Wang Anyi, une plume attachée aux « valeurs et modes de vie des gens ordinaires du monde oriental »

1678954636222 China News Li Jing
Fin août 2022, Wang Anyi publie son nouveau roman Les cinq lacs et les quatre mers. Auteure prolifique, elle a écrit, durant les quatre dernières décennies, pas moins de cent livres, entre nouvelles courtes, romans et essais.

Littérature des « jeunes instruits », littérature de « recherches de racine », littérature shanghaïenne, ou encore littérature féminine… tant d'étiquettes lui collent à la peau, sans pouvoir pourtant cerner la célèbre romancière chinoise née en 1954. Car Wang Anyi ne cesse de se réinventer, en abordant des sujets aussi divers que variés tout au long de sa carrière. À travers ses romans, elle se fait, malgré elle, la chroniqueuse des « valeurs et modes de vie des gens ordinaires du monde oriental ».

Les cinq lacs et les quatre mers : genèse et réception

À chaque roman, Wang Anyi construit de nouvelles scènes et de nouveaux personnages. Son dernier livre Les cinq lacs et les quatre mers ne fait pas exception. Le déclic remonte à l’un de ses voyages écrit à Taïwan en 2014, à l’invitation de Yu Guangzhong, poète et enseignant à l’Université nationale Sun Yat-sen. Wang Anyi logeait sur le campus universitaire situé entre mer et montagne. C’est là qu’elle a découvert le métier de « démonteur de bateaux » :à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les armées japonaises avaient bombardé leurs bateaux avant de quitter le territoire. Le nombre d’équipes spécialisées en démontage de bateaux a ainsi explosé.

Le dernier livre de Wang Anyi « Les cinq lacs et les quatre mers »

Le démontage de bateaux, un métier peu considéré, a laissé peu de traces dans les archives. Tout ce qu’on peut trouver sur le marché, est un manuel de huit pages documentant les quelques accidents ayant eu lieu entre 1988 et 1989. Le manque de matières premières constitue un des défis principaux pour l’écrivaine dans son approche de l’écriture du roman. Loin d’être le meilleur roman de Wang Anyi, Les cinq lacs et les quatre mers comporte des intrigues furtivement construites, sans pourtant aller plus loin. Certains critiques littéraires déplorent son manque d’expériences dans les bas-fonds. Un point faible reconnu par Wang Anyi, qui se dit admirative des écrivains comme Mo Yan ou Yan Lianke, tous deux au parcours de vie riche et qui, dans la création artistique, ne manquent pas de puiser l’inspiration dans leurs propres vies. 

Une jeunesse entre ville et campagne

Wang Anyi est née dans une famille d’intellectuels et d’artistes. Sa mère, Ru Zhijuan, était elle-même une écrivaine célèbre, et son père, Wang Xiaoping, un dramaturge et cinéaste. Enfant précoce, elle a participé depuis l’école primaire à de nombreux concours d’écriture et de récitations de poèmes. À 16 ans, en pleine Révolution culturelle, elle part à la campagne dans l’Anhui en tant que « jeune instruite ». « La vie à la campagne était morose, se rappelle-t-elle, je n’ai jamais réussi à m’y adapter ni à m’intégrer dans la vie locale ». Sa mère lui conseille alors d’écrire tout ce qu’elle voit et entend pour tromper l’ennui. « Elle est capable de décrire la vie de tous les jours de manière vivante et riche, comme si elle reproduisait les scènes de vie sous sa plume », explique Ru Zhijuan. La preuve que Wang Anyi cultive, depuis sa jeunesse, son style fin et intense, ainsi que sa prédilection envers les détails triviaux de l’existence quotidienne.

Film adapté du « Chant des regrets éternels ». DR.

Elle a intégré en 1972 le Centre artistique de Xuzhou du Jiangsu, avant de retourner quelques années plus tard à Shanghai. Éditrice pour le magazine Le temps de l'enfance, elle a entamé en même temps sa carrière d'écrivaine. En compagnie de sa mère, Wang Anyi part en 1983 aux États-Unis pour se former dans le fameux atelier d’écriture de l’Université d’Iowa. Un séjour qui marque un tournant dans son style d'écriture. Peu après son retour en Chine, elle publie l’un de ses chefs-d’œuvre Le petit village Bao, retraçant la transition moderne d’un village chinois. Dans ce village, le renyi, concept confucéen qui désigne la bienveillance et la justice en chinois, s’avère être infiniment complexe : il peut faire référence à un mélange de sympathie, d’hypocrisie et de conservatisme. Wang Anyi explore ainsi dans son récit les lumières et la part sombre de l’héritage culturel chinois. Le roman, qui lui a valu de nombreuses récompenses, est souvent considéré comme le porte-drapeau de la « littérature de recherches de racines ».

À la recherche du dépassement de soi

Pourtant Wang Anyi n’a pas continué à creuser son sillon dans ce courant littéraire. Elle publie son triptyque Amour sur une colline dénudée, Amour dans une petite ville et Amour dans une vallée enchantée, catégorisé dans la littérature féminine, pour son écriture audacieuse sur les sentiments amoureux et les mentalités féminines dans les relations de couple. Non content d'écrire sur les relations humaines et le quotidien, elle évolue peu à peu vers la spiritualité intérieure et ne cesse d'innover sur la forme comme sur le fond, en repoussant continuellement ses limites créatives. En témoignent notamment ses deux romans originaux La triste Océan pacifique ou Vérités et mensonges.

Porté au grand et petit écran chinois, Wang Qiyao, protagoniste du Chant des regrets éternels, demeure un des personnages féminins les plus touchants sous la plume de Wang Anyi. Ayant grandi dans les longtang (quartiers traversés par de petites ruelles) de Shanghai, elle a ensuite connu des hauts et des bas durant quarante ans. En 2000, Le Chant des regrets éternels a remporté le Prix Mao Dun, un des prix littéraires les plus connus dans l'empire du Milieu. C'est ainsi que Wang Anyi est souvent considérée comme la disciple de Zhang Ailing, figure de proue de la littérature shanghaïenne. Une analogie souvent mise en cause par l'écrivaine elle-même. Wang Anyi estime qu’elle a baigné dans l'optimisme d’une nouvelle ère, lui ayant permis d’injecter de l'énergie et du dynamisme dans le quotidien de ses personnages : contrairement à Zhang Ailing qui a vécu à la fin d’une époque morose et pessimiste.

Loin de la grandeur et de l’immensité

« Mes expériences de vie sont les plus banales parmi ma génération », a pourtant reconnu Wang Anyi dans le livre Les six leçons d'écriture de romans. Un défi auquel elle a réussi plus ou moins à relever, en “inventant un lieu en dehors de Shanghai mais avec de la matière que l’on trouve à Shanghai” ». Elle est convaincue que l'écriture demande un travail vers l'intérieur. « Le subjectif définit en fait la taille du monde extérieur dont on peut s'approprier. Sinon, comment expliquer le fait que tant de personnes au parcours très riche ne deviennent pas forcément romanciers » ?

« Le petit village Bao ». DR.

Le manque d’expériences de vie constitue un couteau à double tranchant pour Wang Anyi. Elle peut ainsi s’orienter vers des thèmes très variés. Suite au succès du Chant des regrets éternels, si elle a continué à raconter des histoires sur les femmes shanghaïennes, dans les romans comme Meitou, Fu Ping, La coquette de Shanghai, la panoplie de ses sujets s'élargit : elle brosse un portrait de la campagne du Zhejiang dans Red Caltrop on Top and Lotus Root at the Bottom, se consacre aux récits sur les personnages masculins dans Partout de féroces ambitieux, ou encore met en avant les artisanes de broderie dans Secteur céleste. Quels que soient les thèmes, on peut facilement identifier le style propre à Wang Anyi, en se basant sur le fond du contenu, la technique d'écriture, la structure, ou encore le rythme.

À la fois instinctive et rationnelle, si elle écrit avec émotion, par intérêt et désir créatif, les thèmes de ses romans sont toujours choisis avec raison. « Il faut que le monde extérieur interagisse avec mon intérieur. C’est extrêmement délicat, comme si nous entrions dans une voie secrète et cela ne peut pas être décidé par la raison », confie Wang Anyi. C'est ainsi qu'elle a choisi un chemin de création propre à elle : ne pas porter sur ses épaules les tâches grandioses de son époque mais entreprendre les missions simples et terre à terre du quotidien. Comme le lui a dit un ami peintre : il faut peindre à portée de ses mains. Un point reconnu par Wang Anyi, « on ne peut pas contrôler tout sur tout. On fait ce qu’on peut ! »

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : Wang Anyi. DR.

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