Tim Yip, décorateur et créateur de costumes : « le "nouvel orientalisme" consiste à reconstruire la perception du monde et de soi à travers le prisme chinois »

1710409695000 China News Ouyang Kaiyu
Encensé pour avoir remporté l'Oscar de la meilleure direction artistique en 2001 pour le film Tigre et Dragon, Tim Yip, l'un des plus grands plasticiens contemporains chinois, n'a cessé d'explorer de nouvelles formes d'expression artistique à travers l'utilisation de différentes matières. L’artiste touche-à-tout prône notamment l’esthétique du nouvel orientalisme dans sa pratique créative.

Tim Yip, à la fois décorateur et créateur de costumes, a marqué la scène internationale grâce à ses collaborations avec des réalisateurs de renom tels que Ang Lee, John Woo, Tsai-Ming Liang, Chen Kaige et Tian Zhuangzhuang. Son talent lui a valu l'Oscar de la meilleure direction artistique et le British Academy Film Award des meilleurs costumes pour Tigre et Dragon en 2001. De ce film emblématique au spectacle « 8 minutes pour la Chine » lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques d’Athènes, en passant par le ballet La légende du serpent blanc, il explore presque tous les aspects de la création visuelle.

Introduisant l'esthétique du nouvel orientalisme dans ses divers projets transdisciplinaires, Tim Yip cherche à offrir au reste du monde une vision de la beauté et de la poésie caractéristiques de l’Orient. Dans un entretien accordé à China News, il évoque la genèse de cette approche artistique novatrice, ainsi que son univers artistique particulièrement riche et diversifié.

Comment avez-vous réussi à faire émerger le concept du nouvel orientalisme ?

C’est une idée assez contemporaine, surtout par rapport au concept sur l’orientalisme que l'on connaît déjà. Durant mes jeunes années à Hong Kong, ce qui m'a le plus marqué était l’« héroïsme ». À cette époque, nous avons grandi dans un environnement culturel oscillant entre l'Orient et l'Occident, ce qui rendait difficile la découverte de nos racines. Pendant un moment, j’étais troublé par le fait que de nombreux créateurs autour de moi « empruntaient » des éléments trouvés dans des magazines pour en faire leurs propres œuvres, comme s'il suffisait que l'auteur étranger ne soit pas au courant, tout en croyant que leurs œuvres ne pourraient jamais atteindre ce niveau. C'est à partir de cette période que j'ai commencé à chercher activement l’esthétique chinoise, avec l'espoir qu'un jour elle serait reconnue à l'échelle internationale. Je ne pouvais donc compter que sur moi-même pour créer quelque chose d’original et de différent. Le nouvel orientalisme est donc né de cette forme d'héroïsme. Après avoir participé à la création artistique du film Le Syndicat du crime (1986), je suis parti me ressourcer en Europe. Alors que ma connaissance de l’esthétique européenne s'approfondissait, je me suis rendu compte que je manquais de force motrice dans ma création : il fallait que je crée mon propre langage esthétique, plutôt que d'emboîter le pas aux artistes occidentaux. C’est ainsi que je me suis lancé dans des recherches sur l’esthétique traditionnelle chinoise, pour tenter de représenter la beauté chinoise à travers un langage visuel structuré et plus adapté à notre époque.

Comment intégrer le nouvel orientalisme dans vos œuvres transdisciplinaires ?

Lors de ma participation au projet du film Tigre et Dragon en tant que décorateur et créateur de costumes, j'ai accordé une grande importance à la mise en valeur de l'esthétique orientale. Le film, dans son design artistique, utilise des éléments tels que des murs de la vieille ville, des bambous et des tuiles grises pour créer un univers classique et épuré. Le nouvel orientalisme n’a pas pour but de reproduire la tradition, ni de déconstruire le post-modernisme, mais plutôt de reconstruire la perception du monde et de soi à travers le prisme chinois. J'ai également essayé de créer et d'interpréter ce concept esthétique à travers différents médiums tels que la peinture, la photographie, la sculpture, etc. Ces dernières années, j'ai commencé à explorer le concept d’« ADN spirituel », afin d'accéder à une autre dimension pour entrer dans un monde parallèle. Si le concept d’« ADN spirituel » explore les schémas de pensée à travers des formes artistiques, le nouvel orientalisme représente sûrement la réalisation de l'esprit culturel dans le domaine artistique. L’axe du temps sépare le neuf de l’ancien, le passé du futur. Dans une perspective temporelle, la création artistique est en perpétuelle évolution et nous sommes constamment confrontés à l'incertitude, aux défis et au processus de fusion et de renouvellement. En ce qui concerne le nouvel orientalisme intégré dans mes œuvres, la « nouveauté » réside souvent dans ces instants entre l'existence et la non-existence, entre le déjà né et le non encore né. 

Quelles opportunités apporte l'essor technologique, telle que l'intelligence artificielle, dans l'interprétation esthétique ?

Il fut un temps où les humains confondaient la réalité et l’image. En 1895, les frères Lumière ont projeté pour la première fois un court métrage au sous-sol d'un café parisien : l'image d'un train roulant à grande vitesse a effrayé le public qui s'apprêtait à fuir le lieu. Plus d’un siècle après, le cinéma communique avec les spectateurs à travers des images et des sons, et fait désormais partie intégrante du paysage culturel moderne.

Explorer le charme « insaisissable » de la culture chinoise, pour ensuite la représenter à travers des médiums « physiques », constitue l’une des lignes directrices de mon futur travail. Les arts traditionnels ont souvent pour but de représenter le réel. Auparavant, les artistes ne disposaient pas de moyens et d’outils suffisants pour représenter le monde réel. Ils se limitaient souvent à un seul médium, alors qu’aujourd’hui, le développement technologique, dont notamment l'avènement de l’intelligence artificielle, offre plus de possibilités à la création artistique. L’art pourrait non seulement représenter le réel, mais aussi les pensées et les mémoires des humains, à travers des outils technologiques. L'intelligence artificielle brise les frontières des médiums, et contribue à la réalisation d’idées précises, tout en nous introduisant dans un nouveau monde gigantesque et foisonnant. Ces nouvelles technologies nous permettent également d’explorer la quintessence de la culture chinoise, et de l'interpréter au-delà des frontières.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

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