
Comment ces artistes chinois en situation de handicap s’exportent à l’étranger
Entretien avec Tai Lihua, directrice de la troupe des artistes en situation de handicap de Chine et présidente de l'Association d'« art spécial » de Chine.
Lors du gala du Nouvel An de CCTV en 2005, la pièce Guanyin aux mille mains, interprétée par 21 danseurs sourds de la troupe des artistes en situation de handicap de Chine, a ébloui toute son audience et a permis pour la première fois à l'art de ces artistes d'entrer dans le champ de vision du public. Depuis 2002, la troupe avait déjà franchi les frontières nationales avec des œuvres telles que Mon rêve et Transformation du papillon, présentant la culture chinoise au monde à travers leur art. Au cours des 20 dernières années, en vraie « d'ambassadrice chinoise de la beauté et de l'amitié », elle a laissé ses empreintes dans plus de cent pays et régions sur les cinq continents.
Comment l'art de ces artistes chinois peut-il, en innovant, porter la culture traditionnelle chinoise au-delà de ses frontières, fusionnant avec l'art moderne, et construisant un langage commun avec le reste du monde ? Tai Lihua, danseuse primée en Chine et à l’international, directrice de la troupe des artistes en situation de handicap de Chine et présidente de l'Association nationale d'« art spécial » (en chinois « art spécial » se réfère aux créations et à certaines formes d’art spécifiques des personnes en situation de handicap, ndt.), livre ses réflexions.
En 2005, vous êtes devenue célèbre pour avoir mené la danse Guanyin aux mille mains. Quelle est l'importance de cette danse pour les personnes en situation de handicap en Chine et pour le développement de l'art des personnes en situation de handicap ?
Les scènes de répétition de cette chorégraphie sont encore clairement gravées dans ma mémoire, c'était très difficile. En fait, nous n'avions pas imaginé que ce programme deviendrait populaire du jour au lendemain, mais il est effectivement devenu un jalon important sur la voie du développement de la troupe.
Le développement de l'art pour les personnes en situation de handicap en Chine a traversé deux étapes. La première étape a consisté à faire connaître et accepter ces artistes à travers des performances. La deuxième étape a visé à montrer la quête spirituelle incessante de ces artistes afin d’éveiller un esprit de bonté et de beauté dans le cœur des gens. Nous essayons de transmettre notre foi et notre force positive dans nos programmes. Pour briser les barrières du handicap, il faut démontrer notre valeur, notre estime de nous-même et notre confiance en nous.
Par exemple, auparavant, lorsque nous communiquions en langue des signes dans des lieux publics, il y avait toujours des gens pour nous regarder. Après le succès de Guanyin aux mille mains, les gens ont pris conscience que c’était déplacé, il y avait moins de « spectateurs », mais plutôt des gens qui nous donnaient le pouce levé. Cette dignité retrouvée a renforcé la confiance de nos partenaires en situation de handicap, leur donnant l'élan pour s'intégrer davantage dans la société et devenir de meilleures versions d'eux-mêmes.
Près de 20 ans après, vous avez créé de nombreuses nouvelles œuvres. Quelles innovations et changements avez-vous connus dans le choix des sujets et des formes de performance ?
Nous nous concentrons davantage sur l'expression artistique et sur le rôle des artistes eux-mêmes. Par exemple, nous avons une comédie musicale pour personnes non voyantes intitulée La Fleur Éternelle, basée sur l'expérience de vie d'un acteur aveugle apprenant à jouer du saxophone. Nous avons choisi de présenter son parcours où il essaie de surmonter les difficultés pour s’épanouir d'une manière dans le monde moderne.
En même temps, nous explorons également l’utilisation de moyens technologiques modernes pour raconter des thèmes de culture traditionnelle chinoise. Par exemple, à partir du 18 juin de cette année, il y a eu une série de cent représentations du drame sonore et visuel à grande échelle Mille mains et mille yeux à Dunhuang. Dans les images panoramiques des grottes de Dunhuang, projetées via des technologies de scène moderne, est contée l'histoire de Miao Shan sauvant son père, montrant de manière immersive la beauté de la culture de ce site historique. Nous essayons toujours de promouvoir le développement de l'« art spécial » de diverses manières.
À quels types de défis les personnes en situation de handicap sont-elles confrontées dans leur perception et leur expression de l'art ?
Pour les danseurs malentendants, lorsqu'ils sont confrontés à un nouveau morceau, des enseignants spécialisés « décodent » et décrivent par des moyens autres qu’auditifs la composition complexe de la musique, comme le rythme, l'intensité des battements, etc. Lors des répétitions de danse, deux enseignants en langue des signes se tiennent de chaque côté de la scène, transmettant des émotions et dirigeant les mouvements des danseurs avec des gestes qui sont fortement intégrés à la musique. Ainsi, notre danse est présentée sous l'unité de la musique, du rythme et de la direction des enseignants en langue des signes, rendant difficile pour le public de percevoir une différence.
Avec l'exploration de davantage de styles et de formes artistiques, la difficulté augmente effectivement, mais pour nous, ce sont aussi des percées. Par exemple, La Veille du Rêve est une œuvre interdisciplinaire qui fusionne danse moderne, performance théâtrale et musique instrumentale jouée par des personnes aveugles. Comparée aux danses folkloriques précédentes basées sur des rythmes musicaux plus fixes, elle nécessite une libération plus importante d'émotions corporelles en étant intégrée à la musique, ce qui est plus difficile pour les malentendants. En fait, les nouvelles formes de fusion nous donnent plus d'espace pour nous exprimer.
Votre troupe a visité des centaines de pays et de régions à travers le monde. Pourquoi continuer à s’exporter ?
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles nous continuons à nous produire à l'étranger. Premièrement, nous souhaitons montrer au monde une Chine réelle et sincère. L'« art spécial » chinois offre une perspective unique au monde de comprendre l'esprit humaniste chinois. Deuxièmement, nous espérons diffuser la culture chinoise. Beaucoup de nos spectacles contiennent des éléments de la culture traditionnelle chinoise, et où que nous allions, nous interprétons des chansons et des mélodies locales avec des instruments de musique traditionnels chinois. Cela peut souvent immédiatement enflammer l'atmosphère, provoquant une résonance et une interaction immersive. Troisièmement, nous souhaitons transmettre l'idée de fusion et de partage. Nos performances elles-mêmes véhiculent le message positif de transformer l'impossible en possible. Nous espérons ainsi montrer que les humains peuvent également surmonter les barrières entre les nations et les différentes cultures, favorisant des échanges amicaux.
Je me souviens encore d’un de nos spectacles au Turkménistan. Vers la fin, il y a eu une panne locale de courant, mais aucun spectateur n'est parti. Ils ont tous allumé les lampes de poche de leurs téléphones, le public scintillant comme un ciel étoilé. À ce moment-là, l'un de nos enfants aveugles s’est exclamé : « C'est notre monde, nous sommes les maîtres de l'obscurité. Nous ne pouvons pas finir comme ça. Nous devons laisser au public quelque chose de parfait, une perfection trouvée dans le regret. » Finalement, dans le théâtre éclairé par la lumière des téléphones, les acteurs ont chanté et dédié We Are The World (de Lionel Ritchie et Mickael Jackson, ndt) au peuple du Turkménistan. La chaleur et l'émotion sur et hors de la scène était palpable, fondant tout en un instant que je trouve difficile à oublier aujourd'hui. Ces gens ont fait montre d’une gentillesse et d’une bonté incroyable.
En fait, lors de nos représentations à l'étranger, il est fréquent que des invités importants y assistent. À travers l’art, à travers l'expression passionnée des artistes en situation de handicap sur scène, et à travers ce genre de contact et de reconnaissance, il est possible de générer plus de compréhension entre les nations, et transcender la langue, la couleur de peau et l'idéologie, que bien d’autres moyens de communication.
Quelles sont les similitudes et les différences de « l'art spécial » dans différents contextes culturels ? Y a-t-il des éléments qui peuvent être empruntés les uns aux autres ?
Jusqu'à présent, notre troupe a visité 103 pays et régions, échangeant avec des groupes de différents pays. Dans différents contextes culturels, ces arts restent reliés par le fait qu’ils représentent l'humanité et qu’ils repoussent les limites des potentiels de chacun.
Je crois que la créativité peut s'inspirer de différents moules culturels. Par exemple, l'art spécial en Chine accorde plus d'attention à la compréhension tacite collective et à l'esprit d'entraide, tandis que l'Occident se concentre davantage sur l'unicité de l'individu ; les œuvres chinoises tendent à refléter et à perpétuer les racines culturelles, tandis que les œuvres occidentales sont généralement de styles plus modernes et diversifiés. On dit que l'art ne connaît pas de frontières, et que la vérité, la bonté, ainsi que la poursuite de la beauté par les humains, peuvent toucher les cœurs par-delà les frontières. La troupe d'art a toujours eu la responsabilité de présenter la culture chinoise et d'appeler à la construction d'un monde de paix, d'amour, de beauté et d'inclusion. Par conséquent, comment baser ces messages sur la culture traditionnelle et les intégrer dans l'art moderne est une direction que nous explorons constamment.
Votre troupe a réalisé de nombreuses représentations caritatives à travers le monde. Pourquoi faites-vous cela ?
Depuis toujours, les gens nous ont aidés et nous ont permis de réussir, donc nous voulons aussi prouver notre valeur et voir ce que nous pouvons faire pour les autres. Après le grand succès de Guanyin aux mille mains en 2005, tant en Chine qu'à l'étranger, nous avons réalisé quelques bénéfices économiques. En 2007, nous avons donc créé un fonds d’aide appelé "Mon Rêve", utilisant les fonds excédentaires des recettes des spectacles pour aider davantage de personnes, comme celles affectées par le tremblement de terre de Wenchuan en 2008, ainsi que certains enfants en situation de handicap à l'étranger à cause de la guerre, entre autres. Il y a un message à la fin de Guanyin aux mille mains : tant que vous avez de l'amour dans votre cœur et que vous êtes bienveillant, si vous tendez la main mille fois pour aider les autres, il y aura aussi mille mains en retour pour vous aider. En utilisant l'influence de la troupe d'art, nous aidons les autres et espérons également dire au monde que les gens sont égaux et peuvent s'accepter mutuellement et partager les douceurs et les amertumes de la vie.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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