », instauré il y a 4 000 ans, a renforcé sans doute la mise en œuvre des idées écologiques ancrées dans la population chinoise.

Quelle est la portée historique de l'instauration du « Yuheng » et en quoi pourrait-il nous inspirer dans nos engagements d’aujourd’hui ?

Le « Yuheng » contribue à la transmission culturelle et pose les premiers jalons de la conservation de la biodiversité dans l’empire du Milieu. Le Classique des documents et les Mémoires historiques, deux éminents ouvrages d’histoire, notent tous deux que Yu le grand (v. 6 juin 2297 av. J.-C. - 2197 av. J.-C.), premier monarque légendaire chinois de la Dynastie Xia, avait lancé plusieurs enquêtes pour faire recenser la faune et la flore. Aujourd’hui, de nombreuses régions dans le sud de la Chine ont pu ainsi préserver un patrimoine naturel intact malgré des guerres et des catastrophes naturelles au cours des milliers d’années. Le concept « le ciel et l’homme ne font qu’un », prôné par Lao-Tseu, ou encore l’idée du développement durable, promu par le lettré chinois Guan Zi, servent de leçons précieuses pour guider nos engagements d’aujourd’hui. De plus, la traditionnelle vénération des montagnes en Chine implique un entretien et une protection spécifiques des montagnes. Alors que la Chine affine de plus en plus ses différents projets de parcs nationaux, elle pourrait puiser ses inspirations aussi bien dans l’histoire chinoise que dans les expériences des pays occidentaux.

En quoi le concept « Yuheng » se distingue-t-il des idées écologiques initiées en Occident ?

On pourrait analyser les deux différents courants de pensées à partir de la création et de la gestion des parcs nationaux. Les Occidentaux ont mis en œuvre, au bout de nombreuses années d’essais et d’échecs, un panel de mesures concernant la création et la gestion des parcs nationaux. Aux États-Unis, sous l’Agence d'administration des parcs nationaux, les centres de conception et les professionnels de différents secteurs ont pour mission de garantir la protection de l’environnement écologique, naturel et social d’une région où se déroulent de nouveaux projets. Les parcs nationaux recrutent des bénévoles pour collecter des données sur les ressources naturelles, ainsi que pour lancer des campagnes de sensibilisation pour réveiller la conscience écologique chez les citoyens. Si la Chine a pris du retard dans les projets de parcs nationaux, elle a réussi tout de même à préserver la biodiversité grâce aux traditions et coutumes. Pour moi, en Occident, on fait plus attention aux détails et traite les problèmes méthodiquement, alors que la culture orientale se penche plus à la globalité et tend à résoudre les problèmes sur un plan plus large.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photo du haut : Emile Guillemot / Unsplash

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