Comment cette flûte en os, surnommée « la première flûte de Chine », réécrit l'histoire de la musique chinoise et même l'histoire mondiale de la musique ? Ma Xiaolin, directeur du musée du Henan, a récemment accepté une interview exclusive avec China News dans laquelle il raconte le passé, le présent mais également les histoires qui se cachent derrière la flûte en os de Jiahu.

Comment la flûte en os de Jiahu est-elle devenue le « trésor » du Musée du Henan ?

Parmi les neuf « trésors » du musée du Henan, la flûte en os de Jiahu est le plus ancien et mérite le titre de « miracle de la musique préhistorique ». Son importance réside dans le fait qu'elle nous encourage à réévaluer la profondeur spirituelle et culturelle, la richesse de l'expression émotionnelle et l’éloquence du peuple de Jiahu il y a plus de 8 000 ans. La présence de cette flûte en os dans les plaines centrales n'est pas due au hasard, car cette région, qui a l'avantage d'occuper « le centre du monde », a été un lieu précurseur reliant le nord au sud et l'est et à l'ouest au début du Néolithique. Dominé par la riziculture, le site de Jiahu était à l'époque la région la plus septentrionale de production de riz, mais son paysage culturel était dominé par le système Peiligang du nord. La domestication de porcs et de chiens est apparue sur le site de Jiahu et l’existence d’une pratique religieuse primitive à cette époque est attestée par nombre d’activités telles que la gravure sur carapaces de tortues, les ustensiles de vinification et de boisson, et plusieurs types de récipients en os de formes spéciales. Au cœur de ces activités, la flûte en os était un ustensile d’importance pour faire entrer en communication les hommes et les divinités. Que ce soit en termes de productions matérielles ou de réalisations spirituelles et culturelles, le site de Jiahu est le plus avancé de cette époque. Ainsi, la flûte en os de Jiahu mérite bien d'être élevée au rang de « trésor » par le musée du Henan.

Quelle est la signification et l'influence de la flûte de Jiahu sur la traçabilité de la civilisation ?

Cette flûte en os Jiahu mesure 23,6 cm de long et comporte sept trous d’harmonie. Selon les experts, il s'agit d'un instrument à vent joué d'une manière particulière dont les positions des trous d’harmonie sont calculées avec une grande précision. Tout d'abord, il s’agit de trouver la position de Gongyin, qui est le point de référence de l'ancienne échelle pentatonique chinoise équivalant au « Do » dans notre musique moderne. Ensuite il faut calculer les positions des autres trous d’harmonie par rapport à Gongyin. La variation d’épaisseur du tube osseux occasionnant facilement des sons très différents, nos ancêtres ont percé des petits trous à côté des sept trous d’harmonie pour apporter les corrections adéquates. Cette méthode de production est très similaire à la pratique actuelle des instruments à vent chinois.

Dans le domaine de l'histoire de la musique moderne, il y a eu des débats sans fin concernant la  date de l’apparition de la gamme heptatonique en Chine, certains croyaient même qu'elle venait d'un pays occidental. Des découvertes archéologiques telles que celles de la flûte en os de Jiahu ont complètement renversé ce point de vue. Cet instrument est une preuve archéologique attestant que nos ancêtres jouaient près de sept notes dans une tonalité inférieure avec une flûte en os il y a plus de 8 000 ans. Ceci apporte une vision scientifique concernant la vie musicale dans la civilisation chinoise ancienne.

Il va de soi que la découverte de la flûte en os de Jiahu a également fait reculer l'origine de la civilisation musicale chinoise de la période du légendaire Empereur Jaune il y a environ 5 000 ans au Néolithique moyen il y a plus de 8 000 ans. Étant non seulement le plus ancien instrument à vent découvert en Chine mais également le plus vieux au monde, elle réécrit l'histoire de la musique chinoise tout comme l'histoire mondiale de la musique, nous permettant ainsi d’apprécier le niveau de perception et de créativité de nos ancêtres préhistoriques. Les réalisations spirituelles et culturelles sont des éléments importants dans la quête des sources d’une civilisation. En ce sens, la production et l'utilisation de la flûte en os de Jiahu font la démonstration que la vie spirituelle des habitants des plaines centrales était déjà très riche il y a plus de 8 000 ans, et apportent des éléments sur l'origine et la formation de notre civilisation.

Quelles histoires se cachent derrière la flûte en os de Jiahu ?

Cette flûte est fabriquée à partir du cubitus d'une grue à couronne rouge. Il s’avère que des squelettes d'oiseaux tels que des cygnes et des grues à couronne rouge ont effectivement été trouvés sur le site de Jiahu. Très dur à l'extérieur et creux à l'intérieur, le cubitus de la grue à couronne rouge est cependant fragile et facile à casser. Il est difficile de le percer et de le limer, le perçage et le calibrage des petits trous est de fait particulièrement délicat à réaliser, et il est encore plus difficile de trouver un bon facteur de flûtes.

D'après les différentes profondeurs d'encoches à côté du trou d’harmonie, on peut voir que le fabricant a apporté de nombreuses corrections au cours du processus de conception et de fabrication de cet instrument de musique. Dans le même temps, l'observation au microscope du trou d’harmonie a permis de découvrir la présence de traces de forage en spirales. Des perceuses à main et des forets coniques en cristal, silex et autres matériaux durs ont également été trouvés sur le site archéologique de Jiahu.

Qu'il s'agisse de la sélection des matériaux ou des techniques de production, il apparaît que la fabrication de la flûte en os de Jiahu est le fruit d’une exploration de longue haleine, de calculs précis, d’une recherche constante de règles et d’une accumulation d'expériences par son créateur.

Si la flûte en os de Jiahu semble n'être qu'un tube en os percé de trous, sa fabrication, sa conception et son utilisation sont en fait très compliquées. Même avec le développement rapide de la science et de la technologie aujourd'hui, il n'est pas facile de fabriquer une flûte en os de bonne facture. Afin de redonner vie à cet instrument musical en os, vieux de 8 000 ans, le musée du Henan a dépêché une équipe professionnelle spécialisée afin de restaurer la culture musicale ancienne, ce qui a pris plus de dix ans.

Au cours des 10 dernières années, en raison de l’extrême rareté des os de grues qui constituent la matière première de l’instrument, cette opération a échoué. Ce n'est qu'en 2018 que notre équipe a trouvé des spécimens d'os de grue adaptés, et a donc pu mettre en œuvre un plan de production relativement complet. Au final, il a fallu deux ans pour achever la reproduction de cette flûte en os. Après essai, bien que cette copie présente un léger défaut, sa hauteur et son timbre sont très proches de la flûte en os Jiahu originale.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.