
Pourquoi le Zhouyi est-il la première brique de la Grande muraille de la culture chinoise ?
L’interprétation du Zhouyi ou Mutations des Zhou reste un mystère pour les universitaires et un sujet de division. Comment doit-on lire aujourd’hui cet ouvrage de sagesse issu de la culture orientale ? Dans quel mesure le Zhouyi se diffuse-t-il aujourd’hui au niveau international ?
Pour répondre à ces questions, China News a interviewé Lang Baoru, professeur à l’Université de Mongolie-Intérieure. Ce dernier estime que, dans un certain sens, le Zhouyi est la première brique de la Grande muraille de la culture de Chine.
Yi Jing - Albin Michel
Lorsque l’on évoque le Zhouyi, la première impression de beaucoup de gens est qu’il s’agit d’un livre de divination. Selon vous, de quel genre de livre s’agit-il ?
Il va sans dire que le Zhouyi est avant tout un livre de divination. Le caractère shi (qui signifie « divination avec des tiges d’achillée ») est composé du caractère bambou et du caractère sorcier, ce qui signifie que les sorciers utilisaient le bambou pour pratiquer la divination et communiquer avec les dieux. Le mystère est partie intégrante de l’art divinatoire, bien que son système narratif indique qu’il est un ouvrage historique et l’histoire de la fondation des Zhou occidentaux. Étant donné qu’il y est question de divination, certains éléments historiques clés sont masqués, comme le temps, le lieu, les personnes et les événements, ce qui en rend la lecture particulièrement obscure. Son auteur a délibérément défini un code d’informations dans chaque hexagramme, et ce n’est qu’en déverrouillant ces codes que les informations se dévoilent les unes après les autres.
Dans le cas de l’hexagramme gu, la sentence divinatoire « trois jours avant le premier des dix troncs célestes, trois jours après le premier des dix troncs célestes » est un code informatif. Grâce à l’étude approfondie des Six classiques, ce mot de passe peut être déverrouillé. On lit dans « Fonctionnaires du printemps, rites, cérémonies et protocoles » du Zhouli (« Rite des Zhou ») : « Pour tous les sacrifices au grand dieu, aux grands esprits et au Dieu de la terre, le commandant consulte le choix du jour. » Le grand dieu fait référence à l’Empereur du Ciel Haotian. Les ancêtres vénérés dans le temple des ancêtres étaient les grands esprits. Le caractère shi fait alors référence au Dieu de la terre, dieu du sol et des céréales. À l’époque, seul le Fils du Ciel était qualifié pour faire des offrandes au Ciel.
Dans quelles circonstances le Fils du Ciel avait-il donc besoin de faire des offrandes aux esprits et aux dieux de la terre et du ciel ? On lit dans le « Système des rois » du Liji (« Classique des rites ») : « Le Fils du Ciel part en campagne, tel un Dieu. Il convient à la société, il le fait pour le temple des Pères. » Le temple des pères fait référence aux grands esprits. Durant les dynasties Shang et Zhou, quel roi est parti en expédition militaire durant les dix premiers troncs célestes ? Il est écrit dans les « Récits fondamentaux des Zhou » des Mémoires historiques que la onzième année du règne du roi Wu, au premier tronc céleste du deuxième mois, le roi Wu s’est rendu à Muye, en périphérie du royaume de Shang. Nous avons élucidé le code. Le temps, l’espace, les personnages et l’événement se sont dévoilés les uns après les autres.
Finalement, les livres de divination et les ouvrages historiques peuvent coexister, sans interférer les uns avec les autres. Il en est de même avec le Classique des vers, qui n’est pas seulement une œuvre littéraire, mais qui narre aussi l’histoire de la naissance de la dynastie des Zhou occidentaux. Tout dépend de l’angle sous lequel on le lit et l’interprète. Dans le livre que j’ai récemment publié, Annales cachées de l’univers - déverrouiller le code du Zhouyi, j’interprète le Zhouyi du point de vue de « l’histoire dissimulée des Zhou occidentaux ».
Zhouyi - DR.
Comment êtes-vous arrivé à la conclusion que le Zhouyi est un récit historique sur la fondation de la dynastie des Zhou occidentaux ?
L’histoire est la science humaine la plus ancienne et la plus mature en Chine. L’ensemble du monde académique s’accorde à dire que les Six classiques sont de l’histoire. Le Zhouyi est naturellement historique.
On lit dans les « Sentences attachés », dans les Commentaires du livre des mutations : « N’est-ce pas à la fin de Yin, à la montée de la vertu de Zhou et durant les troubles qui ont opposé les roi Wen et Wu que les mutations ont prospéré ? ». Il est néanmoins regrettable que les chercheurs aient rarement exploré le Zhouyi d’un point de vue historique, car cela ouvre la voie du débat.
Au cours de mes années de recherches, j’ai découvert que, bien que les Six classiques soient tous historiques, chacun a son propre terrain de prédilection. Le Shangshu (« Classique des documents ») s’intéresse à l’histoire des textes. Les Trois rites (Zhouli, Yili et Liji) traitent de l’histoire des institutions. Le Shijing (« Classique des vers ») parle de l’histoire de la poésie. Le Zhouyi raconte de façon voilée l’histoire de la fondation de la dynastie des Zhou occidentaux.
Étudiés séparément, chacun de ces textes ne donnent qu’une image superficielle de l’histoire. Ce n’est qu’en les examinant ensemble que l’image originale de l’histoire peut être restaurée. Cette méthode consiste à examiner les Six classiques ensemble. C’est ainsi que j’ai procédé pour interpréter l’hexagramme gu. Seulement alors on aiguise son œil, car tout vient à point à qui sait attendre. J’ai procédé de même avec différents hexagrammes. L’hexagramme tun fait référence à Gugong qui se déplace vers Qi. L’hexagramme weiji s’intéresse à Wang Ji qui combat les Guifang. L’hexagramme huan fait allusion au roi Wen qui se rend à Feng. L’hexagramme bi traite de la réunion de Mengjin. Sun et yi font référence à l’expédition orientale du duc de Zhou et l’hexagramme jin à Kangshu qui ferme l’état de Wei. Une fois ces événements historiques vérifiés, la chaîne intégrale de la fondation de la dynastie des Zhou occidentaux se referme. Cela prouve que le Zhouyi est bien « l’histoire masquée de la fondation des Zhou occidentaux » et qu’il est pleinement valide.
Zhouyi - DR.
Quelle compréhension ont les chercheurs occidentaux du Zhouyi, livre de sagesse de la culture orientale ?
Voilà comment s’est diffusé le Zhouyi en Occident. Il a été traduit pour la première fois en anglais à partir du chinois par James Legge en 1882. En 1923, Richard Wilhelm l’a traduit du chinois à l’allemand et Cary F. Baynes l’a traduit de l’allemand à l’anglais. Cette version est la plus populaire auprès des Occidentaux. Il existe également une autre traduction anglaise datée de 1965, par John Blofeld.
Deux traductions chinoises représentatives ont été publiées en Chine : Étude de l’histoire de la pensée chinoise du chercheur japonais Kenji Shimada et Histoire de la pensée chinoise de la française Anne Cheng. Ces deux ouvrages offrent une interprétation du Zhouyi. Bien que l’un vienne d’un voisin oriental et l’autre d’Occident, ils abordent tous deux les Commentaires du Livre des mutations comme étant la pensée du Zhouyi. Cela montre que leur connaissance du Zhouyi reste relativement superficielle.
S’il existait une traduction fiable en langue étrangère permettant aux lecteurs occidentaux d’acquérir une compréhension plus profonde du Zhouyi, il deviendrait un classique pour mieux comprendre la civilisation chinoise. Si l’on compare la culture chinoise à l’imposante Grand muraille, le Zhouyi en est la première brique, ce qui laisse beaucoup de place pour la diffusion du Zhouyi à l’étranger.
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Photo du haut : Unsplash
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