[France-Chine 60 ans] Wu Weishan : « L’art chinois au XXe siècle est la fusion de l’Orient et de l’Occident et l’art français est celui qui a le plus influencé l’art chinois »

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Au Centre culturel de Chine de Paris, sur les rives de la Seine, se dressent deux bronzes de sages chinois, Laozi et Confucius. Cette sculpture, Demander la Voie, dont le thème principal est « Confucius s’enquiert de la voie auprès de Laozi », a été créée par Wu Weishan, directeur du musée d’Art national de Chine et sculpteur de renom. Elle traduit sa conception des échanges culturels entre la Chine et les autres pays du monde. Pour lui, « demander et prêcher la Voie sont la base même d’un dialogue spirituel étendu et profond ».

2024 marque le soixantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, mais aussi l’Année franco-chinoise du tourisme culturel. À cette occasion, Wu Weishan s’inspire de sa propre expérience pour évoquer des moments émouvants des échanges artistiques entre la Chine et la France, dans une interview exclusive qu’il a accordée à China News.

Pourriez-vous nous faire part de votre compréhension des échanges artistiques entre la Chine et la France, notamment des échanges artistiques ?

Dans le domaine de l’art, la Chine et la France ont tissé une histoire de plusieurs siècles d’admiration mutuelle. L’art rococo français du XVIIIe siècle est le fruit de la fusion du style baroque local et de l’art chinois tel qu’il a été importé. Le sens propre de la culture chinoise est perceptible dans Le Jardin chinois et Le Mariage chinois du peintre français François Boucher, dans les œuvres de Watteau et celles de l’aquafortiste Jean Pillement. 

Dans la première moitié du XXe siècle, un groupe de jeunes artistes représentés par Xu Beihong et Lin Fengmian est allé étudier en France et, à son retour en Chine, il a ouvert la voie de l’art moderne chinois. Des artistes tels que Zao Wou-ki, Chu Teh-chun et Xiong Bingming sont restés en France, semant les graines de la culture chinoise en Occident et contribuant ainsi à l’enrichissement mutuel de l’esprit chinois et de l’art mondial.

Peinture à l'huile de Zao Wou-Ki « 02.01.65 », chef-d'œuvre de la « période cursive folle » de l’artiste, qui a été créée en combinant la puissance et la dynamique de l'écriture cursive chinoise avec l'abstractionnisme occidental.

Ces artistes ont développé les beaux-arts traditionnels chinois, allié l’art occidental et la culture chinoise et produit de nouvelles approches et idées artistiques dans le dialogue. La fusion de l’art chinois avec l’Occident a également permis aux artistes français de mieux appréhender la valeur unique de l’art chinois.

Depuis les années 1980, les œuvres d’artistes tels que Wu Guanzhong et Zao Wou-ki ont acquis une reconnaissance mondiale précisément parce que ces derniers ont su intégrer les éléments et l’esprit culturels chinois dans la création d’œuvres d’art abstrait. Leurs œuvres sont imprégnées de la cosmologie, de la pensée philosophique et de l’expression poétique chinoises. Que ce soit en Chine ou en France, ils ont prouvé que les gènes de la culture chinoise sont forts et que leurs racines historiques sont profondes.

Il faut dire que l’une des caractéristiques majeures du développement de l’art chinois au XXe siècle est la fusion de l’Orient et de l’Occident et que l’art français est celui qui a le plus influencé l’art chinois.

Vous entretenez des relations durables avec certains artistes français. Pourriez-vous nous faire part de votre expérience des échanges artistiques entre les deux pays ?

Au printemps 2014, j’ai eu l’honneur de rendre visite à Claude Abeille, président de l’Académie des beaux-arts et sculpteur de renommée internationale. Quand il a su que j’étais un sculpteur chinois, il a sorti un cahier et m’a dit qu’il avait dessiné une sculpture qui lui avait beaucoup plu quand il était allé en Chine. Il m’a demandé si j’en connaissais l’auteur.

Quand je l’ai vue, mon sang n’a fait qu’un tour. Je lui ai dit qu’il s’agissait d’une statue de Huang Binhong que j’avais moi-même créée. Claude Abeille avait 84 ans et moi 52. Il m’a serré dans ses bras et m’a dit : « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit l’œuvre d’un si jeune artiste. Je pensais que c’était l’œuvre d’un artiste centenaire ». Plus tard, il m’a invité à co-organiser à Paris l’exposition « Dialogue de l’âme ».

Sculpture « Sur un bateau - La rencontre divine entre Léonard de Vinci et Qi Baishi » au Centre national des arts du spectacle de Pékin.

J’ai fait de nombreux voyages en France pour rencontrer des artistes français et je les ai aussi invités à exposer leurs œuvres en Chine. Chacune des expositions a retenu l’attention du monde de l’art chinois. Derrière les œuvres créées par les artistes français, qui recèlent les caractéristiques de l’art contemporain, les concepts et les formes de modélisation modernes, se cache une civilisation européenne profonde et l’essence de la création artistique française à travers les âges. La civilisation française est tel le rythme de la Seine. Elle émet des vagues qui ondoient quelle que soit l’époque. 

Ce qui est encore plus précieux, c’est que certains artistes français ont fait don de leurs chefs-d’œuvre bien-aimés au musée d’Art national de Chine, dont plus de 130 restent en permanence en Chine, comme le Buffle au soleil, l’un des chefs-d’œuvre de Jean Cardot. Les artistes français m’ont confié leur profonde émotion et leur admiration pour la civilisation, la culture et l’histoire chinoises.

Après avoir vu les statues de Confucius, Laozi et Qi Baishi, l’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin m’a confié : « En voyant les rides sur le front de Laozi, vous pouvez comprendre l’histoire profonde de cette nation. En voyant le sourire de Confucius, vous pouvez appréhender l’amabilité et la chaleur de cette nation. En voyant la statue d’un vieil homme comme Qi Baishi, je n’ai pas peur de me perdre en Chine, car je sais qu’il me guidera ».

Beaucoup de vos œuvres ont voyagé à l’étranger et ont « élu domicile » sur les places ou dans les musées dans de nombreuses villes étrangères. Comment percevez-vous les connotations culturelles de vos sculptures ?

En mai 2019, j’ai créé Mouvement du centenaire, une grande sculpture à l’effigie de Zhou Enlai, Deng Xiaoping, Chen Yi et d’autres révolutionnaires prolétariens qui ont étudié et travaillé en France dans le cadre du mouvement Travail-Études. Elle a été installée sur la place Deng Xiaoping, à Montargis. Le jour de la cérémonie d’inauguration, l’hymne national de la République populaire de Chine a résonné sur la place, reflétant le respect de la population locale pour le peuple chinois et sa culture.

Le « Monument du Centenaire » sur la place Deng Xiaoping, en face de la gare de Montargis (Loiret) pour commémorer le 100e anniversaire du Mouvement travail-études en France.

Ces dernières années, j’ai créé un grand nombre d’œuvres qui reflètent l’excellente culture traditionnelle chinoise, sur le thème du « dialogue » entre les grands maître des cultures chinoise et étrangère, comme Confucius, Porte de l’âme – dialogue entre Taras Chevtchenko et Du Fu, Dialogue par-delà le temps et l’espace – Léonard de Vinci et Qi Baishi, Rencontre divine – dialogue entre Confucius et Socrate, Demander la Voie... Ces sculptures ont été érigées dans de nombreux pays à travers le monde, incarnant la pensée de la culture chinoise dans la mondialisation et la compréhension mutuelle intercivilisationnelle. 

Je suis convaincu que les gens du monde entier s’intéressent aux créations personnelles des sculpteurs, et même que le monde affectionne la Chine et apprécie le dialogue entre la culture chinoise et les différentes civilisations. La puissance effective globale d’un pays est comme la mer. Les artistes ne sont qu’un amas de vagues sur cette mer et il faut que la mer continue de déferler pour que les vagues continuent à avancer en liesse. 

Pour moi, la création de sculptures est à l’image d’une graine d’échange culturel, qui prend racine, germe et s’épanouit partout dans le monde. Je continuerai à promouvoir les échanges culturels et la compréhension mutuelle entre la Chine et l’étranger à travers l’art de la sculpture et à montrer au monde la splendeur de la civilisation chinoise séculaire à travers mes sculptures.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : Wu Weishan présentant sa sculpture Laozi à l'ancien Premier ministre français Dominique De Villepin (gauche).

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