Lan Tianye, géant du théâtre chinois, est mort à 95 ans

1665738264491 China News Ni Wei

Lan Tianye, dernière figure de la génération fondatrice du théâtre chinois et témoin de l'histoire de la Chine moderne, s'est éteint à l’âge de 95 ans. 

Le 8 juin, le comédien chinois Lan Tianye est mort en plein sommeil. « Une vie accomplie, aussi riche qu’une pièce de théâtre », commente Pu Cunxin, acteur renommé et président de l'Association chinoise de théâtre. Quatre jours plus tard, le Théâtre d’art du peuple de Pékin, où Lan Tianye a fait son office, fêtait ses 70 ans. Parmi les spectacles présentés à cette occasion, il y avait La Maison de thé, chef d'œuvre de l'écrivain chinois Lao She. Hasard ou coïncidence : en 1958, c'était bel et bien Lan Tianye, avec les membres fondateurs du Théâtre d’art du peuple de Pékin, qui avait joué dans cette pièce phare du théâtre chinois moderne. Pour beaucoup, il était le dernier géant à quitter la scène : il a joué en 2020 dans la pièce Maison, avant de remettre en scène en 2021 la pièce de théâtre Les rois Wu et Yue. 

© CNS

Membre fondateur du Théâtre d’art du peuple de Pékin

« Gracieux », « fière » et « intègre »... Ces adjectifs reviennent souvent pour décrire Lan Tianye, dernière figure de la génération de l’âge d’or du théâtre chinois. Membre du groupe de théâtre de l'Académie centrale d'art dramatique, il a intégré en 1952 le Théâtre d’art du peuple de Pékin, l’institution publique fraîchement lancée. Il a joué depuis dans pas moins de 70 pièces de théâtre avant de mettre en scène une dizaine d'œuvres, aussi chinoises qu’occidentales. Retraité depuis 1987, il s’est consacré à la peinture et la calligraphie, jouant de temps en temps dans des séries télévisées. 

Personne n’avait pensé qu’il puisse vivre aussi longtemps, car même dans sa jeunesse, surnommé « Monsieur Malade », il souffrait d’une santé frêle, conséquence malheureuse de la période du « Grand bond en avant ». À cette époque, il a travaillé dans les raffineries ou les mines en suivant les consignes du gouvernement. Ce n’est qu’une fois à la retraite que sa santé s'est rétablie petit à petit. En 2011, invité par la direction de son ancien théâtre, il a fait son retour, à 84 ans, sur la scène en jouant dans la pièce Maison.

Lan Tianye (deuxième à droite) dans la pièce La Maison de thé jouée en 1958 © CNS

Du combattant au metteur en scène

Né en 1927 dans le Hubei, Lan Tianye (Wang Runsen de son vrai nom) était un combattant communiste en 1945, en pleine guerre civile en Chine. Sa maison a servi de lieu de rencontres pour les services de renseignements du parti communiste chinois. Ce passionné de peinture a intégré, sous le nom de Lan Tianye, l'univers du théâtre en guise de couverture pour réaliser les missions confiées par le parti fondateur de la République populaire de Chine. 

Malgré son engagement politique dans sa jeunesse, il n’a pas été épargné par la Révolution culturelle. Pire, taxé de « bourgeois » et de « réactionnaire », il a été le premier comédien du Théâtre d’art du peuple de Pékin à se soumettre à l'interrogatoire de la jeunesse dite « révolutionnaire ». Une épreuve qui l’a profondément marqué tant sur le plan personnel que professionnel. En témoigne sa mise en scène, dans les années 1980, de la pièce Les rois Wu et Yue. Avec le scénariste Bai Hua, Lan Tianye a revisité l’histoire légendaire sur Goujian, le roi du royaume de Yue vers la fin de la période du printemps et de l'automne (771 - 476 av. J.-C.). Si Goujian subit l'humiliation et la persécution avant de faire renaître son pays Yue en pleine guerre contre le royaume Wu, ce héros national exerce ensuite un pouvoir débridé sur son peuple au service de son ambition personnelle et finit par ruiner son pays. Une leçon historique qui rime en quelque sorte avec la Chine contemporaine. 

En 2014, 31 ans après sa mise en scène de la pièce Les rois Wu et Yue, il la sélectionne sans hésitation, dans sa liste 14 pièces qui seront jouées dans de nouvelles représentations. Pourtant, ce n’était ni sa pièce la plus connue, ni la plus populaire. « Mais empreinte de réalisme, cette pièce de grande qualité est bien le reflet de nos principes et idéaux d’artiste  », avait-il insisté.     

Lan Tianye (premier à droite au deuxième rang), à vingt ans, dans une photo de famille. © Douban

Le voyage hivernal  : le poids des remords

Lan Tianye, malgré son grand âge, allait souvent au théâtre pour regarder les pièces jouées par de jeunes comédiens. Un jour, il a rencontré au Théâtre Penghao de Pékin la dramaturge Wan Fang, fille du dramaturge emblématique chinois Cao Yu, et lui a proposé d’écrire une pièce sur deux personnes âgées. C’est par le plus grand des hasards que le metteur en scène taïwanais Stan Lai a pris en main cette pièce, qui prit ensuite le nom de Le voyage hivernal, dans laquelle Lan Tianye forme un tandem idéal avec l’acteur taïwanais Lee Li-chun. 

Le Voyage hivernal aborde un sujet aussi politique que humain : les remords et le pardon sur fond de la Révolution culturelle. Les deux protagonistes Chen Qixiang (Lee Li-chun) et Lao Jin (Lan Tianye) sont deux amis d’enfance, mais pendant la Révolution culturelle, le premier, sous pression, dénonce son ami qui finit par passer une grande partie de sa vie en prison. Des années plus tard, Chen Qixiang retrouve Lao Jin pour lui demander pardon. 

Lan Tianye lors d'une répétition théâtrale © Douban

Touché par le scénario, Lan Tianye a reconnu se préoccuper, notamment vers la fin de sa vie, des thèmes traités par la pièce, comme le remords, le pardon, ou encore le souvenir... En tournée à travers la Chine, la pièce de 92 minutes a eu notamment un grand succès à Taiwan.  

Vers la fin de la pièce, les deux personnages, assis en tête à tête, se confient longuement et finissent par dénouer le nœud psychologique qui les enchaînait toute leur vie. La dernière scène où Lao Jin, canne à l’appui, dit « adieu » à son ami qu’il laisse derrière lui comme son passé, nous revient aujourd’hui comme un écho de son interprète nous disant « adieu » avant que le tombé de rideau. « Quand je revois ma vie, j'en suis content, voire fier. Mais c'est également une vie jalonnée d'obstacles et de défis, source d'inspiration de mes créations artistiques »,  avait-il un jour commenté sur sa propre vie.

Photo du haut © Xinhua

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