
Comment la mode chinoise a conquis l’Occident
Si on y porte un peu d’attention, on remarque que la mode chinoise est partout : de la robe en soie portée par la prêtresse de Bacchus du musée archéologique national de Naples jusqu’aux robes modernes des dernières tendances de la mode internationale. La mode chinoise fait aujourd’hui son grand retour avec le « Hanfu » et d’autres styles vestimentaires typiquement chinois.
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Plus globalement, c’est toute l’industrie de la mode de l’Empire du milieu qui revient sur le devant de la scène et qui remet en question les canons de la mode occidentale ayant prévalus jusqu’à aujourd’hui. D’après Jia Xizeng, professeur à l’Académie d’art et de design de l’Université Tsinghua à Pékin, également membre du comité académique de l’association chinoise des créateurs de mode, l’influence de la mode chinoise n’est pourtant pas si nouvelle. Elle avait déjà conquis l’Occident par le passé, contribuant alors au rayonnement international de la culture chinoise.
La soie, un symbole de la civilisation chinoise
Il est impossible de parler de la mode chinoise sans mentionner l’importance de la soie. Il faut en effet rappeler que c’est le peuple chinois qui est à l’origine de cette invention. C’est le peuple chinois qui a, en premier, planté les muriers, élevé les vers à soie, filé et tissé la soie. Ce tissu, si unique en son genre, est aujourd’hui réputé dans le monde entier, contribuant à élever la réputation de la civilisation chinoise. À l’époque de la dynastie des Han occidentaux déjà, ce tissu précieux était acheminé jusqu’en Occident, grâce aux routes de la soie. La soie chinoise était déjà connue dans la Grèce antique et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le philosophe Aristote en parlait déjà dans ses écrits, ou si le nom que les Grecs ont attribué à la Chine est « Seres ». Ce terme, qui est aussi à l’origine du mot silk en anglais ou soie en français, fait justement référence à la production de la soie que les Européens achetaient massivement à la Chine à l’époque. En Rome antique également, le mot Seres servait aussi pour désigner la Chine et on y utilisait la soie pour sa légèreté et sa douceur, mais aussi pour pallier l’absence de coton : les Romains n’avaient généralement que des habits faits de lin ou de laine. Le fait d’en porter était non seulement un symbole de richesse et de pouvoir, mais aussi un moyen d’honorer les dieux.
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La Chine à l’origine de la machine de tissage jacquard
À l’importation de la soie, a ensuite succédé l’importation des méthodes de tissage. On peut affirmer à ce propos que les méthodes utilisées en Chine pour le tissage ont révolutionné l’industrie européenne. Dans son ouvrage Science and Civilisation in China, le biochimiste britannique Joseph Terence Montgomery Needham, également sinologue de formation, considère la machine de tissage jacquard (une machine à tisser basée sur un système mécanique horizontal programmable avec des cartes perforées), comme une importante contribution de la Chine au progrès technologique mondial. Cette technique de tissage horizontal, déjà utilisée en Chine à l’époque des Printemps et Automnes (chunqiu), de 771 à 256 av. J.-C, permettait de réaliser des motifs ornés et complexes. En Europe, il a fallu attendre le VIe et VIIe siècle après J.-C. pour que cette technique chinoise soit introduite, venant alors remplacer la technique européenne, verticale, moins complexe et moins avancée. Le terme machine de tissage jacquard fait finalement référence à Joseph Marie Jacquard, le tisserand lyonnais qui a donné son nom à cette nouvelle technique, transposée en France et considérée comme révolutionnaire par les Occidentaux.
Une noblesse européenne amatrice de « chinoiseries »
L’attrait des Occidentaux pour la mode chinoise s’est ensuite poursuivi jusqu’au XVIIIe siècle, avec l’essor de l’expression bien française des « chinoiseries ». Ces objets décoratifs, qui copient l’art asiatique et plus spécifiquement chinois, ont alors fait leur entrée dans les collections d’art de la noblesse européenne. Cette passion a notamment pris la forme du style « rococo », désignant la recherche du luxe, du frivole, associé à une tendance nettement décorative. La mode des chinoiseries s’est diffusée dans le quotidien de la noblesse : dans les objets de la maison, des jardins, dans la porcelaine et les textiles. La demande européenne de produits chinois a ainsi explosé entre 1830 et 1840. La mode des chinoiseries repose pourtant sur une idéalisation de la Chine, plus que sur l’importation d’une véritable culture ou d’un mode de vie étranger. Les Européens ont surtout cherché ici à imiter un mode de vie qu’ils ont fantasmé. Poussés par la recherche du profit, les fabricants de soie européens inscrivaient même des motifs chinois traditionnels tels que les dragons, les phénix, les fleurs et les oiseaux sur leurs réalisations, pour affirmer ensuite qu’elles avaient été fabriquées en Chine. Cette mode n’a d’ailleurs pas vraiment existé ailleurs qu’en Europe.
À la fin du XVIIIe siècle, l’essor d’un nouveau mouvement artistique européen, le néoclassicisme, a finalement entraîné le déclin du style rococo et de la mode des chinoiseries. Ce nouveau style a su conquérir la noblesse de l’époque avec son caractère élégant, sa simplicité et son caractère épuré. Finis les ornements complexes et les détails fins, place aux nouveaux matériaux modernes. La révolution industrielle s’amorce, et avec elle l’amélioration du niveau de vie, qui permet aux classes aisées européennes de voyager en Chine. Beaucoup découvrent alors l’immense écart qui sépare la réalité de la Chine et celle du pays qu’ils avaient fantasmé.
Association Boyan
L’orientalisme : la redécouverte de la mode chinoise par la haute couture occidentale
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la mode chinoise est redécouverte en Europe grâce aux voyages des marchands européens et américains en Chine. C’est également dans ce contexte que les guerriers de l’Alliance des Huit Nations, la coalition des puissances occidentales qui avait écrasé la révolte des Boxers en 1901 et participé à la colonisation de certaines portions du territoire chinois, décident de ramener chez eux de nombreuses créations de l’Empire du milieu. Cette nouvelle tendance suscite alors les passions des créateurs européens de la mode pour l’étude de l’art chinois, et s’incarne finalement dans la première exposition internationale d’art chinois, organisée à Londres en 1935.
C’est alors que les grands noms de la mode tels que Gabrielle Chanel, Christian Dior ou encore Elsa Schiaparelli, commencent à avoir recours à des techniques chinoises pour élaborer les silhouettes, les motifs et les tissus de leurs créations. Dans les années 1950 et 1960, dans une époque marquée par la popularité de l’orientalisme, les Européens et les Américains se prennent même de passion pour le « Qipao », une robe moulante à col haut originaire de Shanghai. Les plus grandes actrices hollywoodiennes en ont souvent porté, comme Elizabeth Taylor et Grace Kelly. En France, le couturier Yves Saint Laurent, fasciné par la culture chinoise, s’est lui-même inspiré de la littérature et du cinéma chinois pour lancer sa collection pour femmes automne-hiver 1977. Celle-ci était marquée par l’usage des motifs chinois comme que le « Tangzhuang », une veste d’origine mandchoue composée d’un col mao et de boutons grenouilles, ou encore le « Magua », une veste de l’époque de la dynastie Qing avec des manches courtes et larges.
Aujourd’hui, le renouveau de la mode chinoise
Depuis le début des années 2000, dans le contexte de l’essor international de la Chine, la culture et l’industrie de la mode se développent à toute vitesse. Dans ce secteur, le marché chinois, fort de plusieurs millions de consommateurs, apparaît comme l’un des plus prometteurs. En Chine même, la vitalité du marché et la croissance économique ont finalement permis de dépasser les références purement étrangères. Les Chinois délaissent progressivement l’influence de la mode hollywoodienne, japonaise ou coréenne, et redécouvrent leur propre style, à l’image de la mode du Hanfu : une tunique longue plus ou moins élaborée, qui était le vêtement traditionnel des Hans (l’ethnie majoritaire en Chine). Les Chinois l’ont porté jusqu’à l’avènement de la dynastie mandchoue des Qing (1644-1912), qui en ont interdit le port.
Aujourd’hui, même après la crise sanitaire mondiale de la Covid-19, le marché de la mode en Chine est toujours prospère, il est aujourd’hui le seul au monde à enregistrer une croissance positive en ce qui concerne les ventes des produits de luxe. Preuve que la mode chinoise a encore de beaux jours devant elle.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photo du Haut : Association Boyan
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