
Bian Zhilin : un poète d’inspiration orientale et d’influence occidentale
Peu savent que Bian Zhilin a vécu jusqu’en 2000 et qu’il a été un personnage qui est entré dans le nouveau siècle. Il semble avoir été figé à jamais par une sorte de magie dans Fragment et les vers « Tu te tiens sur le pont et contemples le paysage. Ceux qui voient le paysage te regardent d’en haut. La lune orne ta fenêtre, tu ornes les rêves des autres ».
Le « poète mineur »
Après la Révolution culturelle, la revue Poésie a organisé un symposium à Pékin autour du passé et de l’avenir de la nouvelle poésie chinoise. Hu Qiaomu y a présenté un rapport mettant en lumière les réalisations de la nouvelle poésie depuis le mouvement du 4 mai et soulignant que la nouvelle scène poétique avait produit de grands poètes reconnus, comme Bing Xin, Guo Moruo, Feng Zhi et Bian Zhilin.
Bian Zhilin a avoué plus tard à ses amis qu’on ne pouvait le qualifier de poète majeur, mais plutôt de poète mineur.
Version révisée de l’essai de Lloyd Haft intitulée « À la découverte de Bian Zhilin voyage et exploration d’un universitaire occidental » publiée en Chine
Sa Sélection de dix ans de poésie a été rééditée. Il a repris Le Cœur de la littérature et la sculpture des dragons de Liu Xie dans un recueil intitulé Registre historique de la sculpture d’insectes et affirmé que ses poèmes « n’occupent qu’une place temporaire dans le petit coin d’un musée historique ou d’une base de données ».
Ses poèmes figurent dans les premières pages de L’Anthologie de la poésie moderniste, tandis que L’Anthologie de poésie obscure moderne classe ses œuvres comme de la poésie obscure.
Avant cela, un groupe d’universitaires étrangers avait déjà commencé à s’intéresser à Bian Zhilin.
L’universitaire hongkongais Zhang Manyi a été l’un des premiers. Lloyd Haft, sinologue néerlandais, s’est lui aussi intéressé à Bian Zhilin. Il a trouvé la poésie de Bian Zhilin intrigante, de par son inspiration orientale, son influence évidente de la poésie occidentale moderne, son clair-obscur, son yin et son yang. Cependant, il existe très peu de recherches sur sa poésie ou sa vie en Chine continentale et à Taiwan, et encore moins en Occident. Il a donc choisi les recherches sur Bian Zhilin comme sujet de thèse de doctorat.
En 1979, Lloyd Haft est allé à Pékin et a rencontré Bian Zhilin après une série de formalités. Il l’a informé qu’il voulait savoir comment il traduisait les tragédies de Shakespeare en vers. En 2010, dix ans après la mort de Bian Zhilin, une version révisée de l’essai de Lloyd Haft intitulée « À la découverte de Bian Zhilin : voyage et exploration d’un universitaire occidental » a été publiée en Chine.
Après la Révolution culturelle, Bian Zhilin s’est lancé dans la traduction des quatre grandes tragédies de Shakespeare.
Il a traduit Hamlet en 1954, dont le texte a servi au doublage du film Hamlet ou la revanche du prince par les studios Shanghai Film. Sa traduction diffère de celles en prose d’auteurs comme Zhu Shenghao car il a appliqué ses propres idées métriques de la nouvelle poésie et son propre style poétique. Malheureusement, le mouvement a pris de l’ampleur et il a dû abandonner la plume. En 1984, a a finalement traduit Othello, Le Roi Lear et Macbeth.
Après plus de vingt ans sans écrire, Bian Zhilin s’est essayé à la poésie. S’affranchissant des contraintes du genre de la chanson populaire, il a poursuivi l’utilisation de l’allusion et s’est particulièrement intéressé aux règles de la versification. Selon le poète Bei Ta, ses poèmes font preuve d’une telle rigueur dans la rime et le rythme qu’ils sont presque irréprochables. Zhang Manyi reconnaît que sa poésie est empreinte de poésie moderne occidentale et rappelle le style d’Orton et d’Eliot. Toutefois, les deux déplorent, peut-être en raison des années de refoulement émotionnel, que ses poèmes ne sont pas comparables à ses œuvres des années 1930.
Jiang Ruoshui, professeur à l’École des médias et de la culture internationale de l’Université du Zhejiang, affirme que Bian Zhilin a été profondément influencé par l’écrivain français André Gide, dont les pensées et les mots sont devenus la chair et le sang de Bian Zhilin. Il a traduit de nombreuses œuvres de Gide et le tenait en haute estime, au point d’écrire dans une préface : « Le style de Gide a toujours été extrêmement riche de la double beauté de la Bible. L’ardeur spirituelle et la magnificence des sens, telles des flammes blanches comme neige ou des vagues d’eaux dorées. »
« Plus solitaire encore sans cela »
Il avait également des vues obstinées sur l’interprétation de la poésie. Un jour, lorsque l’écrivain Zhou Liangpei a dit que Fragment lui avait fait comprendre que toutes sortes de situations peuvent être des paysages, Bian Zhilin l’a repris en ces termes : « Elle n’exprime qu’un concept relatif et équilibré et ne doit être l’objet d’autres hypothèses. » Zhou Liangpei pensait que la recréation d’une œuvre appartenait au lecteur et que ce n’est pas à l’auteur de l’unifier. Si l’auteur vit mal le fait de ne pas être compris, c’est qu’il est trop las de vivre. Cette perfection est trop lointaine et celui qui la poursuit est voué à la solitude.
Les personnes susceptibles de le comprendre ont diminué. Il a publié le Recueil du Jardin Yuan avec ses camarades de l’Université de Pékin, Li Guangtian et He Qifang, qui a fait sensation dans le cercle de la poésie des années 1930 et lui a valu le titre de membre des « trois poètes du jardin Yuan ». Ils parlaient de tout, surtout de prose.
Lorsque Bian Zhilin a fêté 80 ans, ses élèves de l’Université nationale associée du Sud-Ouest Yuan Kejia, Du Yunxie et Wu Ningkun ont édité le livre Bian Zhilin et l’art de la poésie. Feng Zhi a écrit un poème pour son anniversaire : « Qu’importe que le destin taquine votre bateau, votre poésie est un mât et une godille contre le vent et le courant... Inutile de monter seul dans un immeuble pour parcourir l’histoire de la littérature moderne, cette constellation n’est pas éclatante, bien qu’elle diffuse une lueur unique. »
Zhou Liangpei imaginait Bian Zhilin en personnage poussé par l’histoire, vivant reclus dans un ancien temple, au cœur des montagnes. Partir est aussi une sorte de paix. Il pense souvent à Bian Zhilin, assis dans son bureau, chez lui. Derrière la fenêtre, soufflent les vents et les sables d’hiver et de printemps de Pékin. Bian Zhilin, assis tranquillement, solitaire, profite de la richesse de ses idées.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut © Wikimedia Commons
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