« Comment le Yi Jing a-t-il influencé le monde occidental ? » - Entretien avec le sinologue allemand Dennis Schilling

1692952177029 China News Wan Suyan
Le classique chinois qu’est le Yi Jing ou Livre des mutations a été introduit en Occident par les missionnaires jésuites au XVIIe siècle. Il a ensuite été traduit en anglais, en français, en allemand et en russe, entre autres langues, et s’est diffusé en Europe et aux États-Unis. Il a également fait l’objet d’une grande attention de la part des philosophes et scientifiques occidentaux.

En quoi le Yi Jing est-il devenu un modèle d’échange interculturel ? Dans une récente interview accordée à China News, l’allemand Dennis Schilling, sinologue, professeur invité à l’École de philosophie de l’Université du Peuple de Chine et traducteur du Yi Jing - Nouvelle traduction allemande, a déclaré qu’une pensée n’existe pas de manière indépendante d’une culture à une autre. Elle est le processus et l’inspiration nés de la combinaison de pensées et de la fusion des cultures, qui produisent imperceptiblement de nouveaux développements et de véritables échanges.

Quelle évolution l’étude du Yi Jing a-t-elle connue en Occident ?

Lorsque les missionnaires jésuites sont arrivés en Chine, ils ont été très enthousiasmés par la prospérité de la culture du livre dans le pays. Au début, les Jésuites ne se sont pas intéressés au Yi Jing, considérant qu’il s’agissait d’un livre de divination et que la philosophie Taiji (« du faîte suprême ») des dynasties Song et Ming différait de leur pensée. Plus tard, néanmoins, certains missionnaires, notamment le français Joachim Bouvet, s’y sont beaucoup intéressés, estimant que la culture chinoise avait développé très tôt une croyance en Dieu et que certains « signes » de cette croyance sont visibles dans le Yi Jing et dans d’autres classiques. Le Yi Jing contient également des indications sur l’avenir et peut être utilisé pour projeter l’évolution du temps, à l’instar des prophéties de la Bible.

Pour réfuter cette théorie du signe et prouver que les affirmations de Bouvet étaient sans fondement, d’autres missionnaires ont commencé à traduire le Yi Jing au XVIIIe siècle. Ils ont ainsi créé la première traduction complète en latin du Yi Jing, mais le livre est longtemps resté caché à la Bibliothèque royale de France (qui deviendra la Bibliothèque nationale de France). Il faudra attendre le XIXe siècle pour qu’un érudit allemand tombe sur la traduction et la fasse imprimer. À la fin du XIXe siècle, d’autres traductions ont vu le jour.

À la fin du XVIIe siècle, le scientifique allemand Leibniz a inventé le système des nombres binaires, mais il n’était pas sûr de lui et n’a pas publié sa thèse. En 1701, Leibniz est tombé des nues lorsque Bouvet lui a envoyé le Yi Jing et les Huit trigrammes de Fuxi. Le système binaire figurait de manière innée dans les 64 hexagrammes de Fuxi, ce qui étayait sa théorie.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, de nombreux sinologues européens ont traduit le Yi Jing et ont rédigé cinq ou six traductions en français, en allemand et en anglais, la plus célèbre étant la traduction anglaise du sinologue britannique James Legge.

Le missionnaire allemand Richard Wilhelm, auteur de la première traduction en allemand du Yi Jing, au début du XXe siècle, pensait que l’ouvrage était empreint du langage symbolique de la psychologie inconsciente.

Wilhelm a présenté le Yi Jing au fondateur suisse de la psychologie analytique Carl Gustav Jung. Ce dernier a mené de nombreuses recherches sur la divination dans différentes cultures et a proposé le « principe de synchronicité » pour illustrer le principe d’utilité qui sous-tend la divination.

La traduction allemande de Wilhelm a été traduite en anglais par le traducteur américain Cary Baynes et publiée aux États-Unis en 1950, avec une préface de Jung. Grâce à la réputation du psychologue, le Yi Jing a largement suscité l’attention des Occidentaux et un véritable engouement pour le Yi Jing est né.

De nombreux lecteurs occidentaux ont vu dans le Yi Jing une doctrine mystique, qui pouvait être utilisée pour la divination, éclairer les pensées les plus intimes et prédire l’avenir. Le Yi Jing a influencé un grand nombre de personnes du mouvement New Age aux États-Unis.

Après la préface de Jung, de nombreuses traductions et interprétations du Yi Jing ont vu le jour en Occident, expliquant, par exemple, comment utiliser le Yi Jing pour la divination.

Wilhelm a traduit le trigramme « qian » par « le créatif ». De nombreux Occidentaux aiment le Yi Jing précisément parce qu’il stimule la créativité.

Comment le Yi Jing a-t-il influencé l’Occident ?

La plus grande influence du Yi Jing en Occident a été l’acceptation de la divination. Le christianisme rejetait autrefois totalement la divination, mais, au fil du temps, de nombreux érudits occidentaux ont reconnu la validité de cette dernière et sa grande influence à l’étranger. Le Yi Jing a largement été accepté par le mouvement New Age américain en raison de ses connotations mystiques et de l’existence de concepts similaires en Occident. On peut parler de fusion.

Le Yi Jing a influencé le monde littéraire occidental. Le Jeu des perles de verre de l’allemand Hermann Hesse contient de nombreux passages inspirés de la philosophie chinoise, comme cette référence au trigramme « meng » : « Le bandit que je suis prie l’enfant ignorant, l’enfant ignorant me supplie ». Le jeune protagoniste, à la recherche du sens de l’existence, rencontre un homme nommé « Big Brother », qui l’aide à utiliser le Yi Jing pour répondre à ses questions et lui enseigne la philosophie de la Voie du milieu.

Le Yi Jing a également influencé le monde de l’art occidental. Le compositeur classique d’avant-garde américain John Cage s’est inspiré des 64 hexagrammes du Yi Jing dans son exploration de la musique aléatoire et de la musique du silence. Son œuvre la plus célèbre est 4’33’’, qui n’est composée d’aucune note.

En quoi votre Yi Jing - Nouvelle traduction allemande diffère-t-il de la version de Wilhelm ? Comment la traduction peut-elle être plus accessible aux lecteurs occidentaux ?

En 2007, un éditeur m’a demandé de proposer une nouvelle traduction du Yi Jing. J’ai travaillé pendant un peu moins de trois ans et ma traduction a été publiée en 2009. Il s’agit d’un texte annoté, dont les 250 premières pages sont de la traduction pure et les 400 autres pages sont réservées aux commentaires.

J’attache une grande importance au contexte de la pensée, c’est-à-dire à l’arrière-plan social et historique d’une pensée. Dans ma traduction, j’ai essayé d’expliquer la fonction et la signification du Yi Jing dans l’histoire. J’ai également fait la distinction entre les Canons et les Commentaires, qui ont tous deux leur propre rôle et leur propre contexte.

Un autre point important est la source textuelle des hexagrammes et des traits qui composent le Yi Jing. Le Yi Jing fait de nombreuses références à des histoires mythologiques, en particulier l’histoire de la conquête de Zhou par le roi Wu et celle de figures mythiques de la dynastie Xia. J’ai donc rédigé beaucoup d’annotations, contrairement aux traductions précédentes.

Les hexagrammes et les traits du Yi Jing sont difficiles à comprendre, d’autant que de nombreuses phrases n’ont pas de sujet. Le traducteur doit avoir une compréhension approfondie du sens du texte, du contexte historique et du contexte linguistique pour en faire une bonne traduction. Pour illustrer mes mots, je me réfère à de nombreux documents, tels que les textes des Zhou occidentaux, les inscriptions sur bronzes ou le Classique des vers. Je les interprète d’un point de vue littéraire et les compare avec des passages du Classique des vers et du Livre des documents.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

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