
Le jeu de go, de la Chine à l’international
Le weiqi, ou jeu de go, constitue l’un des jeux de stratégie les plus complexes et les plus anciens inventés par le peuple chinois. Au fil des ans, le jeu a évolué, en intégrant différents éléments issus de plusieurs cultures et pays. Adoubé par les amateurs du monde entier, le weiqi sert de « langage universel » entre différents peuples. Dans un entretien accordé à China News, Lin Jianchao, président de l’Association chinoise du weiqi, revient sur l’essence de ce jeu chinois ainsi que sur sa diffusion dans les quatre coins du monde.
Comment le weiqi, né en Chine, a pu émerger pour devenir un jeu joué à l’international ?
La diffusion de la culture du weiqi se
divise en quatre phases : de la Chine centrale aux peuples nomades pendant la
dynastie Han de l’Est et la période des Trois Royaumes (IIe siècle)
; de la Chine à ses pays voisins pendant les dynasties du Sud et du Nord
(Ve siècle) ; la diffusion du jeu dans les pays européens pendant
les dynasties Ming et Qing (XVIe siècle) ; l’internationalisation du
weiqi au cours du XXe siècle. La péninsule coréenne servait
d’intermédiaire dans la diffusion du jeu dans toute l'Asie. C'est ainsi que le
weiqi a pu atteindre le Japon pendant les dynasties du Sud et du Nord. Alors que les
échanges culturels entre la Chine et le Japon s'intensifient, les amateurs
japonais du weiqi n’ont cessé d’améliorer leur niveau. Sous le règne de la
dynastie Tang, la Chine a accueilli à 19 reprises les émissaires et étudiants
japonais. Le weiqi, plus qu’un simple jeu divertissant, représentait un moyen
d’échange, dans le sens culturel et interpersonnel, pour ces derniers. Selon
les annales d’histoire, l'empereur Tang Xuanzong(685-762)a même sollicité à plusieurs reprises
le moine japonais savant Bian Zheng pour discuter des techniques du weiqi.
Le weiqi a réussi à se répandre dans le vieux continent, grâce aux efforts de trois célèbres missionnaires - l'Italien Matteo Ricci, le Français Nicolas Trigault et le Portugais Álvaro de Semedo. Prêtres jésuites, ils ont tous été missionnaires en Chine et ont porté une attention particulière au weiqi. Dans son chef-d'œuvre De Christiana Expeditione apud Sinas suscepta ab Societate Iesu, Matteo Ricci a décrit la pratique du weiqi en Chine, y compris ses principales caractéristiques et ses règles. Si sa présentation de ce jeu était loin d’être complète, il a pourtant érigé le weiqi au rang des jeux sérieux pour les Européens.
C’étaient les diplomates européens en poste en Chine ou au Japon au XIXe siècle qui ont réussi à documenter de manière précise et détaillée la pratique du weiqi. Si le weiqi, pour les Chinois, et le jeu de go, pour les Japonais, disposent de règles différentes, ils se sont répandus simultanément en Europe. Herbert Allen Giles, éminent sinologue britannique, dans son livre Weiqi, jeu de guerre chinois publié en 1877, a écrit pour la première fois en anglais une introduction aussi complète qu’exacte sur le weiqi. Force est de constater que le Japon a joué un rôle incontestable dans l’internationalisation du weiqi, sans doute grâce à l’occidentalisation rapide du pays suite à la Restauration de Meiji (1868 -1889).
Aujourd’hui, où en est la Chine au niveau de la pratique du weiqi ?
La
Chine compte aujourd’hui 60 millions d’amateurs du weiqi, dont 15 millions de
joueurs gradés. Il existe près de 20 000 organisations et 2 000 associations
officielles spécialisées dans ce jeu. Chaque année, la Chine accueille au total
183 championnats, nationaux et internationaux tous confondus. La ville de
Quzhou, dans le Zhejiang, surnommée « Terre divine du weiqi », a même fixé pour objectif de bâtir la «
Mecque du weiqi », en construisant le premier centre d’échange culturel et la
première base d'entraînement pour les équipes professionnelles du weiqi. Depuis
2013, 90 % des gagnants dans les championnats du weiqi viennent de la Chine.
Dans quelle mesure le weiqi pourrait-il véhiculer certaines valeurs propres à la tradition chinoise et comment a-t-il pu devenir un « langage universel » ?
Alliance
parfaite de culture et de technique, le weiqi
révèle, en effet, certains caractères spécifiques, tels que « méditatif », «
calculateur » ou encore « stratège », souvent attribués au peuple chinois. En
somme, c’est un jeu qui sollicite une grande capacité de mathématiques tout en
demeurant ouvert à maintes possibilités de dénouements. Donc il faut atteindre
un certain équilibre entre exactitude et ambiguïté pour réussir. Sur le
tablier, les pierres, toutes égales, se réservent pourtant des valeurs diverses
dû à leur placement. Dans ce sens, le weiqi est révélateur des valeurs ancrées
dans la culture chinoise, telles que la justice, l’égalité ou encore l'équité.
De plus, le weiqi met l’accent sur la vision globale, le respect mutuel des
deux parties, l’équilibre entre l’attaque et la défense, l’optimisation des
risques… Cela nous rappelle sans doute certains idéaux chers aux Chinois dont
notamment la recherche du milieu, la quête de l’harmonie, ou encore l’esprit
collectif.
Il
faut aborder le weiqi sous les prismes de l’histoire et de la réalité pour
comprendre comment il a pu devenir un « langage universel ». D’un point de vue
historique, si le jeu chinois weiqi a rencontré un tel succès chez les
Occidentaux - s’ils ont été les premiers à développer les intelligences
artificielles en jeu de go, c’est que, selon certaines recherches, les philosophies
et cultures classiques de l’Occident présentent de nombreux points communs avec
les pensées traditionnelles chinoises. De plus, le weiqi est un jeu capable de
se réinventer au fil des époques. C’est pourquoi à l’ère de l'intelligence
artificielle, le weiqi fait également sa révolution. Si l’IA s’impose face aux
joueurs humains, mais sans rien changer le propre de ce jeu, car le weiqi
demeure au fond un jeu de stratégie et des intelligences entre les hommes.
L’intelligence artificielle ne fait qu’explorer de nouveaux territoires du
weiqi en interagissant avec nous.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : Unsplash
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