
Mah-jong : itinéraire d'un phénomène culturel aux États-Unis
Le mah-jong serait-il devenu un symbole de la modernité américaine ? Dans un entretien accordé à China News, Annelise Heinz, professeure d’histoire, retrace le parcours d’intégration de ce jeu chinois aux États-Unis au cours du siècle dernier.
« Le mah-jong crée de l’ordre à partir du chaos, en fonction du tirage au sort des titres », confiait l’actrice américaine Julia Roberts, non sans philosophie, lors d’une émission télévisée. La star hollywoodienne, passionnée de mah-jong depuis de longues années, a ainsi mis ce jeu de société d’origine chinoise sur le devant de la scène médiatique. Elle n’est pas la seule célébrité américaine à être séduite par ce jeu très populaire en Asie orientale. Shaquille O’Neal, ancien joueur de basketball américain et fin connaisseur de mah-jong, est allé jusqu'à se rendre en Chine lors de la fête du Printemps, pour jouer à ce jeu avec des locaux.
Selon les statistiques de différents pays, il existe pas moins de 40 variations du mah-jong, mêlant souvent coutumes et traditions locales. Aux Philippines, on joue même le mah-jong dans des cimetières lors des jours de commémoration des défunts. Ainsi, le mah-jong est devenu un véritable phénomène culturel, notamment aux États-Unis. Annelise Heinz, professeure d’histoire à l’Université Oregon des États-Unis et auteure du livre Le mah-jong : un jeu chinois et la fabrication de la culture moderne américaine (Mahjong: A Chinese Game and the Making of Modern American Culture), expose la portée universelle du mah-jong, qui dépasse souvent les frontières ethniques, nationales, et même sociales.
Aux origines d'un phénomène culturel
Dans les années 1920, c'est l'Américain Joseph Park Babcock, auteur de Règles du mah-jong, qui a contribué à vulgariser, auprès du public américain, ce jeu né au XVIIIe siècle dans l’empire du Milieu. Le mah-jong a réussi à intégrer, au milieu du XXe siècle, le quotidien des Américains, pour plusieurs raisons. Plus qu’un simple jeu divertissant, le mah-jong nous offre également une réjouissante expérience sensorielle. Pour Annelise Heinz, les tuiles, aussi froides que lisses, conçues avec soins, s’entrechoquent lors de leur mélange et émettent des cliquetis, nous plongeant dans un univers sonore presque hypnotique. Associant stratégie, technique et une part de chance, les joueurs du mah-jong gagnent souvent une manche grâce au sens de l'observation et de l'intuition. Entre considération, calcul et psychologie, le jeu pourrait facilement créer de la fascination, voire de l’addiction.
Le mah-jong est également un jeu pour entretenir des relations interpersonnelles, en réunissant amis et proches pour passer un bon moment de détente. Au gré de la popularité du mah-jong aux États-Unis, les Américains ont même nourri leur curiosité portée sur la Chine, en essayant de l’analyser et l’interpréter sous l’optique du mah-jong.
Le mah-jong, partie intégrante de la culture américaine
Le mah-jong n’a cessé d'évoluer aux États-Unis. La ligue nationale du mah-jong, créée en 1937, a modifié les règles du jeu en lançant le mah-jong américain. Tout un symbole de l’américanisation du jeu chinois. Depuis 1923, ayant flairé opportunité, les commerçants, chinois et occidentaux, ont commencé à construire à Shanghai des usines pour fabriquer en masse les set de mah-jong visant le marché américain. Même certains fabricants de produits en plastique new-yorkais se sont mis à produire les coffrets mah-jong. Au-delà de sa portée économique, le mah-jong s’est également installé dans le paysage culturel et le quotidien des Américains.
Des galas de Manhattan aux Chinatowns, en passant par les quartiers juifs, le mah-jong, selon Annelise Heinz, demeure le miroir de la société américaine, marquée par le multiculturalisme, ainsi que l’hospitalité et la tolérance des cultures venues de l’étranger. Entre nostalgie du pays natal, curiosité sur le sol d’une terre lointaine et représentation d’une Amérique cosmopolite et moderne, le mah-jong offre, de fait, une multitude de possibilités pour se projeter dans l’imaginaire de l’empire du Milieu. D’autant que les joueurs pourraient également renforcer un véritable sentiment d’appartenance, en s’identifiant à une classe sociale qui est en train de se forger une identité commune. « En cent ans, le mah-jong est devenu un jeu qui dépasse les différences de sexe et d’éthnies, et sert de pont pour tisser des relations interpersonnelles. Il fait partie intégrante de la culture américaine », explique Annelise Heinz.
La quête d’identité à travers le mah-jong
Le mah-jong américain séduit des générations d’Américains d’origine chinoise.
« Les jeunes sino-américains voient en mah-jong le symbole de la modernité américaine et de la culture traditionnelle chinoise. Il est plus facile pour eux d’accepter cette identité qui possède deux cultures, entre la Chine et les États-Unis, sans être obligés de faire un choix entre les deux », poursuit Annelise Heinz. Pour elle, la culture du mah-jong fait désormais partie du quotidien des sino-américains : on joue au mah-jong le jour du nouvel an lunaire ; les associations organisent régulièrement des événements autour du mah-jong pour les retraités. Dans Crazy Rich Asians, blockbuster américain sorti en 2018, on assiste également à une séquence emblématique dans laquelle les personnages jouent au mah-jong, suscitant curiosité et enthousiasme chez les jeunes générations pour ce jeu désormais mondialement connu.
En un siècle, le mah-jong, ainsi que ce qu’il incarne culturellement, ne cesse de se métamorphoser au fil des ans dû aux transformations sociale, démographique ou encore technologique. Pour Annelise Heinz, sous l'impulsion des joueurs de la nouvelle génération, ce jeu d’origine chinoise réserve encore son lot de surprises sur fond de révolution numérique.
Photo du haut : Freepik
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