
Comment le pont Guangji est-il devenu l’âme de la ville de Chaozhou pour tous ses natifs ?
Le pont Guangji est constitué d’un pont à poutres, d’un pont en arc et un pont flottant central constitué de 18 bateaux-navettes reliés entre eux. Le célèbre expert en ponts Mao Yisheng l'a qualifié de « premier pont ouvert-fermé au monde », un pont témoin pendant des milliers d'années des changements qui ont mené la ville de Chaozhou depuis l'époque ancienne jusqu’à l’ère moderne. Qu’ils se trouvent au pays ou à l’étranger, lorsqu’ils se souviennent de leur ville natale, les habitants de Chaozhou voient comme première image émerger dans leur esprit celle du pont Guangji. Pourquoi est-il devenu l’âme de la ville pour toutes ces personnes ? Chen Xianwu, membre du groupe d’experts en conservation du patrimoine culturel de la ville de Chaozhou, a récemment accepté de donner une interview exclusive à China News dans laquelle il en délivre une explication détaillée.
Une vieille chanson folklorique de Chaozhou dit ceci : « Si vous vous rendez à Chaozhou sans voir son pont, alors vous y serez allé pour rien ». Pourquoi le pont est-il si étroitement lié à Chaozhou ? Quel est le contexte de la construction du pont Guangji ?
L'histoire du pont Guangji commence avec la rivière connue de tous sous le nom de rivière Han dont l’origine est la rivière Ting et qui prend sa source dans la montagne Wuyi, qui se dirige ensuite vers le sud pour rejoindre enfin la rivière Mei au barrage de Sanhe. Dans les temps anciens, lorsque les transports terrestres étaient peu pratiques et que les marchandises devaient être transportées par voie fluviale, la rivière Han offrait une voie de communication entre la région de Meizhou et la plaine de Chaoshan, constituant ainsi la principale route entre l'est du Guangdong et le sud-ouest du Fujian, le sud-est du Jiangxi et même l'étranger. Cependant, la rivière Han est un grand cours d’eau au débit très variable. Ainsi, pendant la saison des crues estivales, les bateaux ne pouvaient faire que quatre ou cinq aller-retour par jour, la force du vent et des vagues du cours moyen était telle que bien souvent les bateaux chaviraient, entraînant ainsi des noyades. Cette solution de transport se révélant de fait incompatible avec un trafic de plus en plus dense, la volonté de construction de ponts sur la rivière est alors apparue.
Pendant la dynastie des Song du Sud, l'économie de Chaozhou était à l’apogée de son développement. En 1171, alors que régnait l’empereur Xiaozong, le préfet Zengwang a fait relier 86 bateaux pour former un pont flottant, mettant ainsi fin à l'histoire de la séparation des rives est et ouest de la rivière Han, inaugurant dans le même temps l'histoire des préfets et sous-préfets qui se sont relayés dans construction des ponts. Cet ouvrage d’art, dont le modèle est nommé « dix-huit bateaux et vingt-quatre continents », est impressionnant : sa construction aura nécessité 359 années, depuis la première pierre posée en 1171 à son achèvement en 1530 lors de la neuvième année de règne de l’empereur Jiajing de la dynastie Ming, et il aura fallu attendre les années 1990 pour voir la construction d’un deuxième pont sur la rivière Han. Le pont Guangji est profondément ancré dans la mémoire des habitants de Chaozhou, dont il reflète à la fois la culture et l’économie.
Le célèbre expert en ouvrage d’art Mao Yisheng qualifie le pont Guangji de « premier pont ouvert-fermé au monde ». Le bateau en bois situé au milieu du pont peut être décâblé et déplacé, laissant ainsi la rivière libre pour la navigation. Pourquoi les constructeurs de ponts l'ont-ils conçu de cette façon ?
L’ensemble de la section médiane du pont Guangji est reliée par 18 bateaux-navettes et ne comporte aucun pilier, dessous cette partie du pont les lignes des veines sous-marines sont interrompues et le courant y est turbulent. Cette construction est une illustration de l’adage de Mencius « Ce n’est pas à faire, c’est impossible à faire » qui évoque la différence entre la réticence et l’incapacité. D’autre part, l'utilisation de ponts flottants peut non seulement réduire la pression du courant, mais également rendre possible le passage des piétons. Lors de crues soudaines, son ouverture permet d’éviter les inondations, de protéger le pont à poutres et de dégager la voie navigable, ce qui peut être considéré comme une brillante stratégie dans le contexte de l'époque.
Cette approche «bon gré mal gré » fait du pont Guangji un « pont mobile qui peut être ouvert et fermé, ce qui est un cas unique dans l'histoire des ponts de mon pays » comme l'a dit Mao Yisheng. Ce pont a été construit sous la dynastie des Song du Sud, une époque pendant laquelle les voiliers accostaient directement à Chaozhou et pendant laquelle les céramiques cuites dans les fours de Bijiashan étaient vendues à l'étranger. La navigation d’énormes radeaux en bois qui descendaient de l'amont vers la mer nécessitait une ouverture de taille suffisante grande à travers le pont Guangji pour permettre les allées et venues des radeaux et des grands navires. En conséquence, une large ouverture a été réalisée au milieu du pont en pierres, les deux sections étaient alors reliées par un pont flottant pouvant être décroché afin de laisser le passage à la navigation, puis remis dans sa position initiale permettant ainsi aux piétons et aux attelages de traverser le pont d’une rive vers l’autre.
Comme le vieux pont de Londres, le pont de Guangji offrait autrefois aux habitants de Chaozhou un lieu pour faire des affaires, formant un paysage particulier composé d'un « pont aussi long que son marché ». Quel impact le pont Guangji a-t-il sur l'économie de Chaozhou ?
La dynastie des Song du Sud a vu le début d’une augmentation du commerce dans le bassin de la rivière Han, Chaozhou est ainsi devenu un centre économique au bénéfice de sa situation géographique, mais c’est à partir du milieu et à la fin de la dynastie Ming que le commerce extérieur de Chaozhou a commencé à se développer. Portés par l’esprit d’aventure, les marchands voyageaient vers et depuis la mer, ils rapportaient de l'argent métal et stimulaient l'essor des industries artisanales telles que la céramique, le textile et la fabrication du sucre. Les marchandises voyageaient du nord au sud via le pont Guangji. Sous la dynastie Qing, le ministère des finances a mis en place une administration spéciale pour la route du sel à Chaozhou. Une fois que le sel était extrait des salines, il était acheminé directement au pont Guangji par voie maritime pour ensuite être vendu un peu partout après que les marchands s’étaient acquittés de la taxe sur le sel. Le pont Guangji devint « le lieu de rencontre des marchands de sel de toutes les horizons », ces marchands qui allaient et venaient, naviguant sur la rivière Han et la mer. Sous la dynastie Qing, Chaozhou était devenu le deuxième plus grand centre commercial de la province du Guangdong derrière la ville de Canton. Lorsque les bateaux marchands de sel du monde entier accostaient au pont Guangji pour acheter du sel, ils n’arrivaient pas à vide mais chargés de nombreuses spécialités locales. Les tours surplombant les piliers du pont Guangji étaient autrefois bordées de boutiques, tout comme la rue de Pékin à Canton, et lorsque l’on marchait sur le pont c'était un peu comme entrer dans un grand centre commercial. Au cours de la période Tianshun de la dynastie Ming, de 1457 à 1464, le gouverneur du Guangdong et du Guangxi a mis en place un point de collecte d’impôts sur le pont Guangji pour percevoir les taxes relatives au sel acheminé par navire ; le montant total de ces prélèvements fiscaux était le plus important de toute la province.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn
Photos : compte officiel Weibo du Pont de Guangji
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