
Décrypter la « destinée chinoise » du maître de l’art occidental Pablo Picasso
Le 8 avril 2023 a marqué le 50e anniversaire de la mort du célèbre artiste occidental Pablo Picasso, qui s’est éteint dans une petite ville du sud de la France, à Mougins, à l’âge de 91 ans.
La carrière artistique de Picasso s’est étendue sur plus de 70 ans, avec des bonds et des innovations artistiques constants, des « périodes bleue et rose » de ses premières années, à la « période africaine » et à la « période cubiste » de ses dernières années. Les œuvres de chaque période suscitent des émotions et des réflexions diverses. Picasso a toujours essayé de comprendre et de se nourrir des différentes cultures et arts du monde entier. Son évaluation de l’art oriental et l’inspiration qu’il y a puisée sont très tôt devenus des sujets importants pour la recherche sur les échanges artistiques entre l’Orient et l’Occident. Les relations entre Picasso et la Chine font ainsi l’objet de nombreux débats dans les milieux culturels et artistiques.
Une anecdote qui a largement circulé sur les relations de Picasso avec la Chine veut qu’il ait rencontré Zhang Daqian, un maître de la peinture chinoise, en France, dans les années 1950. Zhang Daqian se souvient que Picasso a alors déclaré qu’« il n’y a pas d’art en Occident, le véritable art se trouve en Chine ». Toutefois, ce commentaire surprenant de Picasso ne figure que dans les souvenirs de Zhang Daqian et il n’existe aucune trace de la version de Picasso. La question de savoir si Picasso a réellement fait une telle déclaration reste un mystère historique.
Néanmoins, les faits historiques qui se cachent derrière cette anecdote méritent d’être explorés. D’une part, il est vrai qu’avant même sa rencontre avec Zhang Daqian, Picasso connaissait déjà la culture et les peintures chinoises. L’artiste chinois Zhang Ding a en effet rendu visite à Picasso avant Zhang Daqian et lui a offert une Iconographie de Qi Baishi avec des xylographies à l’aquarelle. L’influence de la culture orientale sur Picasso est perceptible dans les lignes et les compositions épurées de ses poteries et de ses œuvres cubistes. Les symboles et les allégories de ses peintures seraient également inspirés du symbolisme oriental. Son tableau Joueuse de flûte et nu couché est également considéré par certains comme caractéristique de la peinture à l’encre de Chine.
D’autre part, pour les milieux culturels et artistiques chinois, les relations directes avec Pablo Picasso ont ouvert une fenêtre sur l’art chinois. En juin 1915, l’éducateur chinois Cai Yuanpei a rendu visite à Picasso en France et lui a acheté au moins cinq œuvres, marquant ainsi l’introduction officielle de l’œuvre de Picasso en Chine. Cai Yuanpei a dit des peintures de Picasso qu’« à première vue, elles semblent être des dessins, mais n’en sont pas. Elles semblent être des personnages, mais n’en sont pas ». Il a également dit que « lorsqu’on voit une chose et qu’on la trouve belle, ce n’est rien de plus que la sensation transmise par diverses lignes ». Il s’agit également de l’un des premiers témoignages d’un érudit chinois sur les peintures de Picasso.
Dans les années 1940, les tendances politiques de gauche de Picasso et son appartenance au Parti communiste l’ont rapproché du Parti Communiste Chinois. En octobre 1944, Picasso a annoncé son adhésion au Parti communiste français. Les journaux du PCC ont publié la nouvelle et une exposition de peintures de Picasso a été organisée à Yan’an pour célébrer l’occasion.
Selon les archives historiques, Picasso connaissait Mao Zedong. Li Pei, l’épouse de Guo Yonghuai, fondateur du projet « Deux bombes un satellite », se souvient que Picasso avait demandé à Deng Fa, un chef du parti communiste venu en France pour affaires officielles en 1945, d’offrir une peinture à l’huile à Mao Zedong, en témoignage de son admiration pour Yan’an. Li Pei a assuré avoir vu la peinture en personne. Malheureusement, Deng Fa, qui transportait le tableau, est mort dans un accident d’avion en 1946 alors qu’il retournait à Yan’an depuis Chongqing. La peinture a dû disparaître avec lui dans le crash aérien du « 8 avril », en 1946.
Picasso a créé la Colombe de la paix pour la Conférence mondiale pour la défense de la paix, qui a été l’une de ses œuvres les plus populaires en Chine à l’époque. La Chine nouvelle a émis trois séries de timbres, neuf au total, sur le thème de la défense de la paix mondiale, représentant les trois colombes de la paix de Picasso. La mission de sympathie du peuple chinois en Corée du Nord en 1953 a également utilisé la Colombe de la paix dessinée par Picasso pour créer une magnifique médaille commémorative, « Vive la paix ». Cela prouve incontestablement que la reconnaissance et la diffusion de l’art de Picasso ont atteint un sommet historique durant les premières années de la fondation de la Chine nouvelle.
Dans les années 1960 et 1970, le style de la plupart des œuvres de Pablo Picasso ne correspondait évidemment pas au style artistique de la Révolution rouge chinoise, ce qui lui a valu d’être continuellement ostracisé et marginalisé. Ce n’est qu’après la réforme et l’ouverture de la Chine en 1978 que les œuvres d’artistes occidentaux comme Picasso sont revenues sur le devant de la scène et ont été à nouveau reconnues par tous les secteurs de la société.
Certains chefs-d’œuvre de Picasso ont successivement rejoint les manuels scolaires chinois du primaire et du secondaire, notamment la peinture à l’huile Le Rêve de 1932 et le célèbre tableau cubiste Guernica de 1937. En outre, les peintures de Picasso sont devenues très recherchées sur le marché chinois des collectionneurs d’art, atteignant des prix astronomiques dans les grandes maisons de vente aux enchères et devenant un symbole de richesse. Lors de la vente aux enchères de Christie’s à New York il y a dix ans, le groupe Wanda a acheté le tableau Claude et Paloma pour 28,16 millions de dollars (25,46 millions d’euros). Lors de la vente aux enchères organisée pour le 50e anniversaire de Sotheby’s Asia à Hong Kong, au mois d’avril, le tableau Femme dans un fauteuil s’est vendu à 93,08 millions de dollars de Hong Kong (10,72 millions d’euros).
Durant cette période, les cercles culturels chinois ont approfondi leur réflexion sur Pablo Picasso, ne se limitant plus à l’interprétation des tableaux eux-mêmes. Par exemple, le critique littéraire Chen Danqing a dit un jour qu’il y a diverses raisons de ne pas comprendre Picasso, l’une d’entre elles étant que « son écologie n’est pas venue, lui seul est venu », ce qui revient à dire qu’« un tableau à lui seul n’a pas de contexte. Aussi merveilleuse que soit une phrase, sortie de son contexte, il n’y a vraiment aucun moyen de la comprendre. »
Depuis la réforme et l’ouverture, les œuvres de Picasso s’inscrivent de plus en plus dans les échanges culturels sino-français. En 1983, le président François Mitterrand a promu les œuvres originales de Pablo Picasso afin qu’elles soient exposées en Chine pour la première fois. « L’Exposition des œuvres originales » de Picasso s’est tenue au Musée national d’art de Chine pendant vingt jours, présentant pas moins de 33 œuvres. Au cours des trente années suivantes, les œuvres originales de Picasso ont été exposées plusieurs fois en Chine.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.
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