
De l’oubli à la renommée internationale : l’épopée du « Grand chant du groupe ethnique Dong »
Fort d’une histoire d'environ 2 500 ans, le Grand chant ethnique Dong est apparu pour la première fois pendant les périodes des Printemps et Automnes et des Royaumes combattants. Devenu populaire pendant la dynastie Ming, il est aujourd’hui inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité.
Sa découverte fortuite par le monde de la musique moderne dans les années 1950 a non seulement occasionné une réécriture de l'histoire de la musique folklorique chinoise, mais a également permis au monde d’entrer dans une nouvelle phase de compréhension de cet art. Depuis les années 1980, le Grand chant ethnique Dong est devenu un phénomène largement plébiscité sur la scène mondiale. Pourquoi le « Grand chant ethnique Dong » a-t-il acquis cette reconnaissance esthétique transethnique, transfrontalière et transculturelle ? Directeur du Département de l'éducation internationale chinoise du Collège des arts et des lettres de l'Université normale du Guizhou, He Songyu a récemment accordé une interview exclusive à China News pour nous éclairer à ce sujet.
Pourquoi la découverte du Grand chant ethnique Dong est-elle une étape importante dans l'histoire de la musique folklorique chinoise ?
Avant les années 1950, l'industrie musicale occidentale estimait qu'il n'y avait pas de musique polyphonique dans la musique folklorique chinoise, que cette dernière n’était composée que de chants monophoniques, à tel point que l’histoire mondiale de la musique considérait comme un état de fait cette opinion selon laquelle la musique chinoise n’était pas comparable à la musique occidentale. En 1952, des travailleurs de l'Association de musique de la province du Guizhou, parmi lesquels Xiao Jiaju et Guo Kezou, ont découvert de manière fortuite le Grand chant ethnique Dong sous la forme d’un chœur dans le comté de Liping et en ont débuté l’étude.
Plus tard en 1956, c’est à l’occasion d'une tournée d'inspection dans la province du Guizhou que le célèbre musicien chinois Zheng Lucheng a assisté par hasard à une interprétation de « Grand chant ethnique Dong ».
Il en fut bouleversé et ému, son existence comblait un vide laissé par l’absence d'harmonie musicale en Chine. Le témoignage de Zheng Lucheng a attiré l'attention du célèbre ethno-musicologue français Louis Dandrel.
C’est ainsi qu’à l’invitation de ce dernier, le chœur de l’ethnie Dong composé de 9 filles originaires de la préfecture autonome de Qiandongnan dans la province de Guizhou s'est produit en France avec un grand succès au Festival d’automne à Paris de septembre à octobre 1986.
L'ethnomusicologue français Gérard Condé écrivait alors dans le journal Le Monde que Le Grand chant ethnique Dong était « l'une des découvertes et réalisations les plus importantes » de ce festival. Depuis lors, cette forme de chant a reçu une large attention de la part de l'industrie musicale occidentale et a été officiellement inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO en 2009.
Comment est né le Grand chant ethnique Dong ?
Ce chant est une pratique culturelle de l’ethnie Dong, et c'est aussi un exemple de l’expérience acquise par cette société à la longue tradition orale. Sa production est étroitement liée à la culture régionale, institutionnelle et spirituelle de cette ethnie.
Le peuple Dong se trouve essentiellement au cœur des montagnes où se rejoignent les quatre provinces du Guizhou, du Hunan, du Guangxi et du Hubei. Dans un cadre de vie éloigné de l'agitation, entouré de montagnes et de rivières, il a cultivé un concept de respect de la nature. Doués pour l’imitation et la représentation vivante des composantes naturelles de leur environnement, les Dong aiment en reproduire l'harmonie naturelle telle que celle du cri de grenouilles et de cigales. De plus, leur langue présente des caractéristiques de multiples valeurs tonales qui sont à la base de la formation de la polyphonie du Grand chant ethnique Dong.
Vivre au plus profond des montagnes en étant isolé du monde a contribué à la formation d’une petite société autosuffisante et autogérée du peuple Dong. Le Grand chant ethnique Dong puise ses fondements dans les caractéristiques de l’organisation sociétale : une société de gestion des masses basée sur les systèmes d’organisation en sections dit Kuan, un système consultatif dit Zhai Lao auquel s’ajoute enfin un lieu d’activité de groupe dit Culture de la Tour du Tambour.
De tradition orale, les Dong ne possèdent pas d'écriture, cependant son histoire migratoire et guerrière tout comme la mythologie de l’ethnie doivent être enregistrées et transmises. « Les Han ont une tradition du livre, les Dong ont une tradition du chant » : utilisant donc le chant en lieu et place de l’écriture, ils ont au fil du temps mis en place un système de transmission d’héritage culturel basé sur la tradition orale chantée. « Le riz nourrit le corps et le chant nourrit le cœur » : chanter est aussi important que manger en ce sens que le “chant” est la nourriture spirituelle qui soutient le peuple Dong. Leur société valorise celui qui sait chanter, ainsi, il n’existe personne qui ne chante partout et à propos de tout.
Quelles sont les caractéristiques du Grand chant ethnique Dong ? Quelles sont les différences et similitudes avec la musique polyphonique occidentale ?
La musique multi-voix est un type de musique qui ne repose pas uniquement sur une seule mélodie, mais qui doit être complétée de diverses formes musicales, notamment par l’ajout de l’homophonie, de la polyphonie et de l’hétérophonie. La musique polyphonique est chantée en harmonie, l'harmonie jouant un rôle important dans la combinaison de la polyphonie, dans la structure du morceau et dans l'expression de son contenu.
Dans la musique occidentale, la génération et le développement de l'harmonie remontent à plus de mille ans et ont eu un grand impact sur la création et l'interprétation d'œuvres musicales dans le monde entier. Au début du XXe siècle, dans le processus d'apprentissage de la musique occidentale, la musique chinoise a également commencé à utiliser l'harmonie. Cependant, parce que la musique occidentale repose sur des gammes heptatoniques, alors que la mélodie de la musique chinoise est principalement pentatonique, l'incapacité de l'harmonie à s'adapter à la mélodie est devenue un problème majeur pour les compositeurs chinois. C’est pour cette raison que de nombreux musiciens tels que Zhao Yuanren ont commencé à expérimenter des harmonies chinoises dans le processus de composition musicale. Le Grand chant ethnique Dong est une sorte de chorale polyphonique. Cette forme musicale a changé la conception « importée » de l'harmonie et libéré l'harmonie chinoise de son « déracinement » en lui fournissant la nourriture de ses racines locales.
Différent de la méthode de chant d'harmonie précise et douce de la musique occidentale, le chœur de l’ethnie Dong adopte une forme sans chef d'orchestre, sans bande sonore, qui repose sur l’utilisation des graves et des aigus. Les caractéristiques formelles du chant d'harmonie éclatent également avec une puissance unique et abondante. Cette forme de chœur folklorique à l'harmonie naturelle, mêlée d'un élan et d'une vitalité originaux, a insufflé une nouvelle source dans la musique folklorique chinoise.
Photos : Dr.
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