
Le « Carnaval à la chinoise », célébration de la floraison depuis des millénaires
Shanghua, littéralement « observation des fleurs » en chinois, désigne la célébration annuelle de la floraison. Une coutume courante dans les pays asiatiques, comme au Japon, où cette tradition est connue sous le nom de Hanami. La Chine se démarque néanmoins de ses voisins en associant cette pratique aux traits de la personnalité, à la culture, et aux coutumes sociales. Dans l’empire du Milieu, le shanghua relève de traditions et de rites, alors qu'en Occident, cela représenterait davantage une occasion d'échange et de partage.
Quelle est l'origine de cette tradition chinoise ? Quelles sont ses portées esthétique, littéraire et philosophique ? Quelles sont ses caractéristiques et son influence sur la société d'aujourd'hui ? Entretien avec Meng Hui, directeur adjoint du comité des recherches sur la culture du parfum au sein de l'Association chinoise des arts et métiers.
Comment expliquer l'origine de la célébration de la floraison en tant que tradition culturelle ?
Cette pratique remonte à l'antiquité, et s’est
développée au fil du temps alors que la civilisation chinoise n’a cessé
d’évoluer. Son émergence tient à plusieurs raisons, aussi naturelles
qu'humaines. Tout d’abord, les quatre saisons sur l’ensemble du territoire
chinois sont bien distinctes, et le printemps marque le retour d’une vie en
plein air après plusieurs mois de gel, de froid et d'inactivité. Depuis la
dynastie Qin (221
av. J.-C.– 207 av. J.-C.), les gens sortaient volontiers dans la
montagne ou au bord de l’eau pour admirer la beauté des fleurs qui s'épanouissent au printemps. De
plus, comme la Chine est historiquement un grand pays d'agriculture, nos
ancêtres ont éprouvé de l’affection profonde et sincère à l’égard de la flore.
D’autant qu’ils effectuaient des travaux des champs au rythme des saisons, ils
sont restés sensibles au cycle saisonnier ponctué par la floraison et la
défloraison. Donc entre ces éclosions et flétrissements cycliques, certains y
voient les principes fondamentaux du fonctionnement de l’univers ainsi que le
cycle de la vie, à la vigoureux et fragile. Dans ce sens, une fleur constitue
un reflet du monde et aussi un microcosme en elle-même. Nous cherchons en
quelque sorte à entrer en contact avec le monde à travers nos attachements aux
fleurs. D'ailleurs on célèbre la floraison pas seulement au printemps. Car les
trois autres saisons disposent aussi de leur fleur symbolique : fleur de lotus
en été, osmanthus pour l'automne et calycanthe pour l'hiver.
Quelles sont les portées esthétiques et culturelles du shanghua ?
Ce rituel évolue au gré du développement de plusieurs secteurs, comme la floriculture, l'urbanisme ou encore l'horticulture. De la dynastie Qin au début des Tang (618 – 907), les gens sortaient tous ensemble pour apprécier les fleurs des champs. C’était aussi une occasion pour respirer, s’amuser, sociabiliser et d’échanger. Alors que la dynastie Tang a atteint son apogée, les autorités et les individus se mettaient à cultiver des fleurs et à construire des temples à l’entour des cités pour bâtir des zones pittoresques semi-artificielles, permettant la célébration collective de la floraison au printemps. Elles constituaient des espaces publiques uniques. Parmi les zones les plus connues : le Qujiang construit sous le règne des Tang, le Lac de l'Ouest de Hangzhou issu des Song (960–1127), et le Lac du Sud de Jiaxing construit durant les dynasties Ming et Qing. Sous les fleurs, on faisait des pique-niques, on jouait de la musique, on chantait et on faisait voler des cerfs-volants. Les marchands fourmillaient et les artistes donnaient volontiers des spectacles en plein air. Je dirais que la célébration de la floraison était une sorte de « carnaval à la chinoise ».
Vers la fin de la dynastie Tang, les jardins
privés ont prospéré dans les grandes villes, enrichissant les activités lors de
la célébration annuelle de la floraison. Car pour les citadins avides de
connaissances architecturales ou esthétiques, la tournée des jardins privés sous
le ciel printanier était devenue un rendez-vous convivial incontournable.
Durant les dynasties Ming et Qing, les propriétaires de jardins aimaient
également profiter de cette occasion pour présenter leur collection d’art, dont
des reliques, des œuvres calligraphiques ou encore des livres anciens.
Comment peut-on apprécier l’esthétique et la poétique de la culture chinoise à travers la célébration de la floraison ?
Nos ancêtres ne se contentaient pas d’apprécier
les fleurs. Mieux, ils tentaient de vivre une expérience riche aussi bien sur
la forme que sur le fond. C’était une forme de romantisme propre à la culture
chinoise, lié forcément à une grande capacité d’imagination et de créativité.
Grâce à la prospérité économique sociale, ce rituel annuel, associant nature et
littérature, était célébré en grande pompe, notamment chez les lettrés,
incarnation de l’élégance et de la sophistication chinoise. L’une des
grand-messes de ces derniers était de fait les festivals de fleurs dédiés à des
variétés différentes, comme le festival de pivoines ou encore le festival de
bégonias. Il s’agissait souvent de soirées somptueuses. Il fallait tout d’abord
choisir un lieu unique, souvent un palais ou une pagode, puis le décorer
soigneusement avec des fleurs d’une même espèce, thématique du festival.
Ensuite les convives étaient invités à porter des habits avec des motifs
fleuris et à mettre en voix des poèmes ayant pour thème cette variété de
fleurs. Ce genre d'activité proposait une expérience à la fois intellectuelle,
visuelle, sensorielle et gastronomique. Car les banquets de fleurs, avec des
plats à base de fleurs et des liqueurs aux fleurs, étaient également très
appréciés à l'époque.
De ce point de vue, dans la culture chinoise, l’esthétique est davantage un concept concret et quotidien. La tradition chinoise consiste à améliorer nos connaissances et savoir-faire pour montrer la beauté tangible des choses et à proposer une immersion sensorielle, visuelle et sensible. En témoignent nos attachements à la célébration de la floraison. Entre fleurs, jardins et hommes, les engagements humains n'ont cessé de faire écho à la générosité de la nature.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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