Thangkas : quels sont les symboles de mélange culturel contenus dans les « peintures à l'huile orientales » ?

1671707019858 China News Zhao Yan

Depuis plus de mille ans, l’art du Thangka se transmet sur les plateaux enneigés du Qinghai-Tibet. Autrefois appelée « peinture à l'huile orientale » en Occident, cette forme artistique s'attache à peindre d’innombrables scènes sur une surface délimitée.

Extrêmement proche de la peinture à l'huile occidentale en termes de procédé pictural, l’art du Thangka est unique dans sa forme et sa technique grâce à l’influence non seulement des styles indiens et népalais, mais également et profondément par ceux de la peinture de la dynastie Tang et des peintures de paysages des plaines centrales.

Quels sont donc les symboles de mélange culturel contenus dans les Thangkas ? Professeur adjoint de l'École d'art de l'Université du Tibet, Liu Yang a récemment accepté une interview exclusive avec China News.

Liu Yang avec ses élèves lors d'un cours de peinture ⓒ CNS

Pourquoi depuis longtemps, les Thangkas foisonnants de « sentiments mystérieux » sont-ils si prisés des collectionneurs ?

Si les Thangkas semblent « mystérieux », c’est parce que les gens ne connaissent que peu de choses à leur propos. Il existe deux catégories de Thangkas, ceux peints à la main et les autres. Peintures dont les pigments ont pour base des minéraux précieux naturels tels que l'agate, le corail et le cinabre, les Thangkas réalisés à la main sont des rouleaux entoilés sur des rideaux de satin coloré. Les thèmes sont avant tout religieux, mais ils portent également sur d’autres domaines tels que l'histoire, la politique, l'économie, la culture, le folklore et les mœurs de l’époque. Ainsi, les Thangkas sont considérés comme « l’Encyclopédie de la culture tibétaine ».

Thangka avec Tara verte (Samaya Tara Yogini) au centre et les Taras bleue, rouge, blanche et jaune dans les angles, XVIIIe siècle, Tibet oriental, Rubin Museum of Art. ⓒ Wikimedia Common

Dans leur forme traditionnelle, ils sont la synthèse de toute la culture tibétaine, englobant l'histoire, les paysages, les sciences humaines, la médecine tibétaine, l'astronomie, le calendrier lunaire, etc. Par leur incarnation concrète de la compétence traditionnelle dite Gong Qiao Ming, c'est-à-dire la maîtrise des sciences et techniques parmi les cinq compétences majeures de la société tibétaine, les Thangkas possèdent une haute valeur d’appréciation artistique et de collection.

Suite à leur inscription sur la liste nationale du patrimoine culturel immatériel de la Chine en 2006, les Thangkas devinrent de plus en plus recherchés par les passionnés, qu’ils soient nationaux ou étrangers. En 2014, le collectionneur chinois Liu Yiqian en a acheté un brodé datant de l’ère Yongle de la dynastie Ming pour 348 millions de dollars HK, établissant à ce jour un record pour la valeur d'enchère d'un Thangka. Ainsi,  cette forme d'art fut immédiatement placée sous le feu des projecteurs.

Le Thangka était autrefois appelé « peinture à l'huile orientale » par les Occidentaux. Quelle est la différence entre son expression artistique et celle de la peinture à l'huile ?

Le Thangka et la peinture à l’huile sont très proches par leur forme d'expression et leurs procédures picturales. Par exemple, avant de peindre le Thangka, la toile doit être tendue, collée et polie. Lors de l’ébauche, les lignes sont tracées sur la toile en utilisant des bâtons de charbon de bois ou des crayons, également plus tard d'autres processus sont similaires tels que ceux de la coloration. C’est ainsi qu’en découvrant le Thangka, certains Occidentaux l’appelèrent « peinture à l'huile orientale ».

Mais cette forme artistique présente des caractéristiques esthétiques différentes de la peinture traditionnelle chinoise et de la peinture à l'huile. Elle revêt non seulement l'esthétique de base de la modélisation d'images, mais est également porteuse de beaucoup de symbolisme et d'esthétique plus profonde.

Bien connu sous le nom d'Amdo Jampa, ce célèbre peintre de Thangka tibétain du XXe siècle a été le premier président de l'Association des artistes de la région autonome du Tibet. S'inspirant de l'essence de l'école de peinture réaliste occidentale, il a créé une peinture réaliste tibétaine traditionnelle unique et a ouvert un nouveau chapitre dans le développement innovant de la peinture tibétaine traditionnelle en adhérant au style lourd, délicat et flamboyant de l'art Thangka tibétain. Son thème favori est celui des déesses et celle qu’il dessine le plus est la Bodhisattva Tara. L'image de la déesse qu'il crée présente les caractéristiques artistiques de la Renaissance occidentale tout en intégrant sa compréhension.

Comment les Thangkas témoignent-ils de l'histoire des échanges sino-tibétains, et de quelle manière leurs éléments picturaux interagissent avec la peinture chinoise pour former leurs propres caractéristiques ?

Thangka de Guhyasamaja Akshobhyavajra, XVIIe siècle, Tibet central, Rubin Museum of Art. ⓒ Wikimedia Commons

Dans l'histoire du développement de la civilisation chinoise, tous les groupes ethniques ont progressé et se sont développés à travers des relations, des échanges et des intégrations communes. Au fil d’une évolution continue, le Thangka a absorbé l'essence des cultures de ces divers groupes ethniques.

Du point de vue de la forme artistique, la technique appliquée au Thangka a été influencée par le style pictural de la dynastie Tang, tout comme celui des paysages bleu-vert des plaines centrales qui lui a été continuellement intégré. Plus tard, il a également assimilé de nombreuses règles et techniques de la peinture réaliste et tout comme celle de paysage. Ainsi,  l’étreinte de nuages colorés dans le ciel, l’ondulation des massifs rocheux sur le sol, les bodhisattvas assis sur des nuages flottants dans le ciel, les personnages cheminant dans un paysage verdoyant procurent un aspect général vivant et riche en plusieurs strates. Le Thangka sur rouleau du XIVe siècle intitulé Déesse est la peinture existante la plus ancienne qui utilise pleinement les techniques chinoise de la peinture de paysage : les roches turquoises, les nuages stylisés et les feuilles denses sont évidemment inspirés du style chinois tout comme la composition spatiale très hiérarchisée.

Les cultures continentale et tibétaine sont le fruit d’un processus d'intégration mutuelle. Dès l’ère Tubo (627-877), la renommée de Confucius se répandit au Tibet avec les échanges culturels entre les Tang et les Tubo pour s’unir avec l’identité du peuple tibétain. Ainsi, dans le Thangka datant de la dynastie Qing intitulé Gongze Chuji (Dieu se transforme en roi Confucius), Confucius - sage moral du confucianisme -  a été transformé par le peuple tibétain en trinité Gongze Chuji Jiebu (Saint, Dieu, Roi), Jiebu signifie effectivement « roi » en tibétain. Dans le bouddhisme tibétain, Gongze Chuji Jiebu est considéré comme un disciple de ou l’incarnation de Manjushri. Bien que les deux images soient très éloignées, conformément aux besoins des traditions culturelles propres au peuple tibétain et donc de sa propre imagination, l'image de Confucius est remodelée.

Ceci montre également l'influence de la culture des plaines centrales sur le contenu des Thangkas dans l'histoire. En tant qu'encyclopédie tibétaine, le Thangka joue le rôle mémoriel et de diffusion à travers les motifs dessinés. C’est également un témoignage de l'échange et de l'intégration des cultures chinoise et tibétaine. Du point de vue du processus historique, depuis l'Antiquité, la culture tibétaine est une partie importante et inséparable de la culture chinoise. Ceci est particulièrement le cas avant que la culture tibétaine ne soit influencée par le bouddhisme ; elle était alors intégrée à la culture des plaines centrales dans de nombreux domaines.


Photo du haut : Xinhua

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