Hommage à Huang Shuqin, réalisatrice du premier film féministe chinois « Woman, Demon, Human »

1665045579357 China News Song Chundan

Née en 1939, la réalisatrice, aussi discrète qu’audacieuse, à qui on doit le premier film féministe chinois Woman, Demon, Human et la série phénomène La Forteresse assiégée, s’est éteinte le 21 avril à Shanghai. 

Huang Shuqin, figure emblématique de la quatrième génération de cinéastes chinois1, est morte le 21 avril 2022 à Shanghai à l’âge de 83 ans des suites d'une longue maladie. De son vivant, la réalisatrice, qui se disait taiseuse, préférait décortiquer, derrière sa caméra, la société et l’époque dans lesquelles elle vivait. Pour elle, le regard porté sur le monde ressemble beaucoup à l'orientation d'une maison chinoise. 

Alors que le regard dit « mainstream » représente la fenêtre orientée sud, à laquelle les Chinois tiennent particulièrement et par laquelle nous pouvons voir le jardin et le grand chemin qui fait face, le regard féminin incarne sans doute la fenêtre orientée est, qui accueille les premiers rayons de soleil. Selon Haung Shuqin, c’est au bord de la fenêtre orientée est que nous pouvons observer, sous un angle différent, le jardin et le grand chemin, procurant des sensations inattendues. Un regard nécessaire et complémentaire dans notre exploration du monde.  

© CNS

Entre Orient et Occident

Dans l'école primaire N°2 rattachée à McTyeire School (école privée pour filles fondée par les missionnaires américains), la petite Huang Shuqin était déjà cette fille taiseuse et peu sociable. Tous les jours, son grand plaisir était de rejoindre, après l’école, le théâtre Lafayette Cinema où travaillaient ses parents : le réalisateur Huang Zuolin et la comédienne Jin Yunzhi, alias Dan Ni. Avec un père diplômé de l'Université de Cambridge et une mère de l'Université de Columbia, Huang Shuqin a reçu, depuis son enfance, une éducation familiale aussi ouverte qu'anticonformiste. Après avoir fini ses devoirs, l’enfant passait son temps à regarder les pièces présentées dans le théâtre. Elle se trouvait soit parmi les spectateurs, soit derrière les rideaux, aiguisant ainsi ses deux visions complémentaires sur la représentation théâtrale. Cette expérience d’enfance allait servir de source d’inspiration pour son chef d'œuvre Woman, Demon, Human.

Au lycée, Huang Shuqin se passionnait pour le cinéma soviétique, caressant l’ambition d’intégrer l’Académie de cinéma de Pékin. Après deux ans de travail à la campagne, elle a passé des examens, devant une des élèves de la promotion 59 du département de réalisateurs dans son école de rêve. Discrète de nature, elle demeurait peu bavarde, mais déterminée à faire parler ses idées et réflexions par les films. En 1964, elle est envoyée dans le Studio de cinéma de Shanghai, société de production de cinéma d'État, avant de prendre en main, à partir de 1981, Vive la jeunesse, son premier film en tant que réalisatrice. Selon Zhang Xian, scénariste du film, Huang Shuqin avait voulu, depuis le tout début, réaliser un film de jeunesse à l’allure nostalgique. Une décision audacieuse, car à cette époque, le cinéma de jeunesse était considéré comme un genre occidental, empreint de préjugés, d’autant que la nostalgie cinématographique renvoyait souvent à l’idée de décadence en Chine. Mais Huang Shuqin voulait faire un film qui dresse le portrait d’une jeunesse chinoise des années 1950, à la fois enthousiaste et idéaliste, mais qui ne correspond pas forcément au discours dominant à l’époque.

Si Vive la jeunesse a subi des épreuves dans le processus d'examen par les autorités chinoises, il a été reçu avec enthousiasme par le grand public durant sa première projection à Shanghai. Huang Shuqin, très émue, a pleuré en écoutant les commentaires chaleureux des spectateurs. La réalisatrice discrète et taiseuse était, en effet, quelqu’un de très sensible.   

Vive la jeunesse, le premier film de Huang Shuqin en tant que réalisatrice. © Douban

Woman, Demon, Human, premier film féministe chinois 

En 1987, Huang Shuqin présente, lors de nombreux festivals de films internationaux, son oeuvre emblématique Woman, Demon, Human, considéré de concert comme un film féministe. Peut-être « le premier et l’unique film féministe dans l’histoire chinoise », selon les mots de Dai Jinhua, critique de cinéma et professeure influente de l’Université de Pékin. Woman, Demon, Human puise ses inspirations dans l’histoire réelle d’une comédienne d’opéra, Pei Yanling, célèbre pour ses interprétations des personnages masculins, notamment celui de Zhong Kui, chasseur de démons dans la mythologie chinoise. C’est un film de mots et de silence, retraçant le parcours chaotique d’une femme, qui fait allusion au destin des femmes de la Chine moderne. 

Lors de la préparation du film, Huang Shuqin était en pleine création artistique. Son seul objectif était de réaliser un « bon » film, donc un film original véhiculant ses propres visions et réflexions sur le monde. Pour y parvenir, il était important de percer les secrets de la mentalité et de la psychologie chinoises. Ainsi, avec son équipe, après bien des tâtonnements et d'erreurs, elle tente de représenter les scènes les plus symboliques de la condition féminine dans une société patriarcale. En témoigne la scène dans laquelle l'héroïne Qiuyun, habillée en garçon manqué, est accusée, à tort, d'être un voyou dans les toilettes pour femmes. Quoi qu’elle explique, les autres ne la croient pas et lui demandent de se déshabiller pour obtenir des preuves. Huang Shuqin fait répéter cette scène à plusieurs reprises, jusqu’à obtenir, de la part des figurants, un regard vicieux et pervers, portés sur son personnage, afin de mettre en lumière leur part d'ombre. Une scène subtile et marquante. Pour Huang Shuqin, la jalousie, la méchanceté et la violence gratuite cachent en fait des problèmes structurels. Un mal-être symptomatique d’une société qui se referme sur elle-même. 

© Douban

Du dépassement de soi à la quête de soi 

Son autre chef d'œuvre est sans doute La Forteresse assiégée, série télévisée adaptée du roman éponyme du géant de la littérature chinoise Qian Zhongshu. Le livre est un récit satirique de la petite bourgeoisie intellectuelle chinoise des années 1940, ayant pour personnage principal Fang Hongjian, un étudiant de retour en Chine après des années passées sur le Vieux Continent. Huang Shuqin était la personne idéale pour réaliser la série : ses parents, tel le héros du roman, ont également fait des études à l'étranger avant de retourner dans leur pays natal dans les années 1930. Elle était de fait très familière de cette intelligentsia décrite par Qian Zhongshu. Grâce à un scénario solide, un casting prestigieux, et l'exigence artistique de Huang Shuqin, La Forteresse assiégée est devenu un grand classique inégalé, gravé dans le marbre de la télévision chinoise. D’autant que la série, sortie en 1990, a marqué le tournant de l’industrie cinématographique en Chine : depuis, le marché a été pris d’assaut par les films commerciaux. 

Si La Peintre, véritable blockbuster signé par Huang Shuqin, a été un succès commercial, la réalisatrice était loin d’en être satisfaite : « J’ai voulu faire un film à la fois commercial et d’art et d’essai, ce qui s’est révélé un échec total. Je ne refuse pas le côté commercial, mais je ne possède pas de don dans ce domaine », avait-elle commenté, non sans lucidité. Sa carrière de réalisatrice n’a duré qu’une décennie. En 1999, elle a signé sa dernière série Shanghai vicissitudes of life, avant de se retirer peu à peu du monde audiovisuel.

L'autre chef d'œuvre de Huang Shuqin : La Forteresse assiégée, série télévisée adaptée du roman éponyme du géant de la littérature chinoise Qian Zhongshu.© Douban

1 La quatrième génération de cinéastes chinois désigne les cinéastes diplômés d’avant la Révolution culturelle, qui se mettent à réaliser leurs propres films sur le tard, souvent vers 40 ans, après 1978.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.


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