Le sinologue turc Giray Fidan : Comment “L’Art de la guerre” de Sun Zi reflète-t-il la sagesse chinoise ?

1666856991041 China News Shi Yuanfeng

Giray Fidan, sinologue, professeur à l’université turque Ankara Haci Bayram Veli et premier traducteur en langue turque de L’Art de la guerre de Sun Zi, a récemment accordé une interview exclusive à China News, dans laquelle il expose la sagesse chinoise que reflète cet ouvrage.

L’Art de la guerre de Sun Zi est le premier classique chinois traduit directement du chinois classique au turc. Pourquoi avoir traduit ce livre ?

L’Art de la guerre de Sun Zi n’est pas célèbre qu’en Chine. Il a aussi une grande influence en Occident. C’est même un best-seller. Tout d’abord, L’Art de la guerre est un texte relativement court. Deuxièmement, il a une longue histoire de traduction dans diverses langues, à l’instar du Dao de Jing de Lao Zi. Troisièmement, son contenu est fascinant, non seulement en termes de stratégies et de tactiques de guerre, mais aussi parce qu’il traite de la nature humaine.

« L’Art de la guerre » de Sun Zi, traduit en turc par Giray Fidan © CNS

De nombreux lecteurs occidentaux estiment que L’Art de la guerre est « un ouvrage vieux de 2 500 ans qui énonce de nombreux principes, qui, étonnamment, n’ont pas perdu de leur application aujourd’hui, malgré les progrès technologiques. »

J’ai commencé la traduction de L’Art de la guerre en 2014. À l’époque, mon directeur de thèse, le professeur Pulat Otkan, sinologue turc de la quatrième génération, s’était déjà engagé à traduire ce livre auprès d’une maison d’édition. Il a dû suspendre son travail pour des raisons de santé. Un jour, l’éditeur m’a demandé si je voulais poursuivre la traduction. J’ai contacté Pulat Otkan afin de savoir s’il voulait que nous travaillions ensemble. Il m’a répondu : « J’en serai très heureux. » Voilà comment tout a commencé.

Nous avons convenu de nous retrouver chez lui plusieurs heures, une fois par semaine, pour consulter les différents documents et discuter de manière approfondie. Il n’y avait alors aucune traduction directe du chinois classique en turc et nous ne voulions pas partir de la traduction anglaise ou de toute autre traduction afin d’obtenir un texte plus authentique et plus précis.

Littéralement, le titre chinois du livre signifie « Méthodes militaires de Maître Sun ». Il est traduit par The Art of War en anglais (« L’Art de la guerre »). Selon vous, est-ce un livre sur la guerre ? Quelle sagesse chinoise renferme L’Art de la guerre de Sun Zi ?

Statue de Sun Zi au Japon © Wikimedia Commons

L’Art de la guerre de Sun Zi n’est pas qu’un livre martial avec des stratégies militaires telles que « l’usage des méthodes militaires assure une guerre victorieuse ». C’est aussi une remarquable œuvre littéraire avec des citations populaires comme « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, tu vaincras cent fois sans péril. » Il s’agit également d’un ouvrage de référence pour guider les gens dans leur action, avec une philosophie selon laquelle « être instruit des moyens qui assurent la victoire n’est pas encore la remporter ». L’Art de la guerre de Sun Zi est un joyau du patrimoine culturel de la Chine ancienne et une expression concentrée de la pensée militaire ancienne. Toutefois, je pense que la pensée de Sun Zi est d’éviter la guerre : « Eussiez-vous cent combats à livrer, cent victoires en seraient le fruit. Cependant, ne cherchez pas à dompter vos ennemis au prix des combats et des victoires. S’il y a des cas où ce qui est au-dessus du bon n’est pas bon lui-même, c’en est ici un où plus on s’élève au-dessus du bon, plus on s’approche du pernicieux et du mauvais ». Ainsi, cent victoires en cent batailles n’est pas considéré comme sage, mais soumettre l’ennemi par une voie autre que militaire est sage.

L’histoire de la société humaine montre que la concurrence entre les groupes, et même au sein des groupes, est inévitable, féroce et cruelle. Avant l’apparition de la société moderne, cette concurrence découlait, d’une part, de l’instinct de survie intrinsèque à la biosphère terrestre qui veut que « le plus fort mange le plus faible » et, d’autre part, de la pauvreté des conditions de vie et de l’insuffisance des capacités de production.

Cependant, les souffrances causées par la guerre ont constamment fait l’objet de débats et la mondialisation a favorisé des relations internationales de plus en plus étroites en matière de production et de commerce, apportant avec elles des valeurs de tolérance ainsi qu’une réduction des différences culturelles. La guerre a suscité de plus en plus de ressentiment, de résistance et même de rébellion de la part d’une humanité de plus en plus consciente de son égalité et de son autonomie.

Des soldats de l’armée de terre cuite du Mausolée du premier empereur Qin © Wikimedia Commons

La sagesse de Sun Zi se manifeste dans les lignes suivantes : « Attaquez le plan de l’adversaire au moment où il naît. Puis rompez ses alliances. Puis attaquez son armée. La pire des politiques consiste à attaquer les cités. » Autrement dit, le meilleur usage de la voie militaire est de vaincre par la stratégie, le second est de vaincre par la diplomatie, le troisième est de vaincre par la force et le dernier est d’attaquer la ville ennemie. Le siège est un dernier recours quand tous les autres moyens ont été épuisés.

La logique chinoise pré-Qin est l’apogée de l’histoire de la logique dans la Chine ancienne, à l’instar du taoïsme, du légisme et de plus de cent autres écoles de pensée, dont L’Art de la guerre de Sun Zi n’est qu’une composante. Je n’ai pas encore traduit Mozi ou Han Feizi, mais j’espère pouvoir le faire.

De plus en plus de classiques chinois sont traduits en Turquie, ce qui aide les gens à mieux comprendre la Chine et sa sagesse. Par exemple, l’Occident n’a pas de concepts tels que « la Voie », « l’homme de bien » ou « l’homme de peu », de sorte que leur compréhension ouvrira une toute nouvelle fenêtre. Ma traduction de Gui gu zi (Le Maître de la vallée des démons) a été publiée cette année et la deuxième impression est déjà épuisée. C’est un best-seller en Turquie, comme L’Art de la guerre.

En juin, la traduction turque de L’Art de la guerre de Sun Zi a été imprimée pour la vingt-et-unième fois et s’est vendue à plus de 300 000 exemplaires. C’est un classique largement étudié dans les académies militaires d’Europe et d’Amérique. Selon vous, pourquoi est-il si populaire ?

Des universitaires américains et européens ont commenté Sun Zi dans divers domaines, dont la stratégie militaire, la philosophie humaniste, la concurrence commerciale, la compétition sportive, le développement des talents et la vie sociale et apprécient L’Art de la guerre pour sa pertinence moderne.

En outre, de nombreuses personnes célèbres en ont parlé et l’ont recommandé, ce qui en fait un classique pour les Chinois, mais aussi pour les hommes du monde entier.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo : édition moderne sur bambous de « L’Art de la guerre » © Wikimedia Commons

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