
Lin Yutang, passeur de culture entre Chine et Occident
Né en 1895 au Fujian, l’intellectuel surdiplômé et cosmopolite a écrit en langue de Shakespeare ses chefs-d'œuvre les plus emblématiques, faisant rayonner la culture traditionnelle chinoise sur la scène internationale.
« L'idéal commun, c'est d'habiter dans la campagne du Royaume-Uni, de s'équiper en électricité et au gaz américain, de recruter un cuisinier chinois, d'épouser une Japonaise et d'avoir une maîtresse française », s'était amusé à dire Lin Yutang, écrivain, universitaire et traducteur chinois né en 1895. L'homme qui a inventé l'expression chinoise du mot « humour » est également un pratiquant inlassable de cet art dans la vie. Une recette sans doute efficace pour faire comprendre la culture traditionnelle chinoise auprès des Occidentaux. Car Lin Yutang est le premier auteur chinois à connaître une célébrité outre-mer pour ses livres écrits en anglais.
Ayant fait ses études aux États-Unis, en Allemagne et officié dans les universités chinoises les plus prestigieuses, l’intellectuel surdiplômé et cosmopolite a écrit en langue de Shakespeare ses chefs-d'oeuvre les plus emblématiques, comme Un moment à Pékin, La Chine et les Chinois, ou encore La sagesse de Lao Tseu. Grâce à lui, les grands noms de la littérature chinoise, tels que Tao Yuanming, Li Bai, Su Dongpo ou encore Cao Xueqin, ont pu atteindre le public occidental. Dans un entretien accordé à China News, Qian Suoqiao, professeur de littérature et spécialiste de Lin Yutang, de l’Université Newcastle de la Grande Bretagne, revient sur le parcours peu commun de ce passeur de culture, ainsi que ses contributions inégalées aux échanges culturels entre la Chine et le reste du monde.
Il est considéré comme l’un des intellectuels chinois qui a réussi à faire connaître la culture chinoise auprès des Occidentaux. Comment y est-il parvenu ?
Il a réussi à promouvoir la culture chinoise dans l’Occident grâce aux livres qu’il a écrits, traduits ou édités, ainsi qu’aux divers événements publics auxquels il a activement participé. Pendant longtemps, ce sont les missionnaires occidentaux, tels que Matteo Ricci ou James Legge, qui ont dominé les échanges culturels entre la Chine et le reste du monde. Depuis les années 1840, si les intellectuels chinois ont commencé eux-mêmes à traduire en chinois les livres et les pensées occidentales, Lin Yutang faisait partie des rares universitaires chinois qui écrivaient directement en anglais pour faire connaître la culture chinoise en Occident. À l’époque, dans la presse anglophone de la Chine, voire dans les médias anglais ou américains, Lin Yutang a été l’un des intellectuels chinois les plus cités. Preuve de l’ampleur de l’impact de ses œuvres. Une popularité qui pourrait être expliquée par deux raisons : les échanges culturels, aussi dynamiques que fluides, entre la Chine et les États-Unis, et l’art de discours maîtrisé par Lin Yutang.
Loin d’être un donneur de leçon dogmatique, il préfère échanger avec les gens, souvent dans un cadre de détente et de relaxation. De plus, au lieu d’aborder les grands classiques comme Les quatre livres et les cinq classiques ou Vingt-Quatre histoires, il choisit souvent des sujets beaucoup plus quotidiens, comme l’art du thé, la lecture, les femmes, l'anglais pidgin chinois, ou encore la déclaration de l’indépendance américaine… C’est quelqu’un qui savait très bien jouer de la proximité avec ses lecteurs. Il mise sur l’intérêt et la curiosité portés par les Occidentaux sur la Chine. Sans la curiosité mutuelle entre les deux peuples, les échanges culturels n'auraient jamais eu lieu.
Dans quelles mesure les romans écrits par Lin Yutang font-ils preuve de synthèse esthétique entre la Chine et l'Occident ?
Le roman le plus célèbre écrit par Lin Yutang serait sans doute Un moment à Pékin, qui a été adapté en 2005 en série télévisée et a eu un grand succès auprès du public chinois. Le roman rédigé en anglais est dédié aux « combattants courageux au temps de guerre » et vise un lectorat occidental. Inspiré du Rêve dans le pavillon rouge, l'un des quatre grands romans de la littérature classique chinoise, Un moment à Pékin dépeint, à travers une multitude de personnages féminins, une Chine moderne. Yao Mulan, héroïne dans le roman, incarne l’idéal de la Chinoise moderne aux yeux de Lin Yutang. Une modernité chinoise qui réside justement dans le rapprochement des deux univers qu'incarnent respectivement la Chine et l'Occident.
Surnommé « maître de l’humour », il a beaucoup contribué à l'émergence de la littérature humoristique chinoise. Dans quelles mesures a-t-il pu allier humour oriental et occidental dans ses essais ?
Si dans la langue chinoise moderne, il existe beaucoup d’emprunts du japonais quant à la traduction des éléments de la langue occidentale, Lin Yutang demeure pourtant celui qui a réussi à faire entrer dans la langue chinoise l’expression anglaise « humor », youmo en chinois. Contrairement à la culture chinoise, l’Occident peut se vanter de son omniprésence de l’humour. C’était l’un des consensus convenus par les premiers étudiants chinois ayant fait leurs études outre-mer. Même La vie des étudiants chinois à l’étranger, un mensuel anglophone, a publié un article dédié à ce sujet. Après son retour en Chine, Lin Yutang s’est engagé à promouvoir l’art de l’humour auprès de ses compatriotes. Il a ainsi lancé un débat sur la littérature humoristique dans les années 1930 après avoir publié un article dans le magazine progressiste Entretiens.
En 1935, L’hebdomadaire critique de Chine, magazine anglophone de Chine, a publié un essai intitulé Herbert Giles in Heaven, écrit par « un écrivain chinois mondialement connu » préférant rester anonyme. Je suppose que l’auteur ne devait être autre que que Lin Yutang, vu ses relations privilégiées avec ce magazine, ainsi que son style d’écriture caractéristique, mêlant humour et sagesse à la fois chinoise et occidentale. Dans cet article, il a imaginé que Herbert Giles, diplomate et sinologue britannique, a rencontré, après son décès, plusieurs personnalités chinoises et occidentales au paradis, comme Zhuangzi, Qu Yuan, Du Fu, ou encore Shakespeare, avant de boire un coup avec ces derniers, en présence de Jésus. Un beau témoignage de la malice et de l'humour dont Lin Yutang savait faire preuve.
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