
Le voyage musical de Richard Clayderman en Chine
Richard Clayderman, Phillipe Pagès de son vrai nom, est probablement le pianiste français le plus mondialement célèbre. L’homme, âgé aujourd’hui de 70 ans, souvent considéré comme le vulgarisateur de la musique classique – grâce à un style qui fusionne variété et piano classique –, est une figure emblématique en Chine. Sa popularité, s’étendant sur plusieurs décennies, a marqué la vie de générations de Chinois depuis les années 80.
Tournage d’un clip vidéo avec Richard Clayderman et Shao Rong au temple du Ciel à Pékin, en 1998. DR.
Aujourd’hui, il continue de se produire en Chine, observateur privilégié de l’évolution de la société chinoise. Nous l'avons rencontré fin 2023, chez son manager, dans les Hauts-de-Seine, à la veille d’une tournée de 50 concerts en Chine qu’il s’apprête à entamer.
« C’est une première pour moi depuis le Covid. Après trois ans d’absence, je suis excité de retrouver le public chinois », partage-t-il. Richard Clayderman a vu la Chine se transformer depuis ses débuts. Questionné sur le commencement de sa relation avec ce pays, il se souvient : « Dans les années 80, j’étais déjà populaire dans plusieurs pays d’Asie. Mais c’est en 1987, avec un concert télévisé, que j’ai vraiment ouvert la porte de ce pays. »
Quatre générations dans une même salle
Il décrit ses premiers pas dans une Chine alors en pleine effervescence : « Je me souviens, on me faisait jouer dans des salles de sport. Il n’y avait pas encore les belles salles de concert d’aujourd’hui. J’étais au tout début de cette Chine qui s’ouvrait. » Il se rappelle comment sa musique y était déjà appréciée : « Je ne savais pas à quel point ma musique était populaire ici. J’ai appris cela au fil de mes visites. »
Malgré les défis initiaux, comme jouer dans des salles peu adaptées, avec un équipement sonore limité, R. Clayderman a persévéré. « Les pianos n’étaient pas toujours exceptionnels, mais j’ai continué. Je voyais que le public aimait ma musique », dit-il. L’évolution de la Chine l’aura profondément impressionné. « Les premières années, je voyais des bicyclettes partout. Puis, soudainement, il y a eu des voitures, de magnifiques bâtiments. Chaque année, tout changeait. » Le pianiste souligne l’évolution des infrastructures culturelles : « Aujourd’hui, mes plus beaux concerts se tiennent en Chine. L’architecture, la qualité acoustique des salles, même dans les villes de province, est impressionnante. »
La musique de R. Clayderman transcende les différences culturelles, particulièrement en Chine. « Ma musique est une musique à la fois classique et de variété, présentée de manière moderne, avec orchestres, belles lumières, et écrans géants. Cela attire un large public. Il compare les réactions de son public chinois à celles d’autres pays : « Les publics sont touchés de la même manière, même s’ils peuvent réagir très différemment. Au Japon, le public est très respectueux et assez immobile, tandis que le public chinois montre ses émotions, ce qui est très agréable. C’est un peu similaire à l’enthousiasme du public d’Amérique du Sud. »
Un lien profond avec le public chinois renforcé par la présence de fans de longue date. « Dans le public chinois, je retrouve des familles entières : des fans de la première heure, qui se sont mariés, ont eu des enfants, puis les ont initiés au piano. 30 ans plus tard, ça continue et reste porteur, raconte-t-il avec émotion. Dans certains pays, la popularité de mes œuvres peut s’essouffler un peu, mais la Chine reste toujours aussi réceptive. »
Concert de Richard Clayderman devant la cascade de Huangguoshu dans la province du Guizhou en Chine, en 1995. DR.
R. Clayderman évoque des concerts mémorables en Chine, soulignant le caractère unique de ces expériences. « Il y a eu ces concerts au palais de l’Assemblée du Peuple à Pékin, un lieu où se tiennent toutes les grandes réunions politiques nationales. Un honneur rare pour un artiste étranger, » se souvient-il. Il mentionne également un concert spectaculaire devant les célèbres cascades de Huangguoshu dans la province du Guizhou : « On m’avait placé là, avec tout l’orchestre et la sonorisation, au milieu du bruit des chutes d’eau. Les gens étaient dispersés autour, c’était un moment vraiment impressionnant. »
Un autre souvenir marquant fut son arrivée sur la scène dans un carrosse tiré par deux chevaux blancs, au cœur d’un stade de 20 000 personnes, pendant que l’orchestre commençait à jouer. « C’était un moment magique et surréaliste », dit-il.
Symbole d’universalité
Mais la relation de R. Clayderman avec la Chine va au-delà des simples performances. Il s’engage activement dans la promotion de l’enseignement du piano parmi les jeunes. « Le piano est un instrument très important en Chine, explique-t-il. J’invite de jeunes pianistes sur scène, parfois jusqu’à 20, 30 voire 100 pianistes, qui jouent en même temps avec moi. Ces jeunes, âgés de 4 à 16 ans, travaillent en amont avec leurs écoles avant ma venue. C’est très touchant pour moi de jouer avec eux, et aussi pour les parents, offrant ainsi une opportunité unique à ces enfants de jouer avec une personnalité sur scène. »
Pendant la tournée en Chine de 2024. DR.
Avec son charme discret et ses mélodies entraînantes, le « prince du romantisme » fait toujours mouche auprès d’un public chinois souvent nourri par une musique pop locale elle-même riche en ballades. « Des mélodies pas très compliquées, mais qui touchent les gens, explique-t-il. Des morceaux comme Ballade pour Adeline ou Mariage d’amour sont devenus des classiques. Les enfants sont ravis de jouer ces mélodies qu’ils ont entendues toute leur vie. »
L’histoire de Richard Clayderman en Chine est un témoignage de la façon dont la musique peut créer des ponts entre les cultures. Aujourd’hui encore, le son de son piano est omniprésent dans le quotidien chinois : télévision, mariages, halls d’hôtels, sonneries de téléphones...
Empreinte indélébile dans la culture musicale du pays, il inspire les générations futures, jusqu’à la littérature : dans Hymne à la joie, nouvelle parue en Chine en 2005, l’auteur de science-fiction Liu Cixin (premier Asiatique à recevoir le prix Hugo en 2015) le met en scène dans une ultime assemblée générale des Nations unies avant la dissolution de l’organisation, au terme de laquelle les représentants du monde finissent... par reprendre espoir et se redonner la main.
Le pianiste réfléchit sur son universalité, en particulier en Chine. « C’est touchant de savoir qu’on m’entend partout, jusque dans les œuvres de science-fiction chinoises, dit-il. Mais je suis un peu dépassé par tout cela. Pour moi, l’important est de rencontrer mon public, de faire de beaux concerts et de rendre les gens heureux. » R. Clayderman admet qu’en tant qu’instrumentiste, attaché sur la scène à son piano, une de ses préoccupations majeures est d’attirer le public à lui, ce qui le pousse à innover constamment.
Le 20 avril 2023, alors en tournée en Australie, R. Clayderman participe à une remise de prix des meilleurs jeunes instrumentistes de la communauté chinoise locale. © Gu Shihong/CNS
En Chine, il réadapte ainsi certains de ses morceaux avec des instruments traditionnels chinois et intègre des pièces classiques locales comme Fleur de Jasmin ou Les Amants papillons. Une fusion culturelle qui témoigne de sa volonté de s’immerger pleinement dans la culture musicale chinoise.
R. Clayderman aborde pour finir son rapport à la cuisine chinoise, un aspect important de ses tournées. « J’ai appris à aimer cette cuisine complexe. Mes plats préférés sont la cuisine shanghaienne et cantonaise », partage-t- il. Malgré les rigueurs de ses tournées, il veille à maintenir une alimentation équilibrée, évitant l’alcool pour rester en forme. Quant à la langue, R. Clayderman avoue ne parler qu’un peu de chinois, principalement des salutations. « J’ai trouvé plus facile d’apprendre le japonais », admet-il avec un sourire.
Pour Richard Clayderman, l’important est de garder l’enthousiasme et la passion, même après toutes ces années. Avec près de 30 à 50 performances par an réservée à la seule Chine, sur une centaine à l’année – du moins, c’était le cas avant la pandémie –, l’artiste, malgré les barrières culturelles et linguistiques, fait preuve d’un lien indéfectible avec son public chinois. Une humilité et un dévouement à son art qui auront fait de lui un véritable ambassadeur culturel entre la France et la Chine.
Photo du haut : R. Clayderman dans son appartement parisien. DR.
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