[Portrait] Hou Hsiao-hsien, cinéaste à l'humanisme contemplatif

1710238744000 China News Xu Pengyuan

Chef de fil du cinéma d’auteur taïwanais, Hou Hsiao-hsien, âgé de 76 ans et atteint de la maladie d’Alzheimer, se retire désormais de l’univers du cinéma. Il laisse derrière lui une filmographie foisonnante et expérimentale, témoignage de l’histoire et de l’évolution cinématographique chinoises.

Lors du 68e Festival de Cannes en 2015, Hou Hsiao-hsien, figure de proue du cinéma d’auteur taïwanais a remporté le Prix du Meilleur réalisateur pour son film The Assassin. Ce sont les frères Joel et Ethan Coen, présidents du jury, qui ont annoncé le résultat. Calme et apaisé, Hou Hsiao-hsien est monté lentement sur scène pour recevoir le prix. « J'ai déjà gagné un prix à Cannes mais j'ai oublié lequel. » S'il a fait rire tout le public, ces mots, presque prémonitoires, sont lourds de sens à postériori. 

Le 23 octobre 2023, le critique de cinéma britannique Tony Rayns a révélé que Hou Hsiao-hsien avait déjà pris sa retraite. Deux jours plus tard, les proches du cinéaste de 76 ans ont confirmé, dans un communiqué, que Hou Hsiao-hsien, atteint de la maladie d'Alzheimer, se retirait complètement du monde du cinéma pour se reposer en toute quiétude. Un coup de tonnerre dans l’univers du cinéma. Une de ses dernières apparitions publiques date de 2020, lors du 57e Festival de Golden Horse. Sa garde rapprochée, composée de 16 de ses collaborateurs, lui a remis le Prix d'excellence pour l'ensemble de sa carrière.

De l'enfant terrible au réalisateur avant-gardiste

Né en 1947 à Meixian, dans le Guangdong, Hou Hsiao-hsien est le benjamin d’une fratrie de trois enfants. Il déménage avec sa famille à Fengshan, dans le sud de Taïwan, alors qu’il a moins d'un an. Orphelin de père à l’âge de 12 ans, il est notamment marqué par une enfance mouvementée. Bagarres, jeux de hasard... le futur géant du cinéma taïwanais était un adolescent turbulent. « Si je n'avais pas fait de cinéma, j’aurais certainement été un grand voyou », aime-t-il répéter. Derrière ses années sauvages se dessine également le portrait d’une famille, voire d’une société, en plein basculement. Avec un grand frère à la santé fragile et un père atteint de pneumonie, l'adolescent préfère passer du temps dans la rue, probablement pour échapper à la tristesse indescriptible qui règne au sein du foyer familial. 

À l'âge de 19 ans, Hou Hsiao-hsien quitte définitivement sa terre natale pour s'engager dans l'armée, entamant une nouvelle étape de sa vie. Touché par le film anglais Les Bas Quartiers, il se fixe comme objectif d’entrer dans le monde du cinéma dans les dix années à venir. Après le service militaire, il monte à Taipei, travaille dans une usine électronique, tout en préparant le concours d’entrée à l'université. Il passe ensuite trois ans dans une école de cinéma. Une fois diplômé, il enchaine rapidement divers postes sur les plateaux de tournage. Tour à tour scripte, scénariste, assistant réalisateur et producteur, il démontre son talent en gérant les projets avec aisance et efficacité. Dans les années 1970, la comédie romantique connait un grand succès sur le marché taïwanais. En tant que jeune réalisateur, Hou Hsiao-hsien surfe sur cette tendance pour proposer des films dans l’air du temps tels que Cute girl, Cheerful Wind et L'Herbe verte de chez nous. Mais dès le début de sa carrière, il prend soin de cultiver son style, préférant des acteurs non-professionnels, l’improvisation et les plans longs.

La trilogie de la jeunesse 

Le cinéma taïwanais connait des bouleversements dans les années 1980. L'ancien mode de développement s'essouffle, alors que la société appelle au renouvellement. De jeunes talents formés à l’étranger retournent sur l’île, contribuant à lancer un nouveau mouvement cinématographique. Plus expérimenté, Hou Hsiao-hsien se lance, malgré son manque de bagages théoriques, dans des essais artistiques, adoptant une approche intuitive. Il commence à puiser dans ses propres expériences pour nourrir sa création artistique. Un exemple en est Les Garçons de Fengkuei, film sorti en 1983 qui retrace l’enfance tumultueuse du cinéaste. 

Durant le tournage, il s’est interrogé à maintes reprises sur le fond comme sur la forme. Chu T'ien-wen, romancière et scénariste, lui a offert L’autobiographie de Shen Congwen, dans le but de l’encourager et de clarifier ses idées. Le cinéaste y a découvert une approche narrative inspirante : « il (Shen Congwen) se tient à distance de ses personnages, les contemple de manière clinique. Sous sa plume, la vie et la mort n’ont rien d’extraordinaire, tout comme il n’y rien de nouveau sous le soleil. » La découverte sonnait comme une révélation. Hou Hsiao-hsien a donc demandé à ses caméramans de maintenir leurs distances par rapport aux scènes. Soudain, la petite ville au bord de la mer et la grande métropole prospère ont pris une dimension vaste et achevée, alors que la jeunesse de ces quatre garçons a été revitalisée. Il a ainsi trouvé son propre angle de vue, convaincu, plus que jamais, de son point de départ artistique. « Je suis avant tout intéressé par l’homme, son état d’esprit dans différents espace et époques, notamment dans les relations sociales assez complexes qui lient les êtres humains. » Suite à cela, il réalise deux autres films de sa trilogie sur la jeunesse : Un été chez grand-père, Un temps pour vivre, un temps pour mourir et Poussières dans le vent. Un jalon essentiel dans sa carrière, qui fait partie de la mémoire collective d’une génération de taïwanais. 

Une quête de l’ailleurs

Au-delà des histoires individuelles, le cinéaste, en quête de l’ailleurs, s’attaque à des sujets plus vastes et ambitieux. La cité des douleurs marque un tournant. Sorti en 1990, le film retrace le destin d'une famille au cœur de la « terreur blanche » entre 1945 et 1949. Il demeure l'une des ses œuvres les plus amples et les plus complexes. Lauréat du Lion d'or à la Mostra de Venise, Hou Hsiao-hsien est le premier Chinois à remporter ce prix prestigieux. En 2023, le film en version restaurée 4K, a été diffusé lors du 13e Festival international de Pékin. Les tickets ont été vendus en 6 secondes. Preuve du charme intemporel du film. Après La cité des douleurs, Hou Hsiao-hsien continue d'explorer l'histoire de Taïwan et réalise Le Maître des marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995), complétant sa trilogie embrassant l’histoire de Taïwan. 

Depuis 1996, le cinéaste s’attaque à sa nouvelle trilogie sur la « fuite ». Goodbye South, Goodbye (1996), Les Fleurs de Shanghai (1998) et Millennium Mambo (2001) nous plongent, d’une manière ou d’une autre, dans la somptuosité et la détresse qui marquent la fin du XXe siècle. Le terme « fuite » s’applique aussi à la vie du cinéaste lui-même. Il sort du cadre de l’île pour tourner Café Lumière (2003) au Japon et Le Voyage du ballon rouge (2007) en France. Pour The Assassin, une histoire sous le règne de la dynastie Tang, il collabore pour la première fois avec des producteurs du continent. C'est aussi son premier film sorti dans les salles de la Chine continentale. 

Célébré à Cannes, The Assassin demeure probablement son dernier film, même s’il avait déjà donné des informations sur le projet suivant, Sur le fleuve Shulan, qui raconte l’histoire entre le dieu fleuve et un homme casanier, pour retracer l'évolution de Taipei sur plusieurs centaines d'années. Dans le communiqué, les proches du cinéaste regrettent que ce film, déjà en préparation, ne verra pas le jour comme prévu : « mais il a déjà laissé derrière lui une filmographie riche et variée. Nous souhaitons que ses œuvres, sa dévotion à l'égard du cinéma ne soient pas oubliées au fil du temps. »

The Assassin est disponible en replay sur Arte.tv jusqu’au 7 avril 2024.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

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