Cercueils suspendus : une mystérieuse coutume funéraire ancienne

1687785955895 China News Long Min
D’antiques cercueils inaccessibles, suspendus à flanc de falaise : une mystérieuse pratique funéraire qui continue d’interroger les archéologues. Entretien avec Wang Zhen, conservateur au Musée du Fujian.

Face à des rivières, des mers, des montagnes, les Chinois de l'Antiquité́ plaçaient des cercueils contenant des corps embaumés sur des falaises abruptes, dans des grottes ou des fissures en hauteur : cela s'appelle l'enterrement en « cercueils suspendus », une coutume funéraire largement répandue dans le bassin du fleuve Yangtsé et les régions du sud de la Chine, ainsi que dans de nombreuses régions d'Asie du Sud-Est et des îles du Pacifique. Wang Zhen, conservateur au Musée du Fujian, explique les secrets de ces pratiques anciennes.

Quelle est cette coutume funéraire des cercueils suspendus ?

L'enterrement en cercueils suspendus est une coutume funéraire unique des anciens Chinois, à l'origine populaire dans les régions habitées par les anciens peuples Yue dans le sud de la Chine actuelle. Les enterrements en cercueils suspendus, au sens large, sont également appelés « enterrements en cercueils de falaise », « enterrements en grottes de falaise », etc., selon leurs spécificités. Leur principale caractéristique : le placement d’objets funéraires tels que des cercueils en forme de bateau, des cercueils en bois et des jarres en céramique sur des falaises de rivières. Certains sont soutenus par des pieux introduits dans la roche, d'autres sont placés dans des fissures en hauteur, et d'autres encore sont placés dans des grottes naturelles ou artificielles.

Les enterrements en cercueils suspendus se trouvent non seulement dans diverses régions de Chine, telles que le Fujian, le Jiangxi, le Zhejiang, le Guangdong, le Guangxi, le Sichuan, le Guizhou, le Yunnan et à Taiwan, mais se sont également répandus à l'étranger. À ce jour, des vestiges similaires ont été trouvés au nord du Vietnam, au nord-est de la Thaïlande, à Kalimantan sur l’île de Bornéo, dans les îles Philippines, les îles Ryukyu, ainsi que dans les les de Micronésie et de Polynésie du Pacifique. On en trouve datant des dynasties Shang et Zhou (IIe – Ier millénaires avant notre ère) jusqu'à la période des Ming et Qing (XIVe – XXe siècles), où des découvertes ont été faites dans des régions du sud-ouest, telles que celles peuplées par les ethnies Miao et Buyei. Face aux rivières ou à la mer, les anciens choisissaient des lieux élevés comme dernière demeure pour éviter les attaques d'animaux sauvages et les destructions humaines, ainsi que pour profiter de l'abri des grottes contre le vent et la pluie. Cela est également lié aux croyances anciennes : la mort d'une personne n'entraîne pas l'extinction de l'esprit et du corps, mais il y a une âme qui peut « monter au ciel », et la montagne est le chemin incontournable pour ce faire. Par conséquent, ils n'hésitaient pas à dépenser beaucoup de main-d'œuvre et de ressources pour enterrer les ossements dans des falaises majestueuses mais élevées et difficiles d’accès.

Dans la région du « patrimoine mondial naturel et culturel » du mont Wuyi, dans le Fujian en Chine, on peut voir des cercueils en forme de bateau sur des falaises abruptes. Pourquoi dit-on que le mont Wuyi est le berceau de la coutume des cercueils suspendus ?

Le mont Wuyi, situé dans les montagnes du nord du Fujian, est célèbre pour ses eaux vert émeraude, ses montagnes rouges, ses pics étranges et ses roches aux formes uniques. En descendant la rivière Jiuqu, on peut voir de nombreuses grottes mystérieuses et des cercueils en forme de bateau sur des falaises à plus de cent mètres de haut. Les premiers enregistrements concernant les cercueils du mont Wuyi remontent à la dynastie du Sud (420–589 ap. J.-C.). Des annales racontent qu’ainsi, « Il y a une montagne dans Ji'an appelée Wuyi, où se trouvent les tombes des Immortels du ruisseau » avec « des milliers de cercueils suspendus à mi-hauteur des falaises ». Le célèbre érudit néo-confucéen Zhu Xi (1130 - 1200) a déclaré : « Il y a une montagne appelée Wuyi à Chong'an, qui est réputée être la demeure des dieux. Les pics et les ravins sont magnifiques et majestueux, avec un ruisseau clair qui serpente en neuf méandres. Sur les falaises escarpées des deux côtés, là où l’homme ne peut laisser de traces, il y a des pieux de bois secs insérés dans les fissures de la roche pour soutenir des cercueils en forme de bateau. Les restes dans les cercueils et les poteries à l'extérieur sont encore intacts. »

D'après les découvertes actuelles, notamment en comparant les types de textiles de soie et de coton à l'intérieur des cercueils ainsi que les tessons de poterie découverts à proximité, on a déduit que les cercueils trouvés près de la chaîne de montagnes du Wuyi sont très anciens, certains datant du second millénaire avant notre ère, soit de la fin de la dynastie Shang jusqu'à la période tardive de la dynastie des Zhou de l’Ouest (VIIIe siècle av. J.-C.) ! Le cercueil en forme de bateau retiré de la grotte de Baiyan, dans la partie nord- ouest de la zone touristique du mont Wuyi, est conservé au Musée du Fujian. Il mesure environ 489 centimètres de long, 55 centimètres de large et 73 centimètres de haut. Juché à 51 mètres au-dessus du sol dans une grotte de la falaise, il a nécessité l’utilisation des treuils à main pour soulever les membres de l'équipe archéologique afin de le descendre en 1973.

Le cercueil a une forme globale de bateau, avec un fond en forme de fuseau et est composé de deux parties emboîtées. Ce type de cercueil reflète le mode de vie des habitants de l'époque, qui vivaient et mouraient près des rivières et des montagnes, en se déplaant toujours en bateau. D'après l'identification des ossements, le propriétaire du cercueil était un homme âgé de 55 à 60 ans, mesurant environ 1,65 mètre et appartenant au type racial mongolode. À l’intérieur, les archéologues ont également découvert un plateau de bois en forme de tortue, placé sur la poitrine du défunt. La tortue est un animal commun qui, en raison de sa longévité, était souvent associé à la longévité et à la prospérité.

Sans équipement mécanique moderne, comment les cercueils suspendus ont- ils été placés à des dizaines voire des centaines de mètres de hauteur ?

C’est l'un des mystères de cette pratique. Il y a plus de trois mille ans, avec le niveau technique d’alors, il était extrmement difficile de placer des cercueils aussi volumineux et lourds au sommet de crêtes escarpées. Ce serait encore le cas aujourd’hui. Plusieurs hypothèses ont été avancées : peut-tre que le niveau de l'eau était plus élevé à l'époque, permettant de placer directement les cercueils en forme de bateau dans les grottes, ou en construisant des plates- formes en terre, des cadres en bois ou des passerelles pour atteindre l'entrée de la grotte et y placer les cercueils. Cependant ces hypothèses ont été écartées. Les méthodes les plus probables devaient consister à hisser le cercueil avec des cordes. Des traces de cordes ont été trouvées sur le cercueil de Baiyan. On a également réalisé des expériences sur place pour vérifier cette hypothèse. Étant donné le faible niveau technique et l'absence d'outils tels que poulies et engrenages, c’était forcément très difficile. On a du mal à imaginer cela aujourd’hui.

Comment cette coutume s'est-elle répandue en Asie du Sud-Est et dans les îles du Pacifique ?

Durant l’Antiquité et avant la dynastie chinoise des Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.), la grande région du sud de la Chine était habitée par les Yue ainsi que d’autres groupes ethniques. Avec les conqutes des régions centrales, une grande partie des Yue se sont intégrés au système chinois, d’autres se sont déplacés vers le sud et des îles plus éloignées. Ils ont choisi de s'installer dans des endroits similaires à leur environnement de vie originel et ont conservé leurs coutumes culturelles et funéraires.

Article adapté du chinois et publié sur chinanews.com.cn le 03/04/2023

Photos © JIANG Kehong/Xinhua

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