Martin Woesler : « À l’avenir, la littérature chinoise apportera une perspective et une expérience renouvelée aux lecteurs occidentaux »

1661250708710 China News Wan Shuyan
Cela fait plus d’un siècle que la littérature moderne et contemporaine chinoise est régulièrement traduite. Martin Woesler, célèbre sinologue allemand, a pour sa part traduit plusieurs œuvres de grands auteurs chinois, tels que Lu Xun, Xu Dishan, Wang Meng, Han Han, Jia Pingwa, et bien d’autres.

Dans une interview accordée à China News, celui qui est aujourd’hui membre de l'Académie européenne des sciences et spécialiste de la Chine à l'université de Wittig Heidecke, en Allemagne, nous présente ses principaux domaines de recherche. De la littérature comparée à la traduction, en passant par la communication interculturelle et la littérature chinoise contemporaine, Martin Woesler n’a jamais cessé d’éprouver une grande passion pour la Chine.

En plus de l'édition allemande du Rêve dans le pavillon rouge, l’œuvre incontournable de Cao Xueqin, vous avez également traduit un grand nombre d'œuvres d'écrivains chinois modernes. D’où cette passion vous vient-elle ?

La littérature chinoise a toujours tenu une place prépondérante à l’échelle mondiale. Le Rêve dans le pavillon rouge, ou La Véritable Histoire de Ah Q de l’écrivain Lu Xun, sont des œuvres représentatives de ce que la Chine faisait de mieux dans les années 1920. À l’époque, la Chine produisait de nombreuses œuvres littéraires d’une grande qualité. L’une des raisons à cela tenait aux échanges entre les écrivains chinois et les écrivains étrangers. Aujourd’hui encore, il existe des œuvres exceptionnelles en Chine qui méritent d’être lues dans le monde entier. Si la littérature chinoise m’attire tant, c’est aussi parce qu’elle est imprégnée par les cultures locales. Si on prend par exemple les œuvres de Jia Pingwa, on y découvre de nombreux dialectes, des traditions et des références à son village natal. Tous ces éléments, qui sont aussi magnifiques que difficiles à traduire, sont en réalité ceux qui valent vraiment la peine d’être diffusés pour les lecteurs étrangers. C’est aussi pour cette raison que j’éprouve beaucoup de passion pour l’œuvre de Lu Xun. Ce dernier a façonné la langue vernaculaire (le Baihua en chinois, un registre linguistique essentiellement basé sur le chinois parlé). Il fait partie des grands noms de la littérature à l’échelle mondiale, même si, à l’époque, il avait refusé de figurer sur la liste des candidats au prix Nobel de littérature. Pour moi, son œuvre se situe même au-dessus de ce prix. Il a marqué son époque avec des livres comme La Véritable Histoire de Ah Q, sa nouvelle Kong Yiji, ou encore Le Journal d'un fou. À ce jour, j’ai toujours l’ambition de publier son œuvre complète en anglais.

Qu'est-ce qui fait le charme de la littérature chinoise moderne selon vous et comment permet-elle d’approfondir les connaissances sur la Chine à l’étranger ?

La littérature chinoise moderne est le meilleur moyen de comprendre la Chine et sa culture. On peut y déceler les échanges entre la littérature chinoise ancienne et la littérature étrangère de l’époque. Le cri de Lu Xun, par exemple, fait une description très réaliste de la vie sociale en Chine depuis la révolution de 1911 jusqu’au mouvement du 4 Mai 1919. Cette œuvre révèle les contradictions profondes qui traversaient la société chinoise de cette période, tout en formulant une critique acerbe de l’ancien système féodal et de ses coutumes. On retrouve cette tendance dans les nouvelles formes de littératures contemporaines, comme celle qui a émergé après les années 1980, parfaitement incarnée par Han Han, qui est l’un des écrivains les plus célèbres de sa génération. L’œuvre de chaque écrivain reflète finalement une compréhension spécifique de chaque époque. En lisant cette littérature, on peut comprendre la Chine.

On dit souvent que certaines œuvres littéraires perdent leur charme originel dans le processus de traduction. Comment avez-vous surmonté cette difficulté ?

Je pense qu’il s’agit là d’un préjugé. Les œuvres littéraires ne perdent pas leur charme originel dans le processus de traduction. Chaque œuvre est plus ou moins unique. Il arrive qu’une œuvre littéraire puisse fasciner un public étranger, et ne pas avoir reçu la même attention de la part du public dans son pays d’origine. Un livre gagne toujours à être traduit. En général, il faut admettre que les traductions les mieux réussies sont celles qui sont faites par un traducteur dont la langue maternelle est celle dans laquelle le texte doit être traduit.

Pendant longtemps, en Occident, il y a eu davantage de travaux menés sur la littérature chinoise classique que sur la littérature chinoise moderne et contemporaine. Pourquoi selon-vous ?

Il est indéniable que la littérature chinoise contemporaine est très peu traitée en dehors de Chine. C’est assez dommage, car je pense qu’il y a vraiment beaucoup d'œuvres de ce type de littérature qui vaudraient la peine d’être traduites. En Allemagne, la littérature non allemande représente 12,5 % de la littérature totale, tandis que la littérature chinoise n’en représente que 0,3 %. Avant que je ne me lance dans la traduction, 11 œuvres littéraires chinoises seulement étaient traduites en allemand chaque année. Avec ma participation, ce volume a pratiquement doublé. J'ai même réuni un groupe de jeunes sinologues en Allemagne au sein d’un atelier de traduction. Nous traduisons en moyenne une dizaine de livres par an du chinois vers l'allemand, et la plupart des œuvres traduites étaient des œuvres littéraires. En une décennie, nous avons doublé le nombre de livres traduits du chinois vers l'allemand.

Finalement, je pense que la littérature chinoise ne pourra devenir populaire dans le monde que lorsque le rôle de la Chine se sera accru sur la scène internationale. L’image de la Chine joue un rôle important à cet égard. Je pense que la Chine a encore du chemin à faire pour améliorer son attractivité culturelle, et j'espère que mes traductions contribueront au succès de la diffusion de la culture chinoise dans le monde.

Comment pourrait-on renforcer l'intérêt des lecteurs occidentaux pour la littérature chinoise moderne et contemporaine ? Quels types d'œuvres seraient les plus susceptibles de séduire les lecteurs européens selon-vous ?

Certains écrivains chinois contemporains comme Mo Yan, Liu Cixin, Yan Lianke, Su Tong ou Yu Hua, ont tous eu un certain impact sur les lecteurs occidentaux. Beaucoup d’autres grands auteurs chinois sont pourtant encore peu connus du public occidental. Dans l'ensemble, la littérature chinoise n'a pas encore su produire une image « stable » dans l’esprit des Occidentaux, avec des caractéristiques qui leur seraient propres. De même, les écrivains chinois devraient davantage prendre connaissance de la littérature étrangère afin de mieux en tirer parti. N’oublions pas qu’en Chine, c’est justement ce qu’avait fait Lu Xun dans les années 1920. La Véritable Histoire de Ah Q avait d’ailleurs été traduit en français à l’époque et soutenu par l'écrivain français Romain Rolland. À mon avis, la science-fiction, la littérature pour enfants et la littérature en ligne sont aujourd’hui les formes de littérature chinoise les plus populaires parmi les lecteurs occidentaux, y compris parmi les lecteurs européens.

Grâce à vos solides compétences linguistiques et à vos talents de traducteur, vos ouvrages ont suscité une grande attention dans les études chinoises en Europe et aux États-Unis. Quelle pourrait être la contribution de la traduction de la littérature chinoise moderne et contemporaine aux échanges culturels entre la Chine et l’Occident ?

Je pense qu’il faut que les gens se rassemblent et apprennent à se connaître. C'est pourquoi nous pouvons faire davantage pour nouer toutes sortes de partenariats, et notamment académiques, afin d’attirer les lecteurs étrangers vers la littérature chinoise. C’est justement ce qu’on avait pu observer dans le domaine du cinéma par exemple : de nombreux grands réalisateurs chinois ont joué un rôle dans l’adaptation de certains pans de la littérature chinoise. On peut ici évoquer le Sorgho rouge ou Ju Dou, de Zhang Yimou, La Vie, de Wu Tianming, ou encore plus dernièrement Tigre et Dragon de Ang Lee, qui a contribué à faire connaître les arts martiaux chinois en Occident. Il est aussi possible de retrouver cette démarche dans la traduction d’œuvres philosophiques, à l’image du travail réalisé par Roger T. Ames et Henry Rosemont Jr, dans leur ouvrage The Confucian Analects: A Philosophical Translation.

En quoi résident les influences mutuelles entre la littérature orientale et occidentale pendant l'époque moderne ?

La principale force de ces échanges résidait à l’époque dans la présence des missionnaires occidentaux en Chine, ainsi que des jeunes étudiants Chinois qui avaient émigré à l’époque. Les missionnaires occidentaux avaient introduit la littérature classique chinoise en Occident. Le sinologue James Legge avait par exemple traduit et publié les Cinq classiques de la littérature chinoise. De la même manière, le traducteur chinois Zhu Shenghao avait été l’un des premiers à traduire les œuvres de Shakespeare, tout comme Guo Moruo l’avait fait pour les œuvres de Goethe. Les échanges littéraires entre l’Orient et l’Occident à l’époque moderne ont non seulement contribué au développement de la littérature chinoise, mais ont également enrichi la littérature mondiale. À l’avenir, la littérature chinoise apportera une perspective et une expérience renouvelée aux lecteurs occidentaux.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo : DR.

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