
Hommage à Ren Rongrong, figure emblématique de la littérature jeunesse chinoise
Quatre mois après avoir fêté son centième anniversaire, Ren Rongrong, éditeur, traducteur et auteur de livres pour enfants dont l'emblématique Le négligent et le mécontent qui a marqué plusieurs générations d'enfants chinois, s'est éteint le 22 septembre à Shanghai.
Maîtrisant à la fois l'anglais, l'italien, le russe et le japonais, Ren Rongrong avait traduit de son vivant des milliers d’œuvres étrangères pour enfants, dont Le avventure di Pinocchio (Les aventures de Pinocchio), de l’écrivain italien Carlo Collodi. En 2021, la Maison d’édition de traduction de Shanghai, où il avait fait office pendant de longues années, a publié La collection des œuvres de traduction de Ren Rongrong, en 20 tomes, comptant des dizaines de millions de caractères chinois. Pourtant, cela ne représente que la moitié des œuvres traduites par le brillant polyglotte. Retour sur une vie aussi fascinante que discrète.
Une enfance entre Shanghai et Guangzhou
Né en 1923 à Shanghai dans une famille aisée, Ren Rongrong, Ren Genliu de son vrai nom, s'installe, à l'âge de cinq ans, à Guangzhou, ville natale de ses parents. Il passe son temps à lire des romans d’arts martiaux, ou encore les Quatre grands classiques chinois - Le Rêve dans le pavillon rouge, La Pérégrination vers l'Ouest, Au bord de l'eau et Les Trois Royaumes. Mais ce qui l’intéressait le plus, c’étaient Le avventure di Cipollino (Cipollino, le Petit Oignon) de Gianni Rodari et Le avventure di Pinocchio de Carlo Collodi, deux contes italiens pour enfants traduits en chinois, qui ont été d’ailleurs retraduits par Ren Rongrong lui-même des années plus tard.
Adolescent, il retourne à Shanghai pour intégrer le collège rattaché à The Lester School and Henry Lester Institute of Technical Education, université fondée par les expatriés anglais à Shanghai. Suivant tous ses cours en anglais, Ren Rongrong maîtrise parfaitement la langue de Shakespear depuis le collège. Il apprend ensuite le russe auprès de son camarade de classe Cao Ying, traducteur des romans de Léon Tolstoï, et d’un expatrié russe vivant à Shanghai.
En 1940, il part au Jiangsu pour joindre La Nouvelle Quatrième armée, l'une des deux unités commandées par le Parti communiste chinois au sein de l'Armée nationale révolutionnaire de la République de Chine (1912-1949), dans le cadre du deuxième front uni réalisé par le Kuomintang et le Parti communiste contre le Japon. À cause d'un problème de santé, il doit retourner à Shanghai avant d'être admis par le département de la littérature chinoise dans The Great China University. En 1945, il tente sa chance en envoyant un conte pour enfants traduit du tunisien en chinois à la rédaction de La Nouvelle littérature, un magazine littéraire qui allait être lancé. À sa grande surprise, ce conte est publié dans le numéro inaugural. Depuis, les commandes affluent.
Le négligent et le mécontent
Embauché en 1952 par la Maison d’édition de la littérature jeunesse, il était chargé de la traduction des livres étrangers. À force de traduire des romans jeunesse, Ren Rongrong parvient à inventer ses propres histoires en se basant sur les anecdotes du quotidien. Il se souvient qu’il était un enfant négligent, qui oubliait souvent ses affaires alors que son fils au même âge était souvent “pas content”. C’est ainsi que ses célèbres personnages sont nés, lui inspirant l’oeuvre Le négligent et le mécontent, un grand classique chinois des contes pour enfants, adapté en 1962 en dessin animé par le Studio de film d'animation de Shanghai.
Pour le critique littéraire Sun Jianjiang, Le négligent et le mécontent, à la fois drôle et absurde, marque un tournant dans l’histoire de la littérature jeunesse chinoise, qui, sous influences des traditions millénaires, avait tendance à donner des leçons, ou faire de la pédagogie auprès du jeune public, contrairement à l’esprit du jeu omniprésent dans les oeuvres de Ren Rongrong. Dans ce sens, il a joué un rôle d’avant-garde dans la création littéraire, d’autant que son livre n'a rien perdu de son charme à travers le temps.
Une vie consacrée au bonheur des enfants
Marqué par le classicisme chinois, Ren Rongrong, qui avait écrit sur le thème “les quatre plus grands romanciers de la dynastie Qing” pour son mémoire universitaire, évitait d’utiliser un langage trop châtié dans la traduction des œuvres étrangères. Pour Wei Yuqing, professeur du département des langues étrangères de l’Université de Fudan, le chinois employé par Ren Rongrong demeure parlant et compréhensible, mais qui ne manque pas de finesse et d'élégance.
Vers la fin des années 1970, il intègre la Maison d’édition de traduction de Shanghai. Durant des décennies, il s’est consacré à la traduction des livres pour enfants dont Fifi brindacier, Peter Pan, Gelsomino nel paese dei bugiardi, Winnie l'ourson et La Toile de Charlotte. À 80 ans, il a de nouveau traduit La collection des contes d’Andersens, avant de publier dix ans plus tard un recueil de poèmes pour enfants. En 2012, il remporte le Grand prix pour l’ensemble de sa carrière, décerné par l’Association nationale des traducteurs, ainsi que le Grand prix du Festival international de Chen Bochui.
Ren Rongrong a réussi à mettre la littérature jeunesse, souvent placée en second plan, sur le devant de la scène littéraire et médiatique. Pour lui, ce genre littéraire, émaillé de philosophies, aussi simples que complexes, pourrait apporter un vent de fraîcheur et de beauté dans notre vie quotidienne. En 2004, lors de la republication de son livre Le négligent et le mécontent, il s’est confié, non sans sincérité, à ses lecteurs de différents âges. « J’écris toute ma vie pour vous et j’ai un seul objectif, c’est d’apporter un peu de bonheur dans votre vie », lançait-il aux enfants. Quant à ses lecteurs devenus adultes, il taquinait avec humour : « Bienvenue dans le monde des adultes ! Vous qui me lisiez étant petits, j’espère que vous n’êtes pas déçus ! »
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
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