Comment le confucianisme peut-il contribuer à relever les défis mondiaux ?

1680530331638 China News

Quelles solutions la sagesse orientale, représentée par le confucianisme, peut-elle offrir pour éliminer les conflits ? Alors que le débat entre « la Voie royale » et « la voie hégémonique » existe toujours, comment de multiples civilisations peuvent-elles coexister et prospérer de concert, dans l'harmonie et les différences ? 

Roger T. Ames, comparatiste des philosophies orientale et occidentale, sinologue de renommée internationale et président de l'Association mondiale des études sur la culture confucéenne, a dialogué, au sein de China News, avec Tian Chenshan, directeur du Centre des relations Est-Ouest de l'Université des langues étrangères de Pékin et conseiller honoraire de l'International Confucian Association.

Comment traduire et comprendre la culture chinoise de l'harmonie ? Quelle est la différence essentielle avec le « yiduo eryuan » occidental, que l'on peut traduire par la « dualité du un et du multiple » ?

Roger T. Ames : « He », le concept chinois d'harmonie ne peut être traduit directement par l'anglais « harmony », mais plutôt par « achieve harmony », le fait d'accéder à l'harmonie. L'important n'est pas le but mais le processus pour y arriver. Cette notion essentielle à la culture chinoise est un concept holistique qui inclut rationalité et esthétique. Pour comprendre la culture de l'harmonie, il faut se placer dans le contexte sémantique de la notion culturelle chinoise de « yiduo bufen » ou « l'indivision du un et du multiple ». Ce que l'on appelle le « un » et le « multiple » entretiennent des interrelations indissociables : la particularité de l'individu forme un état de symbiose et de coexistence avec la diversité de son environnement. Il s'agit d'une dynamique naturelle qui peut produire une harmonie, même dans un état de tension. La culture occidentale, en revanche, est un système de valeurs et de récits caractérisé par la notion de « yiduo eryuan » ou « dualité du un et du multiple ». Dans ce système, tout est dichotomie : un individu singulier, dans un état d'indépendance et de conflit.

L'harmonie peut être comprise comme une symbiose optimisante (« optimizing symbiosis »). Les Chinois aiment utiliser la métaphore culturelle de la famille, microsystème reposant sur l'optimisation symbiotique. Pour la famille, on est capable de tout et, en retour, la structure familiale peut faire réussir chacun de ses membres, qui doivent se soutenir mutuellement. Les Chinois placent cette microstructure au plus haut niveau des valeurs, elle est la clé pour comprendre la culture chinoise. De même, plutôt que de chercher à dominer le monde, la culture chinoise met l'accent sur la coexistence pacifique avec les autres nations.

TIAN Chenshan : L'harmonie sans diversité ne se réduit pas au pluralisme. Dans un morceau de musique, par exemple, les notes sont différentes, mais ce n'est que dans l'ensemble que les différents tons sont distinctifs. C'est précisément grâce à la spécificité des phonèmes qu'une véritable harmonie est créée. L'harmonie sans diversité ne consiste pas à chanter dans des tonalités différentes, mais à s'harmoniser pour former un beau morceau de musique. En termes simples, l'harmonie n'est pas simplement « tu es toi, je suis moi, nous sommes ensemble ». Quelles que soient nos différences, nous pouvons atteindre l'harmonie grâce à « l'indivision du un et du multiple ».

La culture de l'harmonie, c'est vouloir l'atteindre tout en ayant conscience des différences. C'est la culture de l'homme de bien en quête d'harmonie, contrairement à la culture de l'homme de peu qui recherche la conformité. « L'homme de bien converse dans l'harmonie sans s'abaisser au compromis »* : dans cet extrait des Entretiens de Confucius, l'homme de bien n'a que faire des différences et des similitudes. L'harmonie englobe les relations et les connexions intrinsèques des choses, en contraste frappant avec la culture occidentale de la « dualité du un et du multiple ».

Quelle est la différence entre la Chine et l'Occident dans leur approche de la guerre et de la paix ?

Roger T. Ames : La vision occidentale de la guerre a pour seul objectif la victoire. La guerre est une quête d'honneur et de gloire. Mais la Chine a une vision civile et militaire du monde. Le but de la guerre n'est pas la victoire, mais la justice, la justice de la bienveillance et de la droiture. La justice est également un objectif de l'optimisation du système symbiotique. La justice fait référence à la fois à la moralité et au sens. Si l'on veut mener la vie la plus significative et la plus morale, il faut s'appuyer entièrement sur le « wen », le civil, et n'utiliser le « wu », le militaire qu'en dernier recours. Telle est l'attitude de la culture chinoise à l'égard de la guerre. C'est l'esprit de L'Art de la guerre de Sun Tzu, qui affirme que l'utilisation de la force militaire n'est que le dernier recours lorsque la vie ou la mort est en jeu. Pour Sun Tzu, chaque fois qu'il existe une légère possibilité pour éviter le combat, il ne faut pas faire la guerre.

Lorsque le Dr Sun Yat-sen a comparé les civilisations orientale et occidentale, il a proposé la « Voie royale » et la « voie hégémonique ». Comment comprendre le débat entre ces deux notions aujourd'hui ?

Roger T. Ames : Dans Virtue Politics, James Hankins, professeur d'histoire américaine, suggère que les réalisations de la Renaissance italienne avaient peu à voir avec le système politique, mais plutôt avec le niveau d'éducation et la moralité des dirigeants. La « Voie royale » reflète la manière dont les dirigeants, grâce à l'éducation, ont amélioré leurs connaissances et leur moralité, ont fait preuve d'ouverture d'esprit et de tolérance, et ont construit un système institutionnel bénéfique. La « Voie royale » met l'accent sur la globalité.

TIAN Chenshan : Ce que Sun Yat-sen a dit à l'époque sur la « Voie royale » et la « voie hégémonique » est toujours pertinent et significatif aujourd'hui. La « voie hégémonique » d'aujourd'hui est la même que celle de l'époque de Sun Yat-sen.

Qu'est-ce que la « voie hégémonique » ? Il s'agit d'une idéologie individualiste qui existe dans la culture de la pensée. Avec la « voie hégémonique », il n'est pas question de bienveillance et de justice, mais de savoir qui a le plus grand pouvoir et qui se dispute l'avantage par la force.

Qu'est-ce que la « Voie royale » ? La « Voie royale » est une politique bienveillante basée sur le peuple, pas seulement sur la force. La « voie de la bienveillance et de la droiture » est consacrée aux intérêts du peuple et à la conquête de son cœur. De nos jours, la « Voie royale » est le socialisme, qui parle de la culture de l'« harmonie » et du collectif. Le socialisme parle de la politique du peuple.

* Entretiens de Confucius, traduit par Anne Cheng, éditions Points   

Photo du haut : Unsplash

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