Kesi chinois : le « roi du tissage » aux origines multiples

1681726490199 China News Wang Ji

Le Kesi est une forme de tissage artisanal dont le nom, signifiant littéralement « soie gravée », renseigne sur son origine puisqu’il fut introduit dans les plaines centrales le long de l'ancienne route de la soie. 

D’une extrême rareté dans le monde en raison d’un processus de tissage long et laborieux, le Kesi est considéré comme le « roi du tissage » et dont le prix vaut « de l’or ». Cette technique, venue de l'ouest par la route de la soie a été incorporée à l'art de la soierie chinoise pour fusionner avec la beauté de la peinture dans la région de Jiangnan. Comment le Kesi chinois a-t-il atteint le sommet de son art ? Y a-t-il eu un échange entre les techniques de tissage de l'Est et de l'Ouest ? Bibliothécaire de recherche au département de recherche sur l'artisanat du Musée de Shanghai, Yu Ying a expliqué cela en détail lors d’une récente interview accordée en exclusivité à China News

Pourquoi le Kesi est-il appelé le « roi du tissage » ?

Le processus de tissage Kesi exige beaucoup de temps et de main d’œuvre pour deux raisons : d’une part chaque navette ne peut tisser qu'une petite partie, contrairement au tissage ordinaire qui repose sur un système de jacquard circulaire avec une navette qui passe à travers la trame, et d’autre part ce processus exige l’utilisation de fils de soie de haute qualité. La combinaison de ces deux caractéristiques rend le produit très coûteux et difficile à réaliser. D'autre part, la technique du Kesi, d’un degré de liberté relativement élevé, offre la possibilité à l'artisan d’exprimer au maximum son potentiel artistique lorsqu'il est libre de créer sans restriction de temps de tissage. Cette dualité de valeur économique et artistique confère au Kesi le véritable statut de « roi du tissage ».

À ce jour, les objets ornés de Kesi les plus anciens découverts en Chine datent de la dynastie Tang. Selon les archives historiques, à la fin de la dynastie Tang et au début de la dynastie Song, les Ouïghours ont commencé à tisser des vêtements et parures selon la méthode Kesi dans les zones où vivaient en mixité les ethnies Hu et Han. Après l'entrée de cette forme d'artisanat dans les plaines centrales, le gouvernement a créé le « Kesi Zuo », un organisme spécialisé dans le tissage de la soie selon la technique Kesi. Au début, les motifs étaient proches de ceux des brocarts utilisés dans l’encadrement, c’étaient essentiellement des symboles de fleurs et d'oiseaux de bon augure communément appelés « Jinbiao ». Ensuite, pendant la période de transition entre les dynasties Song du Sud et du Nord, l'idée a émergé de combiner le Kesi avec la peinture et la calligraphie : le Kesi a été créé en les utilisant comme base, progressivement les motifs se sont transformés en une « tapisserie en pure soie ». À leur apogée, les tapisseries Kesi ne pouvaient être distinguées des peintures et calligraphies originales, elles étaient même plus réalistes, surpassant les peintures.

Parmi les « trésors du musée » que recèle le Musée de Shanghai, et datant de la dynastie des Song du Sud, la tapisserie Kesi intitulée Caneton sur l’étang aux lotus de Zhu Kerou peut être considérée comme une référence artistique de la période d'apogée de cet art. Dans un style pleinement impérial hérité de l’école de peinture de cour de la dynastie Song, l’élégance des couleurs associée à la finesse et la densité appropriée des fils dévoilent une scène de vie de la fin du printemps et du début de l’été dans un étang de lotus. L’auteur, Zhu Kerou, est l’artiste la plus représentative de la tapisserie Kesi des Song du Sud dont la technique recherche la délicatesse et le réalisme. L’incorporation de compositions identiques à celles de la peinture du genre « fleurs et oiseaux » ainsi que celles à l’encre de l’école de peinture de cour de la dynastie Song, rend impossible la distinction entre ses œuvres de tapisserie et les peintures. La méthode « Zhu Ke » a ainsi été saluée par les générations suivantes.

Comment le tissage européen se compare-t-il au Kesi chinois ?

Les premiers vestiges de cette étoffe tissée, dont la structure était simple et facile à réaliser, ont été trouvés dans l'Égypte, la Grèce et la Rome antiques, où l'on a déterré divers objets en étoffe tissées à base de laine, de coton et de chanvre. En Europe, la période la plus prospère du tissage artisanal se situe essentiellement pendant le règne du roi Louis XIV. Sous l'influence de l'aristocratie royale, deux ateliers dont les tapisseries étaient appréciées de la famille royale et de la noblesse ont été créés : la manufacture des Gobelins et la manufacture de Beauvais. Ces tapisseries au tissage très fin étaient principalement utilisées pour décorer les murs des palais. La plupart du temps leurs thématiques étaient inspirées de peintures à l’huile, leur tissage était réalisé avec un mélange coloré de laine et de soie extrêmement coûteux.  

Les différences entre les tissages européens et les tissages chinois se reflètent principalement dans les éléments suivants :

Les fils sont de composition différente. Celui utilisé dans le tissage européen est relativement épais, la surface du tissu est plus grande, souvent d’une hauteur de 3 mètres pour une longueur de 5 mètres. L’étoffe tissée est généralement utilisée comme décoration murale dans les salles de palais. Ces tapisseries, à l’allure imposante exprimant avec force l’impact visuel des peintures à l'huile, nécessitent une certaine distance d’observation pour être appréciées. En Chine, la qualité intrinsèque du fil de soie, à la fois mince et robuste, permet de produire un tissage d’images très délicates, de taille relativement petite dans le style de la calligraphie et de la peinture que l’on retrouve sur les éventails ronds, les livrets et les rouleaux verticaux. Même regardés de près, les motifs conservent une grande élégance finement travaillée. 

Les techniques de tissage sont différentes. Les tapisseries européennes diffèrent des chinoises par la direction principale du tissage, dans le premier cas elle est perpendiculaire à la direction de l'image, dans le  second cas elle est la même direction.

Le style des figures est différent. Les tapisseries européennes présentent de nombreux motifs développés à partir de la géométrie, de la symétrie, et du classicisme en se concentrant particulièrement sur les effets stéréoscopiques et le sens de l’impact des couleurs. Elles sont inspirées par des fresques murales et de grandes peintures à l'huile, leurs thématiques concernent la vie religieuse ou la vie de cour. Les motifs des tapisseries Kesi chinoises, sont quant à eux dominés par la calligraphie et la peinture traditionnelles, notamment les thèmes des fleurs et des oiseaux des peintures de cour, mais on compte aussi un petit nombre de personnages et de paysages.

Y a-t-il eu un échange entre l’artisanat de tapisserie oriental et Occidental ?

Sous le règne de Louis XIV, le « style chinois » était répandu en Europe et il y avait effectivement une influence mutuelle entre l'Orient et l'Occident dans le domaine de la tapisserie. À cette époque, la soie étant encore très chère en Europe, la fabrication des tapisseries se faisait à partir de matériaux textiles produits localement tels que la laine, des fils métalliques, auxquels on ajoutait des fils de soie. La soie n'étant pas seulement chère, mais ayant aussi un bel « éclat de soie », les images tissées apparaissaient douces et élégantes lorsque la lumière changeait. L'aristocratie française attachait une grande importance à l'utilisation de la soie dans la tapisserie, utilisant le fil de soie pour tisser les zones clés qui devaient souligner l'opulence de la cour, ainsi que dans les yeux des personnages et des animaux, pour mieux exprimer une transmission intense des sentiments.

Les techniques européennes de tapisserie ont également influencé la Chine. Le Musée du palais impérial possède une ancienne pièce de collection de l’époque Qing intitulée Tapisserie de personnages en laine et soie qui était à l'origine un tapis de fenêtre pour le hall Yangxin et provenait des tisserands de Suzhou. Ouvrage aux dimensions énormes de 3,66 mètres de long et 2,67 mètres de large, cette tapisserie dépeint le premier jour de l’année au moment où les seigneurs des divers fiefs venaient rendre hommage à l’empereur : animée et festive, cette scène ne présente pas moins de 50 personnages à l’intérieur du palais, dont des vieillards, des enfants en bas âge, des femmes et des officiels. Le centre de la tapisserie est une peinture de style chinois représentant des personnages de la cour, et la scène est tout à fait réaliste. La tapisserie est bordée d’un cadre fin tissé en dentelle, imitant le style occidental des cadres en bois laqué or répandus en France à l'époque.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : DR.

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