En mémoire de Duan Qing : linguiste et historienne chinoise spécialiste des Régions

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Au petit matin du 26 mars, après sept mois de lutte contre le cancer, Duan Qing, linguiste et historienne spécialiste des Régions de l’Ouest et professeur à l’École des langues étrangères de l’Université de Pékin, est décédée à l’âge de 68 ans.

Elle était une linguiste et historienne reconnue sur la scène internationale, une déchiffreuse des écrits des Régions de l’Ouest, une élève pour qui Ji Xianlin avait de grands espoirs, une dame qui portait des robes même en hiver, une Pékinoise âgée qui aimait aller à la gym... China News a recueilli les témoignages de ses anciens amis et collègues afin de retracer les grandes lignes de la vie de cette grande dame.

Élève de l’école de Ji Xianlin

Nombreux sont ceux qui lui demandaient combien de langues elle comprenait. Duan Qing répondait invariablement : « Ne me demandez pas combien de langues je comprends, mais plutôt combien de familles de langues je comprends. » L’un de ses élèves, Ye Shaoyong, maître de conférences à l’École des langues étrangères de l’Université de Pékin a fait le calcul : les langues indo-européennes, les langues sino-tibétaines, les langues altaïques...

© China News

L’an passé, elle découvrit une autre « langue morte ». Elle mit la main sur des photos de deux documents anciens dans les archives Hu Shi de l’Académie chinoise des sciences sociales. Ces textes, rédigés dans une langue jusqu’alors inconnue, avaient été découverts en 1929, sur le site bouddhique de Tumxuk, au Xinjiang. Plus de 90 ans plus tard, Duan Qing déchiffra ces deux documents, originaires du « royaume de Jushide » dont parlent les livres d’histoire, rédigés en langue jushide, disparue depuis mille ans.

C’est le destin qui voulut qu’elle rejoignît l’école de Ji Xianlin. En 1978, elle passe un entretien au département d’allemand de l’Université de Pékin pour un diplôme de troisième cycle, en présence de Ji Xianlin, qui cherchait un étudiant en allemand. Il la choisit. En 1980, Ji Xianlin retourne en Allemagne plus de trente ans après son dernier voyage, en compagnie de Duan Qing. Il lui obtient personnellement une bourse pour étudier l’ancienne langue khotanaise à l’Université de Hambourg, sous le tutorat de Ronald E. Emmerick.

Duan Qing reconnut un jour avec fierté que les avancées menées par Ji Xianlin de son vivant dans le domaine des langues anciennes des Régions de l’Ouest, à l’exception des langues tokhariennes, étaient aujourd’hui largement ouvertes à la spécialisation. Quant à elle, elle ouvrit la voie à l’enseignement de langues plus anciennes d’Asie centrale, notamment le kharoshthi/gandhari, le khotanais, ainsi que d’autres langues iraniennes anciennes, élargissant le champ d’études de l’époque de Ji Xianlin.

Ji Xianlin comptait envoyer un groupe d’étudiants étudier l’histoire et les langues des Régions de l’Ouest, mais finalement, seule Duan Qing alla jusqu’au bout et obtint des résultats fructueux. La dernière fois qu’elle vit Ji Xianlin, c’était en juin 2008. Ce jour-là, Ji Xianlin la regarda et lui dit : « Duan Qing, avec vous, une simple étincelle peut embraser toute une prairie ». Ji Xianlin mourut un an plus tard.

© Duan Qing et son professeur Ji Xianlin (milieu) © Université de Pékin

Communiquer avec les esprits : que ressent-on lorsque l’on déchiffre des Écritures ?

À la fin des années 1980, lorsque Duan Qing rentra pour la première fois en Chine, il n’y avait pas de nouveau matériel à étudier et la discipline de l’histoire linguistique des Régions de l’Ouest était au plus bas. Pour subvenir aux besoins de sa famille, elle travailla comme accompagnatrice dans une agence de voyages allemande, comme guide pour les touristes allemands et ouvrit son entreprise. Ce n’est qu’après 2000 que les documents exhumés au Xinjiang furent ouverts à la recherche et que Duan Qing inaugura une période d’explosion académique.

L’étincelle avivée par Ji Xianlin commença à s’enflammer à l’époque de Duan Qing.

La discipline des langues des Régions de l’Ouest recouvre l’indologie et l’iranologie. En Chine, Duan Qing avait étudié le sanskrit avec Ji Xianlin, qui appartient aux études indiennes. En Allemagne, elle étudia le khotanais, qui appartient aux études iraniennes. La convergence des deux contextes linguistiques lui était essentielle pour lui permettre de percer les mystères des langues d’Asie centrale. Rong Xinjiang nous raconte qu’elle pouvait lire le sanskrit, le gandhari, le khotanais, la langue de Jushide, le sogdien ou le syriaque retrouvés sur la route de la soie. Elle était la clé indispensable des langues anciennes dans l’archéologie de la route de la soie.

Meng Xianshi, professeur à l’École d’histoire de l’Université du Peuple de Chine, a déclaré qu’avec Duan Qing comme porte-drapeau, l’étude de l’histoire et des langues des Régions de l’Ouest de la Chine a atteint un véritable échelon international. Il se souvient qu’un jour, alors qu’un universitaire japonais vint en Chine pour une conférence, il feuilletait une collection d’essais compilés par des chercheurs chinois et déclara avec une grande déception : « Vous avez déjà tout fait ».

Duan Qing disait que la seule façon de prendre conscience de la véritable nature du développement et de l’évolution des langues et cultures anciennes du Xinjiang était d’avoir une compréhension approfondie, de mener des recherches sur les langues et écritures anciennes de la région et de faire de l’étude des anciennes civilisations du Xinjiang une discipline indépendante.

© Université de Pékin

En 2008, un chercheur de jade du Xinjiang découvrit cinq couvertures dans l’ancienne région de Khotan, aux couleurs vives et recouvertes de dessins étranges. Il y avait aussi trois mystérieux caractères brodés. Duan Qing en vit la photo et pensa qu’il s’agissait d’un tapis de laine et de soie propre au Khotan. Elle reconnut sur le motif du tapis carré plusieurs divinités grecques, ainsi que la déesse sumérienne Inanna. Elle déchiffra ensuite trois caractères, qui étaient des mots khotanais formés de la fusion de mots grecs et sanskrits, signifiant « les enfers », faisant référence au mythe de la déesse Inanna.

À cet instant précis, elle se sentit comme bénie des dieux.

C’était une conclusion sans appel : le mythe de la civilisation sumérienne de la vallée mésopotamienne, en Asie occidentale, avait été représenté sur un tissage de soie du Xinjiang, il y a plus de 1 500 ans. Alors que la civilisation mésopotamienne avait pris fin, comment prouver que le Gilgamesh gravé sur une tablette d’argile et enfoui dans le sol s’était diffusé vers l’Est ? Cela remettait en question les conclusions classiques sur l’histoire des migrations humaines et de nombreux experts internationaux y étaient opposés.

Duan Qing était convaincue que la découverte de traces de la civilisation sumérienne sur cette soierie réécrirait un jour l’histoire de la civilisation humaine.

Les preuves continuèrent de s’accumuler en faveur de ses hypothèses. Récemment, Shi Jie, professeur à l’Université de Harvard, a avancé l’argument selon lequel les noms de personnages célèbres de l’épopée de Gilgamesh apparaissent dans le Livre des géants manichéen exhumé à Tourfan. Voilà une autre preuve que Gilgamesh s’est diffusé jusqu’au Xinjiang.

Si Duan Qing n’avait pas connu de multiples civilisations et de multiples langues, il lui aurait été très difficile de déchiffrer le tapis de laine et de soie. Quoi qu’il en soit, nul autre ne peut savoir ce que cela fait d’être confronté à ces caractères étranges et de remonter le fil à la recherche d’un schéma.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : Université de Pékin

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