« Ice World » de Qi Binying, le documentaire qui dévoile les coulisses des sculptures sur glace de Harbin

1684750092746 Wang Nina
En 2022, Ice World (Royaume de glace) a remporté le prix du meilleur long métrage documentaire au Festival du film indépendant de Los Angeles. Quatre années de tournage ont été nécessaires pour documenter le travail et la vie de dizaines de milliers de travailleurs migrants qui construisent « le monde de glace » dans la ville de Harbin, chef-lieu du Heilongjiang qui est la province la plus septentrionale de Chine.

Ice World a été produit par Qi Binying, cinéaste chinoise vivant à Los Angeles et membre de la Fédération des chinois d'outre-mer de Harbin. Après avoir passé de nombreuses années à créer des films et des séries télévisées uniques, Ice World est son premier documentaire sur un sujet qu’elle a souhaité partager au monde et notamment faire découvrir la beauté de la glace et de la neige à Harbin et en Chine. Récemment interviewée par China News, Qi Binying nous raconte les coulisses du film.

Quelle était votre intention initiale pour le tournage du Royaume de glace ?

Ce documentaire concentre tout mon amour et ma nostalgie pour ma ville natale de Harbin. Au début de l’année 2018, alors que je tournais un film, je suis entrée sur le chantier du site « Le monde de glace et de neige de Harbin ». J'y ai vu des centaines de camions-grues et de grues soulevant du sol d'énormes blocs de glace. Des dizaines de milliers de travailleurs érigeaient des murs de glace, des sculptures changeaient de morphologie à chaque minute et quelques heures plus tard des édifices sortaient du sol. Le seul mot que je puisse utiliser pour décrire ce que je voyais est « stupéfiant ». Je suis née et j'ai grandi à Harbin, la sculpture sur glace est un souvenir important dans ma vie. Quand j'étais jeune, mes amis et moi allions au bord de la rivière pour regarder les lanternes de glace en hiver, nous marchions dans la rue centrale pour admirer les sculptures de glace et bien que le vent soit glacial, je ne restais pas insensible à tout cela, c’était très amusant.

La sculpture sur glace requiert non seulement d’avoir l’excellence technique d’un sculpteur, tout comme l’expertise d’un architecte, ce qui témoigne d’une créativité digne de celle d’un artiste. Ainsi, ont été reproduits « Les grandes fontaines » de l'ancien palais d'été de Pékin, les tours jumelles, un toboggan de glace extrêmement long et des poupées de glace. Avec l'ajout de lumières LED cela devient une « illusion d’un Disney de neige et de glace ». Au cours des dernières années, l’utilisation progressive de diverses machines de construction haut de gamme et d’équipements lourds ont permis la création de nombreuses et magnifiques structures dont la réalisation était auparavant impossible. Ces superbes sculptures de glace ont été réalisées par un grand nombre de travailleurs migrants, des gens simples et sans prétention. J’ai profondément été émue par cette forte volonté qui leur permet de surmonter le froid extrême et de travailler dur afin que les touristes du monde entier puissent apprécier le magnifique « Monde de glace et de neige de Harbin ».

Ce double amour pour ma ville natale et les films m’a donné l’envie de filmer cela pour montrer la volonté tenace des travailleurs migrants, le miracle de construire un royaume de glace en l’espace de 15 jours et le présenter au monde entier. C’est aussi de faire savoir au monde qu'il existe une ville appelée Harbin dans le nord de la Chine où se trouve l'une des plus belles expressions artistiques de glace au monde ; cela ne se résume pas seulement à des sculptures, mais c’est aussi une ville de rêve unique au monde, construite avec de la glace.

Pourquoi la réalisation de ce documentaire a-t-elle nécessité 4 années ?

Il est extrêmement difficile de tourner des documentaires sur les chantiers de constructions en glace car ils sont très dangereux. De gros camions font la navette sur les sites, ils sont chargés de gros blocs de glace de plusieurs centaines de kilos qui sont jetés au sol. Chaque année, l'ensemble du cycle de construction ne dure que 15 jours et afin de garantir que le projet soit terminé à temps, l'entreprise travaille jour et nuit. Il s’avère impossible d'arrêter ces opérations pour que nous puissions tourner le documentaire, et une fois celles-ci terminées, les travailleurs migrants retournent à la campagne. Nous devions donc enregistrer leur travail et leur vie sur cette période de 15 jours, ce qui implique de filmer le plus possible.

Une fois, sur le chantier de construction de glace, les flèches de dizaines de grues tournoyaient dans les airs, des centaines de pelleteuses à glace et divers types de camions évoluaient aux quatre coins du site. Notre caméraman était tellement fasciné par cette scène si spectaculaire, qu’il en avait oublié d'allumer sa caméra.

Lorsque nous avons commencé à tourner, nous avons suivi des concepteurs et des techniciens, mais au cours de l'entretien, nous avons découvert que les travaux de construction étaient en fait réalisés par plus de 10 000 travailleurs venant des zones rurales environnantes. Ces travailleurs migrants sont cultivateurs l'été et ouvriers sur le site du monde de glace et de neige en hiver. Afin de respecter les délais de construction, ils vivent et mangent sur le chantier où ils travaillent jour et nuit par un froid de près de -30°C. Logés dans des dortoirs temporaires et assis sur des blocs de glace pour réchauffer des repas surgelés, ils ont pourtant construit en seulement 15 jours ce monde de glace et de neige qui stupéfait le monde entier. Leur histoire m'a profondément émue, j'ai alors immédiatement changé le plan de tournage et j'ai commencé à filmer le travail et la vie de ces travailleurs migrants. À mon avis, la chose la plus importante pour un documentaire est de saisir l’histoire des gens ordinaires. Ce processus de tournage de quatre ans a été extrêmement long, et c’est mon attachement à ma ville natale qui a été ma force intérieure pour terminer le film.

Laetitia Rapuzzi

Que voulez-vous montrer au monde à travers ce documentaire ?

L'art ne connaît pas de frontières, celui de la sculpture sur glace peut transcender certaines des différences culturelles entre l'Orient et l'Occident, permettant au monde de comprendre plus directement la Chine. Il s'agit ici du premier documentaire tourné en Chine qui couvre près de 60 ans d'histoire de l’évolution de la sculpture sur glace, depuis le premier défilé de lanternes de glace dans le parc Zhaolin de Harbin en 1963 jusqu’à 2022. Avec pour point de départ les ouvriers de la construction de glace à Harbin, le documentaire présente sous forme artistique la richesse des ressources naturelles en glace et en neige du nord de la Chine et leurs profondes significations culturelles afin que le public national et étranger puisse comprendre Harbin, la province du Heilongjiang et le monde coloré de glace et de neige de Harbin. Ces édifices de glace contiennent également de nombreux éléments culturels chinois. Nous avons interviewé Yang Zhi qui était à l’époque le concepteur en chef du site. Il avait près de dix ans d'expérience professionnelle et était également le concepteur des tours de glace jumelles de 48 mètres présentées en 2019.

Yang Zhi a déclaré que la chose la plus importante en 2019 était de créer une tour principale différente de celles du passé. Il a adopté le schéma de conception non linéaire le plus populaire et l'a combiné avec le langage de conception des paysages chinois. L'art de la glace et de la neige a ses propres avantages et inconvénients, c'est également un « kaléidoscope » d'échanges culturels entre l'Orient et l'Occident. En raison des différences culturelles, il peut y avoir une hétérogénéité d'appréciation des sculptures de glace entre la Chine et l'Occident, mais grâce aux échanges et à l'apprentissage mutuel, nous pouvons découvrir les charmes des cultures orientales et occidentales.


Photo du haut : Laetitia Rapuzzi

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