Qu’est ce qui fait de Nuwa la plus grande déesse chinoise ? Quelles sont les différences entre ce mythe et celui des déesses occidentales ? Pour répondre à ces questions, le média China News est allé à la rencontre du professeur Huo Zhijun, également directeur exécutif de l'institut de recherche culturelle Fuxi de l'Université normale de Tianshui.

Nuwa est la première « déesse-génitrice » de la mythologie de l’empire du Milieu. Elle est considérée comme la plus importante des déesses chinoises. Pouvez-vous nous en dire plus sur elle ?

Le mythe de Nuwa a pris une signification sociale et culturelle toujours plus importante au fil des siècles. En Chine, on raconte que Nuwa aurait créé les premiers hommes avec de l’argile et qu’elle aurait réparé le ciel. Elle se serait aussi mariée avec son frère Fuxi (héros civilisateur et chef du peuple Huaxia). Elle aurait donné aux humains le pouvoir de procréer et aurait aussi inventé le rite du mariage.

Le mythe selon lequel les hommes ont été inventés à partir de l’argile doit se comprendre dans un contexte bien précis : celui de l’environnement primitif des êtres humains à l’époque. Cet environnement était rude, les forces productives de l’humanité étaient très limitées et les hommes avaient une très faible espérance de vie. C’est du fait de ces dispositions que les hommes primitifs ont accordé beaucoup d’importance à la reproduction de leur force de travail et à la transmission de leur patrimoine. Ces deux aspects ont été alors jugés comme des priorités absolues de l’humanité. Ce mythe de l’homme créé à partir de l’argile reflète donc finalement les représentations et les croyances des hommes primitifs et témoigne de l’importance qu’ils donnaient à la fertilité et à la fécondité.

Dans le mythe de Nuwa, on dit que cette dernière a fait preuve d’héroïsme en colmatant un trou dans le ciel (celui-ci avait été brisé, entraînant un immense déluge). Dans son acte héroïque, Nuwa aurait fait fondre une pierre de cinq couleurs pour « boucher » le trou du ciel. En agissant de la sorte, elle aurait servi d'intermédiaire entre les hommes et les dieux. De par son rôle de lien entre le monde réel et le monde mystique, Nuwa s’est vue attribuer l'image d'une héroïne par les peuples chinois primitifs. C’est le mythe de Nuwa qui explique que les Chinois ont alors commencé, à l’époque, à accorder beaucoup d’importance au travail, à la production, mais aussi au culte de leurs ancêtres.

ⓒ Wikimedia Commons

Enfin, la légende de Nuwa ne repose pas uniquement sur un mythe créateur. On raconte que Nuwa aurait aussi inventé plusieurs instruments de musique, comme le saenghwang (la version coréenne du sheng ou du shō japonais, un instrument à vent à anche libre), le « se », (une ancienne cithare pincée) ou encore le « xun » (une flûte globulaire en terre cuite). En Chine, elle est également vénérée comme une « déesse de la musique ». Les Chinois disent aussi de Nuwa qu’elle aurait établi le système de mariage en permettant aux êtres de deux sexes de se reproduire et d’éprouver de l’amour l’un pour l’autre. Nuwa est donc aussi vénérée comme la « déesse des rituels », tout comme la « déesse de la nature ». Elle a créé tout ce qui existe dans ce monde, elle est donc la déesse toute-puissante de la nation chinoise.

Comment et pourquoi le mythe de Nuwa s’est imposé dans la culture traditionnelle chinoise du culte des divinités féminines ?

À ses débuts, la société humaine est fondée sur un modèle matriarcal. Le premier culte des ancêtres que les hommes ont pratiqué repose donc d’abord sur une divinité féminine. Le culte des déesses n’est pas comparable aux déités plus récentes de notre histoire, il correspond à une représentation spécifique aux hommes primitifs qui remonte aux temps les plus anciens. La croyance aux divinités féminines est ce sur quoi le peuple chinois a placé à l’époque la plus pure et la plus belle de ses croyances. C’est pour cette raison qu’on retrouve plusieurs autres déesses dans la mythologie chinoise, comme Xiwangmu, Chang'e, Zhinu ou encore Mazu. Nuwa est juste la toute première : c’est elle qui a créé et qui a sauvé le monde. Le mythe fondateur de Nuwa a également une part d’explication dans le fait que les Chinois sont très attachés à la bonne réalisation des rites funéraires. Le mythe de Nuwa symbolise la prudence du peuple chinois et son plus profond respect pour sa génitrice. On ne retrouve cette dimension chez aucune autre déesse chinoise.

Temple Nuwa au Gansu ⓒ Wikimedia Commons

Qu’est-ce qui différencie Nuwa des déesses occidentales ?

Tous les peuples du monde ont chacun leur propre version d’un mythe de la création. L’apparition des déités créatrices du monde, dans la haute antiquité, symbolise le fait que l’humanité a toujours su dépasser l’existence des chaos naturels. Ces mythes ont aussi marqué le début d’une réflexion consciente de l’homme sur lui-même et sur l’humanité en général.

Dans le cas de la Chine, le mythe de la déesse de Nuwa met en scène une héroïne de la création qui se bat contre le ciel et la terre et qui a le courage de créer le monde des premiers hommes. C’est un mythe qui reflète le dévouement désintéressé d’une déesse-génitrice, qui utilise toutes les méthodes possibles pour sauver l'humanité toute entière. En clair, la déesse Nuwa s’est sacrifiée pour protéger la terre et les vivants. Ce mythe explique en partie les valeurs du peuple chinois aujourd’hui et notamment l’importance qu’il attache à la collectivité. Le mythe de la déesse de Nuwa symbolise le précieux esprit de création, d'entreprise et d'innovation dont est capable de faire preuve le peuple chinois.

Parmi les déesses occidentales, les mythes d’Athéna, la déesse de la sagesse et de la guerre, celui d'Héra, la déesse du mariage et de la fécondité ou encore d’Aphrodite, la déesse de l'amour, symbolisent une vision différente du monde. Ce sont des mythes qui correspondent aux valeurs idéologiques de l’Occident : on y retrouve les valeurs de liberté ou celle de l’importance accordée à l’individu. C’est une logique assez différente de ce qui existe dans la mythologie chinoise, dont les valeurs prônent un sens aigu de l’amour et du dévouement pour le peuple, et font du bien commun un bien suprême. Dans la mythologie chinoise, les dieux sont capables de pouvoirs extraordinaires par rapport aux gens ordinaires et sont parfaits, mais ils sont aussi désintéressés. 

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : statue de Nuwa dans le Sea World à Shenzhen. DR.