
« Omeros » de Derek Walcott fait-il le lien entre cultures poétiques orientale et occidentale ?
Pourquoi un long chef-d'œuvre comme Omeros a-t-il été si bien accueilli par le public, tant en Orient qu'en Occident ? Que peuvent apporter son style et ses idées à la poésie chinoise ? Quel est le rôle de la poésie et de la littérature dans les échanges entre l'Orient et l'Occident ? Le poète chinois Yang Tiejun, traducteur de la version chinoise d'Omeros, a récemment été interviewé par China News pour partager son point de vue.
Omeros est extrêmement long et son contexte culturel, notamment l'histoire coloniale des Caraïbes, n'est pas très connu en Chine. Quel était le but initial de la traduction de cette œuvre ?
Avant qu'il ne soit connu du public chinois, Omeros était entouré de mystère. Peut-être l'incompréhension qu'il suscite a-t-elle fait naître une grande admiration chez les lecteurs.
Je traduis une œuvre uniquement si je peux en apprendre quelque chose. Mon intention initiale est de présenter en chinois ma compréhension de l'œuvre originale. Cette interprétation doit être à la hauteur du texte source. Pour obtenir un tel effet, il faut travailler de manière répétée et consacrer suffisamment d'efforts. La réussite de la traduction en dépend. Je le sais très bien grâce à mon expérience de la traduction d'Omeros.
Selon vous, quelles caractéristiques d'Omeros lui ont valu les éloges des cercles littéraires orientaux et occidentaux ?
Omeros est considéré en Occident comme une œuvre post-coloniale. Walcott a cherché à réaliser une certaine forme de réconciliation entre le local caribéen et l'« ailleurs » ou centre occidental, ce qui n'est pas la revendication post-coloniale la plus typique, mais constitue une pratique et une réflexion littéraires précieuses.
Les mérites artistiques d'Omeros sont également à l'origine de son succès critique en Occident. En Chine, c'est presque la seule raison. Je pense qu'Omeros mérite pleinement l'estime dans laquelle il est tenu par les cercles littéraires chinois.
Les réflexions de Walcott sur le sort et l'avenir des Caraïbes dans la période post-coloniale sont également riches d'enseignements pour nous. Nous devons également réfléchir à la manière dont nous pouvons établir une interaction saine avec la culture occidentale, plutôt que de nous y soumettre ou de la rejeter aveuglément.
Quelles sont les différences de forme, de contenu et de sujet entre les chefs-d'œuvre de la poésie contemporaine, comme Omeros, et la poésie chinoise ? Quelles sont les similitudes et les ressemblances ?
Il n'existe pas de genre tel que l'épopée dans l'histoire chinoise, il est donc difficile de comparer. Cependant, nombreux sont ceux qui déplorent l'absence de poésie épique en Chine et l'attribuent à un défaut inhérent à la culture chinoise. Je ne partage pas ce point de vue. Toute la littérature parle de personnages, d'amour, d'idéaux. Il en est de même en Chine et à l'étranger. C'est la capacité d'une œuvre à satisfaire cette plus grande convention humaine qui permet de juger si elle peut être transmise à la génération suivante. À cet égard, Omeros ne fait pas exception, la compréhension et l'appréciation qu'en ont les lecteurs chinois en est la meilleure preuve.
Comment voyez-vous le rôle des œuvres poétiques dans les échanges entre les civilisations orientale et occidentale ?
Il y a eu de nombreuses traductions en chinois de la poésie occidentale, l'histoire de la traduction des poètes occidentaux est également très ancienne. En réalité, le développement de la nouvelle poésie chinoise ne peut être séparé de la traduction, depuis l'ère moderne, des œuvres poétiques occidentales par plusieurs générations de poètes chinois. Ainsi, la poésie occidentale peut presque être considérée comme la source d'eau vive de la nouvelle poésie chinoise.
L'intérêt de la plupart des Occidentaux pour la poésie chinoise s'est arrêté à la poésie classique. L'excellente poésie chinoise contemporaine n'a guère été prise au sérieux en Occident. Elle est uniquement considérée via le prisme de l'actualité, l'accent est mis sur sa dimension sociale plutôt que de l'accepter comme un art littéraire.
La communication est par nature un processus de lecture erronée qui est elle-même un échange, une collision. Grâce à ses propres préoccupations sociales, l'Occident s'intéresse donc aussi aux divers phénomènes poétiques en Chine, afin de soutenir leurs cadres théoriques et cognitifs. De même, dans le passé, tout était pris pour argent comptant, mais finalement, les gens ont corrigé leurs mauvaises interprétations de l'Occident.
Yang Tiejun, poète, originaire de Ruicheng, dans la province du Shanxi, est entré au département de chinois de l'université de Pékin en 1988. Il a obtenu une maîtrise en littérature mondiale de l'université de Pékin en 1995 puis est allé à l'université de l'Iowa pour préparer un doctorat en littérature comparée. Il est l'auteur de deux recueils de poésie. Parmi ses œuvres traduites, citons In the Clearing de Robert Frost, Electric Light de Seamus Heaney, un recueil des écrits de Fernando Pessoa (sélectionné comme l'un des « dix meilleurs livres de l'année » dans le cadre du Mois de la lecture de Shenzhen 2019), Poetry in the Making de Ted Hughes, Omeros (lauréat du prix de la traduction lors du 4e Prix de la poésie Yuan Kejia et le prix de la traduction littéraire lors du 8e Prix de littérature Lu Xun) et La Lumière du monde de Derek Walcott, etc.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
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