
Yan Zhenqing, calligraphe médiéval chinois et hors du temps
Figure emblématique dans l'histoire de la calligraphie chinoise, Yan Zhenqing, calligraphe, lettré et homme politique sous la dynastie Tang, continue de susciter fascination, même au-delà des frontières de la Chine.
D’où vient le charme intemporel des œuvres de Yan Zhenqing ? Entretien avec Yang Baolin, ancien directeur du Collège de la formation en calligraphie de l’Université normale de Shenyang.
Quelle place occupe-t-il dans l’histoire de la calligraphie chinoise ?
Célèbre calligraphe de la dynastie Tang (618-907), Yan Zhenqing est connu pour son style d'écriture régulière (kaishu, en chinois, un des style d’écriture en calligraphie chinoise) sous des traits arrondis et des formes ouvertes. Un style magistral et grandiose qui lui a valu de nombreux éloges : pour Su Shi, poète de la dynastie Song, l'écriture de Yan Zhenqing est unique, à la fois imposante et très douce, alors que le calligraphe Zhu Changwen n'a pas hésité à le hisser au premier rang des calligraphes les plus talentueux de la Chine. Dans l'histoire de la calligraphie chinoise, il n'existe que deux figures fondatrices dont l'un est Wang Xizhi, célèbre calligraphe chinois du IIIe siècle de notre ère, et l'autre n'est autre que Yan Zhenqing. Si on comparait souvent Wang Xizhi, le sage de la calligraphie, à Confucius, Yan Zhenqing serait sans doute une sorte de Mencius de la calligraphie, autrement dit, le second sage de la calligraphie. Considéré comme l’un des Quatre grands maîtres de la calligraphie d’écriture régulière, Yan Zhenqing excelle également dans l’écriture semi-cursive (xingshu en chinois). Le manuscrit d’offrande à un neveu, un des ses chefs-d’œuvre, est considéré comme « la deuxième meilleure pièce écrite en écriture semi-cursive dans le monde ».
Imprégné du confucianisme, du bouddhisme et du taoïsme, Yan Zhenqing développe un univers artistique en explorant son monde intérieur. D’un côté, il cultive son style d’écriture régulière en respectant les normes et l’ordre, tout en distillant certaine élégance et grandeur. Cette écriture serait sans doute un reflet de ses attachements au confucianisme. En même temps, ses deux inscriptions - Stèle de la pagode Duo Ba et Sutra du Lotus, prennent de la hauteur et s'avèrent être tout autant solides et solennelles au niveau du style. Enfin, son écriture régulière tout en simplicité, et ses œuvres en écriture semi-cursive - Le manuscrit d’offrande à un neveu et Compétition pour les sièges, qui se démarquent par leur naturel, insolence et liberté, ne sont pas sans rappeler des idées prônées par le père fondateur du taoïsme Lao Tseu, dont un des mantras était « le Tao imite sa nature ».
Dans les anciens temps, on accordait une grande importance aux caractères des calligraphes pour mieux juger leurs œuvres. Yan Zhenqing représente un exemple en terme de talents calligraphiques ainsi que de valeurs morales. Courageux et droit, il a fini par sacrifier sa vie pour sa patrie. Son style d'écriture régulière est aussi élégant que généreux, alors que son style d'écriture semi-cursive est à la fois direct et libre. Comme un reflet intime de la personnalité de l'artiste.
Pourquoi la calligraphie de Yan Zhenqing fascine autant à notre époque, même au-delà des frontières chinoises ?
Sa notoriété à l’étranger date de la dynastie Tang. Le moine japonais Kūkai était le premier à avoir appris et diffusé ses œuvres calligraphiques au Japon. En 804, Kūkai s’est rendu en Chine pour apprendre le bouddhisme. Durant son séjour, il a porté un intérêt grandissant à la calligraphie chinoise et adorait notamment les œuvres de Yan Zhenqing. Dans le sillage de ce dernier, Kūkai devient un grand maître de calligraphie au japon dont l’une des pièces-phares Gungdō Rimei s’inscrit clairement dans le style d’écriture qui caractérise Le manuscrit d’offrande à un neveu et Compétition pour les sièges de Yan Zhenqing. En Corée, c’est le calligraphe Choi Chi-won qui était le premier à avoir appris l’écriture de Yan Zhenqing. En 868, il a fait ses études en Chine avant de rentrer au pays pour promouvoir les cultures chinoises.
En 2019, l'exposition Yan Zhenqing, le calligraphe qui dépasse Wang Xizhi a connu un franc succès au Japon. La « Yan Zhenqing mania » en Asie tient à trois raisons : son influence historique dans la région, ses valeurs morales, ainsi que son style d'écriture, considéré comme droit et majestueux qui plaît autant aux spécialistes qu'au grand public.
Quelle évolution peut-on constater de la diffusion de la calligraphie chinoise à l'étranger ?
Le succès des œuvres de Yan Zhenqing à l'étranger montre l'importance qu'on accorde à la calligraphie chinoise. C'est une forme d'art de plus en plus appréciée au-delà des frontières chinoises. Alors que la Chine émerge sur la scène internationale, le nombre d’apprentis du chinois et de la calligraphie chinoise progresse. Mais la calligraphie chinoise attire avant tout les sinophones en Asie : au Japon, elle est connue sous le nom Shodo, alors qu’en Corée, Seoye. Les Japonais sont de plus en plus nombreux à apprendre la calligraphie : chaque année, un grand concours de calligraphie est organisé dans le pays, et il existe des cours de calligraphie dans le cadre du cursus scolaire. Il en est de même pour la Corée du sud. J’ai même donné des cours de calligraphie aux enseignants venus des pays en développement, dont des élèves indonésiens ou malaisiens qui sont passionnés par la calligraphie chinoise.
Par contre, il faudra attendre beaucoup plus tard pour la diffusion de la calligraphie chinoise dans le monde occidental. Au début du XXe siècles, des étudiants chinois ont ramené des œuvres calligraphiques en Grande-Bretagne et en France. Des collectionneurs occidentaux se sont ensuite mis à collectionner des pièces calligraphiques chinoises. En 1971, à Philadelphie aux États-Unis s’est tenu une exposition dédiée à la calligraphie chinoise. Depuis, cet art chinois est de plus en plus reconnu par les Occidentaux. De nombreuses universités, en Europe comme aux États-Unis, ont lancé au fur et à mesure des cours pour enseigner la calligraphie chinoise. Notons que beaucoup d’artistes impressionnistes ont également puisé leur inspiration dans la calligraphie chinoise.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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