
[C-drama] Dans la « Ville mûre », la vengeance a mille visages
Macabre et stylisé, ce polar en costume nous plonge dans la traque d’un tueur en série érudit qui prend soin de laisser une citation de Confucius sur chaque lieu de crime. Le suspense est total malgré un rythme lent et la multiplication d’intrigues secondaires.
Au beau milieu d'un champ de blé pointe un épouvantail géant, coiffé d’un chapeau chinois en paille tissé. Une nuée de moustiques bourdonne à proximité. Qu Sangeng (Bai Yufan), jeune enquêteur, se précipite sur la scène suspicieuse. Il manque de s'évanouir : c’est son chef et mentor, déguisé en croque-mitaine, qu’il découvre empaillé devant lui. Le bâton en bois qui traverse le corps sans vie est gravé d’une citation de Confucius : « Ma Voie est cousue d’un seul fil ».
Une mort mystérieuse d’une série d’homicides aussi macabres, tous accompagnés de citations de Confucius comme signature. « Six ou sept jeunes garçons », attribuée au maître Wang dont le corps est retrouvé en position du poirier avec la tête enfouie dans le sol ; « Le temps perdu ne se rattrape jamais » pour un squelette humain suspendu au-dessus de l’eau… Les victimes ne partagent rien en commun au premier abord, mais ces bribes de conversations confucéennes laissent leurs proches perplexes. Le tueur en série joue avec les mots et les maux, jetant à dessein le trouble dans les esprits. Au fil de l'enquête, tous les indices pointent pourtant vers un incendie tragique qui a eu lieu vingt ans auparavant.
« Il faut effectuer un détour pour rendre la justice. » Cette leçon donnée à Qu Sangeng par son chef, la première victime du tueur en série, sonne comme une fatalité qui relie les personnages principaux en proie à la vengeance. C’est par le jeu des flash-back insérés dans le fil narratif qui avance dans le temps chronologique que l'on ouvre la « boîte de Pandore » d'une affaire irrésolue. Derrière le drame se dessine la descente aux enfers de Lu Zhi (Yu Yao), jeune domestique malin et cinglant, et son inévitable chemin vers la vengeance. Les deux temporalités narratives sont aussi importantes l’une que l’autre. Elles avancent indépendamment, se rapprochent, s’entrechoquent avant de se rejoindre dans un dénouement inattendu.
À travers cette alternance passé-présent, les parcours initiatiques de Lu Zhi et de Qu Sangeng, tous deux orphelins de père, se télescopent et se reflètent dans un jeu de miroir subtil. Le ping-pong narratif de plusieurs personnages, portés par des répliques ingénieuses à la fois triviales et dialectiques, renforce aussi la théâtralité et le suspens tout en donnant une densité particulière au récit.
Diffusée en octobre sur WeTV, Ville mûre, minisérie de 12 épisodes, est un ovni dans le paysage télévisuel chinois pour sa dimension littéraire et ses références historiques scrupuleusement vérifiées. Intense et captivant, le polar noir à maints rebondissements réussit à maintenir le suspense jusqu'au bout. Dans un style très réaliste, le réalisateur et scénariste Wang Zheng explore l'esthétique absurde à travers le déguisement des cadavres, nous transportant dans une étrangeté du quotidien fascinante. D'autant plus que Ville mûre fait partie des rares séries chinoises en costume qui placent au centre du jeu les tracas des petits fonctionnaires, loin de la somptuosité de la cour impériale.
En arrière plan de l'enquête, la série installe minutieusement le décor, à la fois faste et corrompu, de la Chine au crépuscule de la dynastie Ming. En 1609, l’année où se déroule le récit, l’empire du Milieu, sous le règne de Zhu Yijun, surnommé « empereur fainéant », devient le pays de tous les paradoxes, entre prospérité économique, foisonnement culturel et dysfonctionnement politique. Le titre du drama renvoie d’ailleurs l'image d'un fruit trop mûr au point d’attirer des insectes (omniprésents dans la série). Une formidable allégorie d’une société en déclin qui s’ignore. Au fil des intrigues, la série réussit à aborder, avec beaucoup de finesse, des thèmes aussi obscurs que complexes comme la corruption, la cupidité, la justice, la morale, ainsi que la hiérarchie sociale. Un vrai bijou de thriller !
Ville mûre 繁城之下
Série disponible sous-titrée en anglais sur WeTV et Youtube, en français sur Viki
Genre : thriller
Diffusion : octobre 2023
Production : WeTV
Nombre d'épisodes : 12
Réalisé par Wang Zheng
Avec Bai Yufang, Ning Li, Yu Yao...
Photos : WeTV
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