Le « Carnaval à la chinoise », célébration de la floraison depuis des millénaires

1695625498885 China News Wen Longjie, Xu Huangguan
Sous le nom de Shanghua, littéralement « observation des fleurs » en chinois, ce rituel annuel, associant nature et littérature, propose une expérience à la fois intellectuelle, visuelle, sensorielle et gastronomique.

Shanghua, littéralement « observation des fleurs » en chinois, désigne la célébration annuelle de la floraison. Une coutume courante dans les pays asiatiques, comme au Japon, où cette tradition est connue sous le nom de Hanami. La Chine se démarque néanmoins de ses voisins en associant cette pratique aux traits de la personnalité, à la culture, et aux coutumes sociales. Dans l’empire du Milieu, le shanghua relève de traditions et de rites, alors qu'en Occident, cela représenterait davantage une occasion d'échange et de partage.

Quelle est l'origine de cette tradition chinoise ? Quelles sont ses portées esthétique, littéraire et philosophique ? Quelles sont ses caractéristiques et son influence sur la société d'aujourd'hui ? Entretien avec Meng Hui, directeur adjoint du comité des recherches sur la culture du parfum au sein de l'Association chinoise des arts et métiers.

Comment expliquer l'origine de la célébration de la floraison en tant que tradition culturelle ?

Cette pratique remonte à l'antiquité, et s’est développée au fil du temps alors que la civilisation chinoise n’a cessé d’évoluer. Son émergence tient à plusieurs raisons, aussi naturelles qu'humaines. Tout d’abord, les quatre saisons sur l’ensemble du territoire chinois sont bien distinctes, et le printemps marque le retour d’une vie en plein air après plusieurs mois de gel, de froid et d'inactivité. Depuis la dynastie Qin (221 av. J.-C.– 207 av. J.-C.), les gens sortaient volontiers dans la montagne ou au bord de l’eau pour admirer la beauté des fleurs qui s'épanouissent au printemps. De plus, comme la Chine est historiquement un grand pays d'agriculture, nos ancêtres ont éprouvé de l’affection profonde et sincère à l’égard de la flore. D’autant qu’ils effectuaient des travaux des champs au rythme des saisons, ils sont restés sensibles au cycle saisonnier ponctué par la floraison et la défloraison. Donc entre ces éclosions et flétrissements cycliques, certains y voient les principes fondamentaux du fonctionnement de l’univers ainsi que le cycle de la vie, à la vigoureux et fragile. Dans ce sens, une fleur constitue un reflet du monde et aussi un microcosme en elle-même. Nous cherchons en quelque sorte à entrer en contact avec le monde à travers nos attachements aux fleurs. D'ailleurs on célèbre la floraison pas seulement au printemps. Car les trois autres saisons disposent aussi de leur fleur symbolique : fleur de lotus en été, osmanthus pour l'automne et calycanthe pour l'hiver.

Quelles sont les portées esthétiques et culturelles du shanghua ?

Ce rituel évolue au gré du développement de plusieurs secteurs, comme la floriculture, l'urbanisme ou encore l'horticulture. De la dynastie Qin au début des Tang (618 – 907), les gens sortaient tous ensemble pour apprécier les fleurs des champs. C’était aussi une occasion pour respirer, s’amuser, sociabiliser et d’échanger. Alors que la dynastie Tang a atteint son apogée, les autorités et les individus se mettaient à cultiver des fleurs et à construire des temples à l’entour des cités pour bâtir des zones pittoresques semi-artificielles, permettant la célébration collective de la floraison au printemps. Elles constituaient des espaces publiques uniques. Parmi les zones les plus connues : le Qujiang construit sous le règne des Tang, le Lac de l'Ouest de Hangzhou issu des Song (960–1127), et le Lac du Sud de Jiaxing construit durant les dynasties Ming et Qing. Sous les fleurs, on faisait des pique-niques, on jouait de la musique, on chantait et on faisait voler des cerfs-volants. Les marchands fourmillaient et les artistes donnaient volontiers des spectacles en plein air. Je dirais que la célébration de la floraison était une sorte de « carnaval à la chinoise ».

Vers la fin de la dynastie Tang, les jardins privés ont prospéré dans les grandes villes, enrichissant les activités lors de la célébration annuelle de la floraison. Car pour les citadins avides de connaissances architecturales ou esthétiques, la tournée des jardins privés sous le ciel printanier était devenue un rendez-vous convivial incontournable. Durant les dynasties Ming et Qing, les propriétaires de jardins aimaient également profiter de cette occasion pour présenter leur collection d’art, dont des reliques, des œuvres calligraphiques ou encore des livres anciens.  

Comment peut-on apprécier l’esthétique et la poétique de la culture chinoise à travers la célébration de la floraison ?

Nos ancêtres ne se contentaient pas d’apprécier les fleurs. Mieux, ils tentaient de vivre une expérience riche aussi bien sur la forme que sur le fond. C’était une forme de romantisme propre à la culture chinoise, lié forcément à une grande capacité d’imagination et de créativité. Grâce à la prospérité économique sociale, ce rituel annuel, associant nature et littérature, était célébré en grande pompe, notamment chez les lettrés, incarnation de l’élégance et de la sophistication chinoise. L’une des grand-messes de ces derniers était de fait les festivals de fleurs dédiés à des variétés différentes, comme le festival de pivoines ou encore le festival de bégonias. Il s’agissait souvent de soirées somptueuses. Il fallait tout d’abord choisir un lieu unique, souvent un palais ou une pagode, puis le décorer soigneusement avec des fleurs d’une même espèce, thématique du festival. Ensuite les convives étaient invités à porter des habits avec des motifs fleuris et à mettre en voix des poèmes ayant pour thème cette variété de fleurs. Ce genre d'activité proposait une expérience à la fois intellectuelle, visuelle, sensorielle et gastronomique. Car les banquets de fleurs, avec des plats à base de fleurs et des liqueurs aux fleurs, étaient également très appréciés à l'époque.  

De ce point de vue, dans la culture chinoise, l’esthétique est davantage un concept concret et quotidien. La tradition chinoise consiste à améliorer nos connaissances et savoir-faire pour montrer la beauté tangible des choses et à proposer une immersion sensorielle, visuelle et sensible. En témoignent nos attachements à la célébration de la floraison. Entre fleurs, jardins et hommes, les engagements humains n'ont cessé de faire écho à la générosité de la nature.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.