L’écriture nüshu : comment cette culture est-elle sortie du « gynécée » et s’est-elle mondialisée ?

1714986496925 China News Tang Xiaoqing
Le nüshu, originaire du district de Jiangyong de la ville de Yongzhou (province du Hunan), est la seule écriture genrée connue à ce jour. Il n’a cessé d’attirer l’attention des chercheurs chinois et étrangers depuis sa découverte dans les années 1980. Ces dernières années, grâce à des efforts accrus pour assurer sa protection et son héritage, le nüshu a progressivement délaissé son statut d’écriture exclusivement destinée à transmettre des informations entre femmes dans leur intimité pour devenir un symbole unique d’échanges culturels entre l’Orient et l’Occident.

Comment le nüshu a-t-il été découvert ? Comment est-il protégé et transmis ? Comment est-il sorti du « gynécée » et s’est-il mondialisé ? Luo Xiaoge, directeur de l’Association chinoise de recherche sur les femmes et professeur à l’Université de commerce et d’industrie du Hunan, a récemment accordé une interview exclusive à China News pour répondre à ces questions.

Comment le nüshu a-t-il été découvert ?

Le nüshu (littéralement « écriture des femmes ») est la seule écriture au monde exclusivement réservée aux femmes. Il a été découvert dans les années 1980 et n’est utilisé que par les femmes Yao du district de Jiangyong, dans la province du Hunan, et dans ses environs immédiats. Ce système d’écriture adopte des tracés filiformes et réguliers en forme de losanges, qui rappellent les moustiques et les fourmis. Il est également chanté dans le dialecte local. Il comprend environ 500 à 700 caractères originaux, transmis de mère en fille, des aînées aux jeunes générations, et qui sont également connus sous le nom de « nüzi » (« caractères des femmes »).

Dans les années 1980, le monde littéraire chinois a connu un engouement pour la « recherche des racines culturelles ». Gong Zhebing, professeur à l’Université de Wuhan, a découvert par hasard le nüshu utilisé par les femmes de la région, alors qu’il remontait les origines du groupe ethnique Yao, à Jiangyong. En 1983, il a publié le premier article académique sur le nüshu, « Rapport d’enquête sur une écriture particulière », dans le Journal de l’Institut central du sud pour les nationalités (éditions de philosophie et de sciences sociales), qui a progressivement levé le voile sur le mystère du nüshu.

En tant que culture régionale unique du district de Jiangyong, l’émergence et l’héritage du nüshu sont indissociables des coutumes de vie sociale propres aux femmes de la région, telles que le « siège de la salle de chants » ou le « festival de tauromachie des femmes ». Selon la littérature, les femmes de Jiangyong et de ses environs, en particulier les jeunes filles, avaient l’habitude d’être des « sœurs jurées » (ce terme désigne des femmes du même âge qui se considèrent comme des sœurs de sang). Ces sœurs filaient et brodaient ensemble, chantaient et lisaient le nüshu, se confiaient les unes aux autres et s’écrivaient des lettres en nüshu. Elles célébraient ensemble leurs joies respectives et se consolaient de leurs peines, formant un « monde de femmes » unique.

Qu’en est-il aujourd’hui de la protection et de l’héritage du nüshu ?

D’après les souvenirs des anciens de la région, de la fin de la dynastie Qing à l’instauration de la République de Chine, il était très courant que les femmes de Jiangyong écrivent le nüshu. Après la fondation de la République populaire de Chine, de plus en plus de femmes et de filles ont intégré des classes d’alphabétisation et sont allées à l’école. Elles ont peu à peu perdu l’habitude d’écrire le nüshu. À cause de la coutume locale qui consiste à « brûler les livres à la mort », un grand nombre de textes autobiographiques en nüshu ont été brûlés. Des documents en nüshu ont donc disparu, en même temps que leurs témoins.

Afin d’assurer la protection et la transmission du nüshu, le comité du parti du district de Jiangyong et le gouvernement du district ont systématiquement mené des travaux de protection et de sauvetage du patrimoine culturel du nüshu dès 2002. Ils ont collecté, rassemblé et enregistré de manière exhaustive les données et les informations culturelles relatives au nüshu.

Le village de Puwei de la bourgade de Shangjiangxu, dans le district de Jiangyong, est l’épicentre à partir duquel le nüshu s’est diffusé. Son écomusée du nüshu aborde l’héritage du nüshu et ses caractéristiques naturelles locales, les édifices, les objets de vie et de production, ainsi que le mode de vie culturel des femmes de la région. Il accueille une école du nüshu, dans laquelle des héritières du nüshu enseignent gratuitement la culture nüshu aux femmes de la région tous les week-ends.

Le district de Jiangyong a également établi un système de liste du patrimoine culturel immatériel du nüshu et un mécanisme de protection pour les héritières du nüshu. Il a créé un centre de recherches et de gestion de la culture nüshu, afin de fournir un soutien matériel et des garanties organisationnelles pour l’héritage et le développement de la culture nüshu de manière ordonnée. Il promeut les coutumes nüshu dans les écoles, les communautés et les sites touristiques. Il compile du matériel pédagogique simple sur le nüshu et met en place des formations sur le nüshu, afin que davantage de personnes puissent découvrir et comprendre cette écriture singulière.

À l’heure actuelle, le district de Jiangyong a achevé la construction de projets relatifs à l’héritage du nüshu, comme la ville de tourisme culturel nüshu de Shangjiangxu, l’écomusée de Goulan Yaozhai et le temple de Huashan. Il a restauré des coutumes nüshu, telles que la lecture sur papier et sur éventail, la foire du temple de Huashan, le festival de tauromachie, le culte des sœurs jurées et le siège de la salle de chants. Le district ne se contente pas de préserver le nüshu, il assure également la protection de son écosystème culturel dans son ensemble.

Parallèlement, tandis que la Chine attache une grande importance à l’héritage de sa culture traditionnelle et à la protection de son patrimoine culturel immatériel, le patrimoine culturel nüshu attire de plus en plus l’attention des milieux éducatifs, intellectuels et universitaires. De nombreux chercheurs ont ainsi introduit l’étude du nüshu sur les campus universitaires, permettant à la culture nüshu de se répandre parmi les jeunes étudiants.

Quelles sont les valeurs culturelles du nüshu ?

La découverte du nüshu a suscité de l’intérêt tant en Chine qu’à l’étranger. De nombreux experts et universitaires l’ont qualifié de « jeu de mots dans le gynécée » en raison de sa merveilleuse créativité et de son utilisation unique. Le linguiste américain Harry Norman a même fait l’éloge du nüshu en disant qu’il s’agissait d’une « découverte mondiale étonnante ».

Plus tard, des experts et des universitaires d’instituts de recherche américains, japonais et australiens, de l’Université Tsinghua et de l’Université centrale du sud pour les nationalités, entre autres, se sont succédés dans le district de Jiangyong pour mener des études de terrain. Bien qu’ils aient des perspectives de recherche différentes et des points de vue divergents, ils s’accordent sur la valeur de recherche du nüshu en linguistique, en anthropologie, en sociologie, en études folkloriques, en histoire et en littérature. Ils ont par ailleurs publié régulièrement des articles sur le sujet au cours des dernières décennies.

Des œuvres littéraires et artistiques, ainsi que des productions culturelles sur le nüshu émergent constamment, popularisant l’étude du nüshu en Europe et aux États-Unis. Le film Fleur de neige, inspiré du roman éponyme de l’écrivaine sino-américaine Lisa See, est le premier film sur l’histoire du nüshu. L’éventail en papier calligraphié de nüshu est le fil conducteur de l’intrigue. Le poème symphonique du compositeur et chef d’orchestre Tan Dun « Poème symphonique en treize micro-films : nüshu dépeint la beauté résiliente des femmes chinoises et a été joué dans 34 régions et pays. Le film documentaire Hidden Letters de Du Feng a été sélectionné sur la liste restreinte des films documentaires de la 95e cérémonie des Oscars. Des vêtements, des sacs et des bijoux comportant des éléments nüshu ont également commencé à apparaître dans les grands salons internationaux et à attirer l’attention d’un public encore plus large.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

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