
Peintures chinoises : Huang Gesheng, figure de proue de l’École de Lijiang
Été 1985. En pleine canicule, le peintre Huang Gesheng a passé deux mois dans son atelier à Guilin, dans le Guangxi, pour terminer son tableau Cent lis du fleuve Lijiang. Derrière cette peinture traditionnelle chinoise sur rouleau de deux cents mètres, c’est un projet de longue haleine, car durant trois ans, il avait arpenté, par différents moyens de transport, le long du fleuve Lijiang à une dizaine de reprises, et dessiné un millier d’ébauches. Un chef d'œuvre qui lui vaudra de nombreux éloges. Pour beaucoup de critiques d'art, Cent lis du fleuve Lijiang a non seulement démontré la richesse et la capacité de création propres aux talents artistiques du Guangxi, mais constitue également la première œuvre qui fait du fleuve Lijiang un objet d’étude artistique sur les plans culturel, humaniste et symbolique. Du point de vue historique, cette toile a également marqué une étape importante dans la formation de l'École de Lijiang.
Le tableau a été d'ailleurs offert en tant que cadeau diplomatique à George H. W. Bush, le 41e président des États-Unis, avant d’être conservé par la Bibliothèque du congrès américain. Invité par cette dernière, Huang Gesheng est ainsi devenu le premier peintre chinois à donner un discours dans ce lieu éminemment symbolique des États-Unis. Dans un entretien accordé à China News, l'artiste chinois revient sur son parcours imprégné de peinture traditionnelle chinoise ainsi que sur les dessous de la création de son chef-d'œuvre.
Une partie de l'oeuvre "Cent lis du fleuve Lijiang" de Huang Gesheng
Quelles sont les spécificités et l’essence de la peinture chinoise ?
La
peinture chinoise désigne les œuvres peintes au pinceau sur papier ou en soie,
tout en portant en elle-même les pensées des peintres-lettrés de la Chine
antique sur la nature, la société, la politique, la religion ou encore la
culture. Ceci dit, la peinture chinoise est un art associant différentes
disciplines comme la littérature, la calligraphie, l’histoire, la philosophie,
la politique ou encore la sociologie, et fait partie intégrante de la culture
traditionnelle chinoise. Elle serait également la carte de visite du peuple
chinois, tout en montrant les caractéristiques et les paysages de chaque époque
de l’histoire chinoise. En témoigne justement La fête de Qingming au bord de la rivière de Zhang Zeduan, peintre de la dynastie Song du nord
(960 - 1127). Il s'agit d'un tableau en rouleau qui représente, de manière
vivante, le paysage urbain, ainsi que le quotidien des citadins de la ville de
Dongjing (aujourd'hui Kaifeng au Henan). Unique dans son genre, il est devenu
trésor national sur les plans historique et artistique. La peinture chinoise
compte aujourd'hui différentes écoles et styles mais se distingue toutefois en
trois catégories principales - « shanshui », « portraits » ainsi que « fleurs
et oiseaux » -, selon le sujet et le contenu. Dotée de son propre
langage artistique et esthétique, elle se fait une place de plus en plus
importante dans le paysage de la culture traditionnelle chinoise.
Une partie de l'oeuvre "Cent lis du fleuve Lijiang"
Pourriez-vous nous raconter le processus de création de Cent lis du fleuve Lijiang ?
Si le succès du tableau constitue une grande surprise pour moi, il n’est pourtant pas si étonnant en soi. Car je ne l’ai pas peint pour gagner plus d'argent ni pour chercher la notoriété. Sinon, je n'aurais jamais pu peindre une telle toile. À l’origine, c’est un projet d’une maison d'édition qui voulait représenter le fleuve Lijiang par la peinture chinoise. Originaire de Guilin, j’ai accepté volontiers cette mission. Au cours de ma création, j’ai été sans cesse frappé par la beauté du paysage au bord du fleuve Lijiang et c'est à partir de ce moment-là que j’ai eu l’idée de créer une toile en rouleau. Si la durée de création a été assez courte, j’ai pourtant consacré trois ans à préparer ce projet. C'est-à-dire que j’ai sillonné, à pied, en vélo ou en bateau, le long du fleuve, de l’amont à l’aval, à une dizaine de reprises tout en dessinant un millier d’ébauches. J’ai pu ainsi terminer d’un trait la toile de mémoire et grâce à ma vision globale et complète du fleuve Lijiang.
Dans quelle mesure la peinture chinoise se distingue, et s'inspire de la peinture occidentale ?
Au XXe siècle, le mouvement « faire évoluer la peinture chinoise par les courants occidentaux » a éclaté en Chine. Les exercices de sketch d'ébauches ont même remplacé les méthodes et pratiques chères à la peinture chinoise alliant techniques et culture. Certains peintres n'ont pas hésité à faire savoir leur intention de faire évoluer la peinture chinoise par les méthodes propres à la peinture occidentale. Il est vrai que j'ai hésité entre le style abstrait et l'impressionnisme pour la représentation du fleuve Lijiang. Mais j'ai choisi le dernier après une longue réflexion approfondie. La culture chinoise est tout un système et se dote de ses propres spécificités par rapport à la culture occidentale. Indépendantes, les écoles chinoise et occidentale s'influencent pourtant l'une de l'autre. Élément essentiel de la culture traditionnelle chinoise, la peinture chinoise doit évoluer à son propre rythme en se basant sur son propre modèle, au lieu de modifier son cours de développement pour correspondre aux goûts esthétiques des Occidentaux. Dans le même temps, il n’empêche qu’on peut emprunter des astuces techniques de création de la peinture occidentale, notamment au niveau du choix des couleurs pour dépasser nos propres limites, sans pourtant tomber dans le piège d’une assimilation totale des deux genres.
Une partie de l'oeuvre "Cent lis du fleuve Lijiang"
Comment l’école de Lijiang, dont vous êtes porte-drapeau, pourrait-elle véhiculer l’essence artistique de la peinture traditionnelle chinoise et faire avancer les échanges internationaux dans le domaine des beaux-arts ?
Les beaux-arts, ancrés dans le quotidien, documente, à leur manière, l’évolution de la société. Inaugurée par la création de Cent lis du fleuve Lijiang, l’école de Lijiang, connue pour ses créations à la fois douces, apaisées, vivantes, vastes et ouvertes, se démarque par son réalisme et proximité avec le quotidien. Les artistes de l’école de Lijiang ont intérêt à focaliser sur la vie locale dans leur création afin de démontrer la beauté du paysage du Guangxi, ainsi que le propre de la peinture traditionnelle chinoise. Les beaux-arts, qui dépassent souvent les frontières géographiques, jouent un rôle important dans les échanges internationaux tout en véhiculant des messages bienveillants de la Chine pour éviter certains malentendus. D’ailleurs, les artistes appartenant à l’école de Lijiang envisagent d’exposer leurs œuvres dans les pays d'Asie du Sud-est pour faire du Guangxi un trait d'union entre la Chine et cette région voisine.
Photo du haut : Huang Gesheng / CNS
Commentaires