Le maître de la littérature chinoise Liang Xiaosheng : « la vie n’est qu’une vague dans un fleuve et c’est à nous de lui donner du sens »

1681899279589 China News Xu Pengyuan

Auteur du roman phénomène A lifelong journey, l'écrivain chinois Liang Xiaosheng revient sur son dernier roman Père et fils, ainsi que sur ses quarante ans de création artistique entre doute, inspection et aspiration.

Liang Xiaosheng, un des romanciers chinois les plus prolifiques, envisage d'abandonner sa plume. Car à 73 ans, il pense ne plus avoir suffisamment d’énergie pour écrire un bon roman. D’autant qu’après avoir publié son dernier livre Père et fils, il estime qu'il n’existe plus de regret dans sa création artistique. C’est en 1982 qu’il publie sa première nouvelle Un endroit magique. Depuis, l'écrivain chinois n'a cessé d'écrire. Même aujourd’hui, il a gardé ses vieilles habitudes d’écrire sur papier. L’écriture est aussi un travail physique et le septuagénaire souffre aujourd'hui de nombreux problèmes de santé. Dans le futur, l’écrivain espère faire moins d’apparitions publiques, se faire plus discret sur la Toile afin de se retirer peu à peu de la vie publique pour « vivre enfin une vie de retraité paisible ».  

L'année 2022 était pourtant fructueuse pour lui. Tout d'abord, la série télévisée A Lifelong journey, adaptée de son roman homonyme a eu un énorme succès tant critique que populaire en Chine. D’ailleurs la pièce de théâtre adaptée du même roman était également en tournée nationale. Dans le même temps, il a sorti deux romans : Professeur de chinois et Père et fils

Père et fils, un roman qui rend hommage à l’Histoire

Le déclic de son dernier roman Père et fils vient du livre Grands événements historiques de Harbin, qui retrace la mobilisation anti-japonaise lancée par les différents milieux de la ville en 1936. Un sujet qui a saisi de suite Liang Xiaosheng, qui a écrit, durant sa carrière d’écrivain, plus sur les gens ordinaires et les bas-fonds que sur les héros nationaux. L’histoire lointaine et les récits héroïques ne sont pas des thèmes qu’il maîtrise le mieux et ne correspondent pas non plus à ses idéaux littéraires, car ils tombent facilement dans le pathos et le nationalisme. Mais cette fois-ci, il a décidé d’attaquer ce type de sujets pour rendre hommage à l'Histoire ainsi que pour faire de l’introspection. Pour lui, si l’histoire de la Chine moderne est souvent assimilée à la douleur ou à la souffrance causée par une série de guerres et le retard économique, elle voit également émerger de nombreuses grandes figures sur la scène nationale. 

C’est un livre auquel il a consacré beaucoup de temps et d’énergie. Après avoir terminé la première ébauche, il a encore passé presque quatre mois à revoir sa copie tout en modifiant presque un quart du contenu. Sous sa plume, se déroule l’histoire de quatre familles chinoises, qui se lient l’une à l'autre durant presqu’un demi-siècle sur fond de guerre sino-japonaise, guerre civile, guerre de Corée et construction de Beidahuang… Cette fois-ci, Liang Xiaosheng place de nouveau son histoire dans le Nord-Est de la Chine mais dépeint pour la première fois la communauté chinoise à l’étranger en dessinant un portrait rare de Chinatown à New York.

« On ne se sert pas de la littérature pour se plaindre » 

 

Si Père et fils demeure un nouvel essai dans la création artistique de Liang Xiaosheng, le livre converge pourtant avec ses autres romans concernant la construction de personnages. Quelque soit leur origine, ils sont tous marqués par la bonté, la persévérance et l’attachement à la justice. Ceux de Père et fils ne font pas exception. C'est un parti pris pour l'écrivain qui essaie de prendre du recul avec son propre vécu, car « on ne se sert pas de la littérature pour se plaindre ».

En jetant un coup d'œil sur le parcours de création de Liang Xiaosheng, on constate que pendant au moins une décennie, il s’était consacré davantage aux essais qu’aux romans. Intellectuel engagé, il dénonçait l'injustice et les inégalités en publiant plusieurs recueils tels L'analyse des classes sociales chinoises ou Les Chinois inquiets. Pourquoi ce changement ? « À l’époque où on s'affrontait sur de multiples contradictions et différends, il était difficile de s'exprimer de manière directe, rapide et forte à travers des romans, car il fallait souvent attendre au moins plusieurs mois pour qu'un roman soit publié », se justifiait ainsi Liang Xiaosheng. Il reconnaît toutefois qu’un écrivain, au lieu de se livrer à sa propre déception et angoisse, doit ressentir davantage celle des autres. Car « un écrivain qui ne peut pas dépasser certaines de ses limites ne reste qu'un simple rédacteur d’anecdotes ».  

Écrire pour inspirer ses contemporains

C’est d'ailleurs dans les pas du grand écrivain chinois Lu Xun que Liang Xiaosheng a décidé de s'orienter vers les essais pour faire écho à l’actualité. Mais contrairement à Lu Xun qui avait fini par ne nourrir aucun espoir pour l’avenir de l'empire du Milieu, Liang Xiaosheng demeurait optimiste en constatant certaines améliorations de la société chinoise. C’est ainsi qu’il s’est remis à écrire des romans. Si l'écrivain réfléchissait depuis 2010 sur un nouveau projet d’écriture, il a fallu attendre trois ans pour qu’il écrive les premiers mots des Enfants du quartier Gongle. C’est le projet d’écriture le plus ardu pour l’écrivain en termes de volume et d’investissement personnel : pendant cinq ans, il n’a cessé de modifier son récit, composé de trois parties, comptant au total plus d’un million de sinogrammes. L’écriture de ce roman lui a également causé de nombreux problèmes de santé.

Il s’agit d’une histoire qui débute en 1972 et termine en 2016, une période qui correspond aux années d’activités de Liang Xiaosheng. Ce dernier a puisé ses inspirations dans son propre parcours ainsi que celui de ses proches pour construire ses personnages. En décembre 2017, sur recommandation de son éditeur, il a rebaptisé son roman A Lifelong journey, qui obtient en 2017 le prix Mao Dun, le prix littéraire le plus prestigieux en Chine. Pour Liang, l’idée initiale n’était pas du tout de raconter une histoire capable de plaire au public mais d’inspirer ses contemporains. Il voulait notamment raconter aux jeunes chinois le parcours de vie et le vécu de leurs aînés.  

« La vie est courte. Elle n’a pas de sens en soi mais c’est à nous de lui donner du sens », confie Liang Xiaosheng. Pour ce dernier, « À la fin, on est que des passagers. Ne prétend jamais être quelqu’un d’important ou d’écrire des œuvres magnifiques. Pour moi, la littérature ressemble à un fleuve en mouvement perpétuel et on n'est qu'une vague dans le fleuve de la littérature. » Une belle leçon de littérature et de vie.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.



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