Le sinologue français Benoît Vermander : « Comment poursuivre aujourd’hui le dialogue civilisationnel de Matteo Ricci et Xu Guangqi ? »

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En 1600, le missionnaire italien Matteo Ricci et le scientifique chinois de la dynastie Ming Xu Guangqi se sont rencontrés à Nankin, laissant derrière eux des anecdotes historiques sur cette « rencontre entre l’Orient et l’Occident ». En 1987, le sinologue français Benoît Vermander est parti en Chine sur les traces de Matteo Ricci et a mené des études de terrain et des recherches universitaires dans la Chine rurale pendant plus de dix ans.

Actuellement directeur du Centre Matteo Ricci - Xu Guangqi pour le dialogue entre les civilisations de l’université de philosophie Fudan, à Shanghai, Benoît Vermander était à Pékin pour assister au Forum international de sinologie organisé par l’Association chinoise pour les échanges internationaux et l’Université des langues et des cultures de Pékin. Dans une interview exclusive accordée à China News, il explique comment poursuivre aujourd’hui le dialogue civilisationnel de Matteo Ricci et Xu Guangqi.

Comment Matteo Ricci et Xu Guangqi se sont-ils rencontrés ? Comment les deux hommes se sont-ils influencés mutuellement dans le dialogue entre les civilisations orientale et occidentale ?

Xu Guangqi et Matteo Ricci se sont rencontrés pour la première fois à Nankin en 1600 et ont maintenu des contacts étroits jusqu’en 1607. Au cours de ces sept années, ils ont réalisé de nombreux travaux de traduction entre le chinois et le latin. On peut dire que Matteo Ricci et Xu Guangqi ont mené à bien le premier dialogue approfondi entre la Chine et l’Occident de l’histoire. Ils ont non seulement tissé une profonde amitié, mais aussi échangé en continu des ressources d’information entre les deux systèmes de connaissances chinois et occidental.

Xu Guangqi et Matteo Ricci ont également collaboré à la traduction des Éléments d’Euclide. Ce traité a influencé l’ensemble de la communauté scientifique chinoise, et pas seulement dans le domaine des sciences naturelles. En Europe, à cette époque, la géométrie était un langage qui transcendait le langage. C’était le langage le plus universel. On pouvait examiner n’importe quel problème grâce à la logique et au raisonnement géométriques. C’est aussi l’une des plus grandes contributions de Matteo Ricci.

Matteo Ricci est l’une des figures de proue de la sinologie missionnaire. Quel rôle la sinologie missionnaire a-t-elle joué dans le développement de la sinologie occidentale ?

Matteo Ricci a réalisé la première traduction latine des « Quatre livres et des Cinq classiques » de l’histoire, mais sa traduction n’a malheureusement jamais été publiée. Ce n’est qu’en 1687, 77 ans après sa mort, que les Jésuites ont publié la première traduction latine d’un classique chinois, Confucius Sinarum Philosophus, d’après les traductions de Ricci et d’autres missionnaires chinois.

Plus que son œuvre, c’est l’esprit de Matteo Ricci vis-à-vis de la sinologie qui est le plus abouti. C’est parce qu’il a patiemment étudié la Chine et les classiques confucéens qu’il a largement contribué au dialogue entre la Chine et l’Occident. Cette attitude académique a influencé les missionnaires et les sinologues de génération en génération.

Il ne faut pas oublier que la civilisation chinoise est une civilisation centrée sur le texte. Lorsque les missionnaires occidentaux sont arrivés en Chine, ils ont dû lire les classiques. S’ils n’étaient pas capables de les comprendre, ils n’avaient aucun moyen de comprendre pleinement les Chinois avec qui ils vivaient. Beaucoup de missionnaires ont donc lu un grand nombre de classiques confucéens pendant leur séjour en Chine. Ils ont lu les Entretiens, Le Classique des rites, Mencius... Naturellement, ils en ont traduit certains, marquant le début de la sinologie missionnaire. Au cours de ce processus, les missionnaires ont progressivement découvert la sagesse orientale unique dans les classiques confucéens. Lorsque ces classiques chinois ont été traduits en latin, en français ou en allemand et diffusés en Europe, ils ont objectivement contribué au développement des Lumières.

En tant que titulaire d’un master en théologie de l’Université catholique Fu-Jen de Taipei et docteur en théologie des Facultés jésuites de Paris, vous vous concentrez actuellement sur l’étude des classiques confucéens chinois d’un point de vue théologique. Comment les classiques confucéens peuvent-ils être considérés dans une perspective théologique ?

La théologie est l’étude de l’existence et de la possibilité de la « transcendance ». C’est une question philosophique. En termes généraux, la transcendance concerne ce qui est au-delà de notre expérience quotidienne et de notre cognition scientifique. Ce terme peut se rapporter à une croyance, comme celle selon laquelle « le monde a été créé à partir de rien par un mécanisme extérieur », ou il peut simplement faire référence à une question du type « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Dans ce dernier cas, la poursuite de « quelque chose » conduit inévitablement à la poursuite du « rien ». C’est précisément cette question qui domine le Dao de Jing de Laozi.

Dans ses Entretiens, Confucius dit : « Est-ce que le Ciel parle ? Les quatre saisons suivent leur cours ; tous les êtres reçoivent l’existence. Est-ce que le Ciel parle jamais ? » Nous pouvons dire que la question posée par Confucius est théologique, à savoir si le « ciel » manifeste naturellement ses pouvoirs. Dans les différents ouvrages des Cent écoles de pensée, certains penseurs mettent en avant le concept de « ciel », tandis que d’autres emploient la « Voie » à tout bout de champ. Le concept de « ciel » recouvre deux aspects. Premièrement, il se réfère à la « providence » ou à la « volonté céleste », ce qui implique que le « ciel » se soucie des Hommes. C’est le cas dans le Classique des vers - Qiaoyan : « Ô ciel vaste et lointain, que l’on appelle notre parent ». Le ciel, haut et lointain, est ainsi comparé au père et à la mère des êtres humains. Deuxièmement, il fait référence au créateur des lois de la Nature. C’est le cas dans « Est-ce que le Ciel parle ? ». Le concept de « Voie », quant à lui, peut être considéré comme la systématisation du second de ces aspects.

Le concept de « théologie naturelle » est présent dans les classiques chinois de Confucius. À l’opposé de la « théologie révélée », il fait référence à la connaissance du divin que l’Homme peut atteindre en s’appuyant sur la nature (nature et raison). Bien qu’il s’agisse d’un concept issu de la tradition théologique occidentale, l’attitude et l’approche de la théologie naturelle ne sont pas propres à la pensée occidentale. Cette capacité de l’Homme à avoir une compréhension naturelle et intérieure des choses, par-delà la connaissance empirique, fait écho à ce qu’exprime Mencius : « Celui qui explore pleinement son esprit connaîtra sa nature. Celui qui connaît sa nature, connaîtra le ciel ».

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

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