
Le tambour de bronze : passerelle culturelle entre la Chine et l’ASEAN, entre le passé et le futur
Ancien président de l'Association de recherche sur les anciens tambours de bronze chinois et ancien conservateur du Musée de la région autonome zhuang du Guangxi, Jiang Tingyu a récemment accepté une interview exclusive avec China News dans laquelle il a expliqué comment cet objet relie le passé et l'avenir de l'intégration culturelle de la Chine et des nations de l'ASEAN.
À quand remonte la première apparition du tambour de bronze dans sa fonction d’instrument à percussion ? Quel était son rôle et comment a-t-il évolué ?
Les tambours en bronze sont des objets créés par d'anciens groupes ethniques dans les régions du sud-ouest de la Chine et celle du Lingnan qui désigne la région qui s’étend des parties orientales du Guangxi et du Guangdong jusqu’aux frontières des quatre provinces du Hunan et du Jiangxi. Les premiers tambours en bronze ont été mis au jour par des archéologues dans les anciennes tombes de Wanjiaba dans le comté de Chuxiong au Yunnan. Leur datation est estimée à environ 2 700 ans, ce qui correspond à la période dite des Printemps et des Automnes et celle des Royaumes combattants.
L'émergence des tambours en
bronze est également assez intéressante puisqu’il s'agit d'une évolution à
partir des chaudrons de cuivre utilisés pour cuisiner à cette époque. Dans les
temps anciens, les tribus du sud-ouest prélevaient directement le riz dans le
chaudron, et une fois le repas terminé, ils retournaient ce dernier, le
frappaient tout en chantant et dansant. C’est ainsi que le chaudron de cuivre
devint un instrument de musique dont le son était si puissant qu’il pouvait
également être utilisé pour rallier les troupes.
Depuis lors, le chaudron de cuivre n'a cessé d'évoluer : sa partie inférieure a été aplatie et élargie et positionnée vers le haut de sorte que le col du chaudron repose au sol. L’objet n’a été ensuite qu’exclusivement utilisé comme instrument de musique pour enfin devenir un tambour de bronze. Sa face supérieure, dont la forme s'est progressivement figée par la suite, a été agrémentée de décorations dont la quantité a progressivement augmenté et dont la forme s’est complexifiée. Cet objet était généralement utilisé dans des activités ethniques telles que des sacrifices et des célébrations, pour finalement devenir un emblème et un symbole de pouvoir. La valeur symbolique des tambours est similaire à celle des tripodes dans plaines centrales, leur nombre et leur taille sont proportionnels au pouvoir qu’ils représentent. Voici la véritable signification accordée par les chinois dans la tradition au tambour de bronze.
Quelle que soit leur période de datation depuis celle des Printemps et Automne jusqu’à la dynastie des Qing et quel que soit le lieu de leur mise au jour, la forme, la taille et l’ornementation de ces tambours de bronze varient, alors que leur allure générale reste commune. Ainsi et sans exception, ils sont intégralement composés de cuivre, le sommet est plat et la forme incurvée. L’intérieur est creux sans fond à la base et quatre anses en forme d’oreilles sont fixées sur les côtés.
Les décorations sur la surface et le corps du tambour sont différentes selon les époques et les régions, elles se complexifient en général du plus simple au plus élaboré.
Les tambours de bronze des époques ancestrales n’étaient pas seulement des instruments de musique dont la fonction était l’accompagnement du chant et de la danse ou un objet sacrificiel présenté aux déités et utilisé pour obtenir leurs faveurs de l’année à venir ; c'était également un outil de transmission de messages utilisé pour rallier les troupes et pour commander les formations militaires. Les tambours de bronze étaient un important instrument de pouvoir, « Si vous obtenez deux ou trois tambours, vous pouvez être roi. »
Les recherches archéologiques ont mis au jour des tambours
en bronze dans les pays de l'ASEAN. En quoi sont-ils différents de ceux trouvés
en Chine en termes de forme ? Quelles connexions peuvent être établies entre
eux ?
Grâce aux découvertes archéologiques, nous savons aujourd’hui que la distribution des tambours en bronze s’organise essentiellement dans le sud de la Chine, notamment dans des lieux tels que le Sichuan, la ville de Chongqing, le Yunnan, le Guizhou, le Hubei, le Hunan, le Guangxi, le Guangdong, le Hainan et bien d'autres provinces, régions ou villes. A l'étranger, ils sont principalement distribués en Asie du Sud-Est, et parmi les dix pays de l'ASEAN, neuf d’entre eux en ont découvert. Il s’agit du Vietnam, du Laos, du Cambodge, du Myanmar, de la Thaïlande, de la Malaisie, de Singapour, du Brunei. Bien que fort éloignées de la Chine, l'Indonésie et l'île d'Irian, qui la jouxte en Océanie, comptent également des tambours en bronze parmi leurs vestiges archéologiques.
La forme des tambours en bronze découverts dans les pays d'Asie du Sud-Est varie en fonction des pays d’origine et des époques. Par exemple, sous l'influence de la culture bouddhiste, les tambours en bronze de pays tels que la Thaïlande et le Myanmar présentent des symboles culturels bouddhistes évidents sur la surface et le corps du tambour. A contrario, en Indonésie les décorations sont conformes aux caractéristiques culturelles locales, et l’on peut donc apprécier des représentations d'éléphants et de cocotiers.
Cependant, il est clairement établi que ces tambours de bronze ont la même origine. Qu’ils soient de l'ASEAN ou du sud de la Chine, leur forme générale est similaire : ils sont en cuivre, le sommet est plat et la forme incurvée, l’intérieur est creux sans fond à la base et quatre anses en forme d’oreilles sont fixées sur les côtés. Cette origine commune s’explique par le fait que dans les temps anciens, la péninsule indochinoise et l'Asie du Sud-Est étaient inextricablement liées au sud de la Chine en termes d'ethnicité et de culture. Par la symbolique de pouvoir qui leur était conféré dans les temps anciens, les tambours de bronze étaient souvent confiés aux chefs de l'époque qui les transmettaient à d’autres chefs ou chefs tribaux. Ainsi cette tradition pratiquée dans de nombreuses régions de l’ASEAN s’est progressivement étendue de plus en plus loin pour avoir une très large distribution.
À l'heure actuelle, quelle est l'utilisation des tambours de bronze et des cultures connexes dans la vie nationale et les activités culturelles de la Chine et des pays de l'ASEAN ? Comment la Chine et l'ASEAN peuvent-elles approfondir conjointement et transmettre la culture du tambour de bronze ?
Les tambours en bronze ont
d'abord été utilisés comme instruments à percussion, puis sont devenus des
objets sacrificiels et ont finalement évolué pour devenir des symboles de
pouvoir et de richesse. Tout au long de l’histoire de la Chine et des pays de
l'ASEAN, leurs fonctions ont été communes et cohérentes par l’utilisation
sacrificielle et la démonstration de pouvoir du moment.
Des tambours en bronze découverts en Chine et dans les pays de l'ASEAN attestent d’une lignée culturelle évidente. Par exemple, dans les deux cas, on remarque l’utilisation de grenouilles comme totems décoratifs à la surface du tambour ainsi que la présence de motifs représentant le soleil et de hérons en vol ; le corps du tambour étant quant à lui orné par des motifs de bateaux et de personnages à plumes qui dansent. Ceci est une illustration des coutumes de vie et des croyances culturelles communes.
Le sud de la Chine et les pays de l'ASEAN cultivent principalement du riz, ainsi les mêmes symboles culturels et totems de cette culture figurent également sur les tambours de bronze. À de nombreuses périodes de l'histoire, la vie, la production, la politique et la culture étaient fondamentalement les mêmes des deux côtés. Ainsi, un tambour en bronze découvert dans une rizière au Laos présente la même forme et la même décoration que celui mis au jour à Xilin dans la province chinoise du Guangxi : les deux objets présentent des motifs de bateaux, de cerfs, des éléments de la vie aquatique et de la riziculture.
À l'heure actuelle, il existe des lacunes au sein des pays de l'ASEAN et de la Chine dans les domaines de l'excavation et de la préservation du patrimoine des tambours en bronze. À l'exception du Vietnam, les recherches sur les tambours de bronze dans les autres pays sont insuffisantes, ce qui n'a pas permis de clarifier l'origine et le développement de leurs tambours, et donc la manière de les préserver et de les transmettre, ce qui nécessite un échange culturel.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : tambour de bronze au Musée de Bronze de Lijianshan du Yunnan / Site officiel du musée
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