Cai Jindong : « Nous avons vu émerger des compositeurs chinois exceptionnels durant ces 30 dernières années »

1667382642933 China News Sha Hanting

Au-delà des différences culturelles, le dialogue entre les compositeurs chinois et occidentaux de musique classique contribue à enrichir un art centenaire. En interprétant des morceaux écrits par des compositeurs occidentaux, les musiciens chinois commencent à se faire un nom dans le monde de la musique classique, et ils sont de plus en plus célèbres sur la scène internationale. 

C’est notamment le cas de Cai Jindong, aujourd’hui chef d’orchestre renommé et directeur de l'institut US-China Music, ainsi que professeur de musique et d'art au Bard College à New York. Dans une interview accordée à China News, il est persuadé que les liens entre l’Occident et la Chine dans le domaine de la musique classique n’en sont qu’à leurs débuts, et que l’art de la musique classique ne pourra qu’être enrichi par tel dialogue interculturel. 

Pouvez-vous nous présenter un peu votre parcours personnel et les motivations qui vous ont conduit à partir à l’étranger pour étudier la musique occidentale ? 

Ma carrière musicale s’étend déjà sur près d’un demi-siècle, et avec le recul, je pense qu’elle a pris la trajectoire d’un grand aller-retour. J’ai d’abord commencé par la musique chinoise, avant de passer par la musique occidentale pour finalement renouer avec la musique chinoise. 

Dans les années 1960, c’est un peu par hasard que j’ai été initié au violon, et ensuite à la musique occidentale. Puis, en 1979, j'ai été très influencé par la visite, en Chine, de Herbert von Karajan qui dirigeait alors l'Orchestre philharmonique de Berlin. Mais aussi par la visite de Seiji Ozawa, qui dirigeait l'Orchestre symphonique de Boston. Quand j’ai assisté à leur prestation, j’ai ressenti une émotion que je n’avais jamais éprouvée auparavant pour la musique. C’est à partir de ce moment-là que j’ai vraiment voulu devenir chef d’orchestre, et il me paraissait évident que pour réussir dans cette voie, je devais me rendre en Occident. 

J’ai eu beaucoup de chance au début de ma carrière. Au moment où j’étais encore étudiant en doctorat, c’est le départ soudain d’un chef d’orchestre, pour des raisons médicales, qui m’a permis de devenir assistant de direction, puis de monter sur scène au Lincoln Center for the Performing Arts à New-York. Je devais diriger une représentation de Zaide, K. 344 (un singspiel inachevé, en langue allemande de Wolfgang Amadeus Mozart, composé en 1780). Le lendemain, le New York Times m’attribuait une très bonne note pour ma prestation. C’est cet événement qui m’a donné toute ma confiance pour la suite.

Aux yeux du public en général, la musique classique traditionnelle chinoise est tout de même très différente de la musique classique occidentale. Comment voyez-vous les points communs et les différences entre la première et la seconde ? 

Il y a en effet plusieurs différences entre la musique classique traditionnelle chinoise et la musique classique occidentale. La musique classique chinoise souligne par exemple davantage le lien entre la musique et la nature, dont l’homme fait partie. Les titres des morceaux de musique classique chinoise sont presque toujours associés à quelque chose d’autre que la musique elle-même, ils font références à des thèmes extérieurs au monde musical, comme par exemple la nature, avec les montagnes, le mouvement de l'eau, mais aussi la littérature ou l'art. De même, la musique classique chinoise raconte souvent une histoire. 

La musique classique occidentale, en revanche, est plutôt conçue de manière autonome. Elle est aussi davantage marquée par l’influence du compositeur lui-même. En fait, chaque compositeur possède sa propre interprétation de sa musique, et il ne veut pas associer sa composition à des choses extérieures à la musique elle-même. Les titres de morceaux de musique classique occidentale font donc généralement référence à la musique elle-même. C’est ainsi qu’on trouve des titres comme le Concerto pour violon en ré majeur, ou la Symphonie en si bémol majeur, etc. 

Même si les compositeurs ne veulent pas que leur musique soit associée à autre chose que la prestation elle-même, la musique reste de toute façon le reflet de la société dans laquelle elle est composée, et elle est influencée par la manière dont la société et le public la perçoivent. En ce début de 21e siècle, les styles de nombreuses musiques classiques occidentales et orientales se sont mélangés. Aujourd’hui, un compositeur occidental aura moins tendance à écrire un concerto en ré mineur, et d’un autre côté, la musique classique chinoise est aussi influencée par la musique classique occidentale. Sa structure s’est modifiée et son harmonie est plus diversifiée. Les deux styles de musique évoluent et se rapprochent en même temps. 

Comment jugez-vous l’accueil de la musique classique chinoise en Occident ? Est-ce que la sensibilité du public occidental pour la musique classique chinoise a augmenté au cours des dernières décennies ? 

Dans le passé, la compréhension de la musique classique chinoise par les Occidentaux était assez superficielle. Il faut dire aussi que la musique classique occidentale a largement dominé le monde musical au cours des 200 à 300 dernières années. Mais récemment, avec le développement économique de l'Asie et de la Chine, l’intérêt de l’Occident pour la culture chinoise s’est approfondi. Au cours des dernières décennies, la Chine a produit de grands artistes de musique classique aujourd’hui reconnus dans le monde de la musique occidentale. Les Occidentaux ont donc commencé à s’interroger sur les raisons de ce phénomène et le rôle qu’occupait la musique dans la société chinoise. 

Ces dernières années, de nombreux grands musiciens chinois, notamment des compositeurs et des interprètes de musique classique, ont fait leur entrée sur la scène musicale occidentale. Selon vous, comment ce phénomène pourrait-il influencer le monde de la musique occidentale ? 

En effet, les musiciens chinois ont apporté beaucoup de sang neuf à la musique classique au cours des 30 dernières années. Les interprètes chinois peuvent dans un sens modifier l’interprétation de la musique classique occidentale. Quand ils jouent des morceaux comme ceux de Beethoven ou Tchaïkovski, ils ne peuvent pas faire autrement que de laisser un peu transparaître leur influence culturelle chinoise, et les particularités de la manière dont ils ont été formés.  

C’est ainsi que le pianiste Fu Cong avait un jour déclaré que ses racines culturelles chinoises l'avaient aidé à comprendre et à analyser les œuvres de Chopin d'une manière assez particulière. La musique est en effet une forme d’art assez particulier : ce n’est pas la partition qui compte mais la manière dont on la joue. Les musiciens qui jouaient il y a 100 ans et ceux d’aujourd’hui ont la même partition sous les yeux, mais ils ne jouent pas la même musique, ils l’interprètent d’une manière très différente. La musique est un art qui évolue et qui se régénère sans cesse. Le fait que des musiciens chinois interprètent des morceaux occidentaux de musique classique contribue à cette régénération. Rappelons que pendant ces 30 dernières années, nous avons vu émerger des compositeurs chinois exceptionnels, tels que Tan Dun, Zhou Long ou encore Chen Yi. En tant que compositeurs de notre siècle, ils ne sont plus en marge du monde de la musique classique, au contraire, ils jouent un rôle de plus en plus important. 

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photos : CNS


Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.