
Le dieu de la richesse dans la culture chinoise, depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui
Dans cette chanson populaire, les expressions « brûler des bâtons d'encens » et « toucher des lingots » sont autant de coutumes et d'habitudes de « recevoir le dieu de la richesse » le cinquième jour du premier mois lunaire. Ce jour-là, chaque foyer nettoie sa maison, y balaye la « misère » et y accueille le « dieu de la richesse ».
Comment l’image de ce dieu a-t-elle été établie ? Huang Jingchun, professeur du département chinois de l'École des arts libéraux de l'Université de Shanghai, a récemment accepté un entretien exclusif avec China News pour apporter quelques explications.
D’où est venue la coutume « d’accueillir le dieu de la richesse » le cinquième jour du premier mois lunaire ?
La croyance populaire chinoise dans le dieu de la richesse remonte à la dynastie Song. Lors de l'incident de Jingkang à la fin de la dynastie des Song du Nord, Meng Yuanlao quitta Kaifeng pour vivre à Lin'an, ville connue aujourd’hui sous le nom de Hangzhou. Au crépuscule de sa vie, il écrivit l’ouvrage intitulé La chronique de la splendeur rêvée de Kaifeng pour rappeler la prospérité de cette ville dont le nom signifie littéralement capitale orientale. Meng Yuanlao y décrit la scène où chaque foyer descendait dans la rue pour acheter des « chevaux de fortune », c'est-à-dire des statuettes du dieu de la richesse, avant le Nouvel An chinois. Cependant, à cette époque ce dieu n’est pas clairement identifié par un nom, il s’agit simplement d’un dieu que les gens prient pour obtenir de la richesse.
Le récit de « l'accueil du dieu de la richesse » le cinquième jour du premier mois lunaire peut être trouvé dans le recueil de romans de Feng Menglong intitulé Propos ordinaires d'avertissement au monde de la dynastie Ming : « Le cinquième jour du premier mois lunaire, il est une coutume à Suzhou selon laquelle chaque foyer sacrifie à cinq grands dieux, ceci consiste à brûler les Hong bao, des enveloppes contenant de l’argent afin que les dieux reçoivent cette offrande dans l’au-delà. ». Les chroniques locales de la fin de la dynastie des Ming recensent également des réceptions du dieu de la richesse le cinquième jour du premier mois lunaire.
Les jours d’accueil du dieu de la richesse varient
d'un endroit à l'autre : dans les provinces du Jiangsu et du Zhejiang, c'est le
cinquième jour du premier mois lunaire, tandis qu'à Pékin, « sacrifier au dieu
de la richesse » a lieu au deuxième jour du premier mois lunaire. Au fil
du temps, ces diverses manières consistant à accueillir le dieu de la richesse
ont progressivement été intégrées les unes aux autres pour former la coutume
populaire consistant à accueillir le dieu de la richesse le cinquième jour du
premier mois lunaire. Lorsque j'ai enquêté entre 2000 et 2010 à Shanghai,
Guangzhou, Wuhan et d'autres endroits, j'ai découvert que l’attitude des gens
dans leurs façon de pratiquer cette coutume était différente d’un lieu à
l’autre. À Shanghai avait une atmosphère d'accueil du dieu de la richesse assez
intense, tandis qu’à Guangzhou elle était relativement fade et celle observée
dans plusieurs temples de Wuhan a progressivement pris de l’ampleur.
De plus, les définitions du cinquième jour du premier mois lunaire sont différentes entre le nord et le sud. Liu Zhongyu, professeur à l'Université normale de Chine orientale, a un jour comparé dans son livre la notion du Nord de « casser les cinq » Po Wu à celle du Sud « d’accueillir le dieu de la richesse ». Il a estimé que dans le nord on chasse la « pauvreté », tandis que dans le sud on accueille la « richesse ». Mais qu’ils soient dans le Nord ou du Sud, tous les habitants aspirent à une vie prospère, seules leurs attitudes et leurs approches sont différentes.
Ceci est lié aux différences de développement régional entre le Nord et le Sud. Sur la peinture datant de la dynastie des Song du Nord intitulée Le long de la rivière pendant le festival Qingming, on perçoit intuitivement la vie du marché de cette époque : les vendeurs vont et viennent le long de la rivière Bianhe, de nombreux magasins et stands sont présents des deux côtés de la rue. Durant cette période, le centre de gravité économique de la Chine s'est déplacé vers le Sud, l'économie urbaine marchande s'est développée rapidement, les entreprises et les artisans ont continué à affluer en ville et la classe populaire a continué de croître. Pour cette dernière, les prières ne se contentent pas d'aspirer à « chasser la pauvreté », mais expriment directement leur quête de « prospérité ».
Pourquoi le nord de la Chine l'appelle-t-il « Po Wu » ?
À vrai dire, de nombreuses régions du Nord perpétuent la tradition de la société agricole d'autrefois, c'est pourquoi « balayer la misère » était le thème principal du cinquième jour du premier mois lunaire. Ceci est également lié au fait que dans le Nord, le cinquième jour du premier mois lunaire est appelé Po Wu qui signifie littéralement « casser les cinq ». En effet, les croyances des anciens instauraient de nombreux tabous pendant le Nouvel An et pensaient qu'après celui-ci, le cinquième jour du premier mois lunaire, ils recommenceraient à travailler dans les champs. C’est pourquoi depuis ce jour, Po Wu porte également la signification que les tabous sont « écartés », et que d’une manière globale il porte le fait de balayer la « misère » et toutes sortes de tabous.
Lorsque vous parliez de l’accueil du Dieu de la richesse le cinquième jour du premier mois lunaire, vous avez mentionné que l’image du Dieu de la richesse a des origines différentes. Comment l’image du Dieu de la richesse a-t-elle été établie ?
Pendant la dynastie Song, les gens achetaient des dessins représentant des « chevaux de fortune », qui figuraient le dieu de la richesse, et les affichaient chez eux. Cependant, il n’existe pas de description précise de l’image du dieu de la Richesse de cette période, et c’est sous la dynastie Yuan, qu’il apparaît en étant également connu sous le nom de Seigneur de la Fortune et de l'Étoile. Dans quatre drames écrits pendant la dynastie Yuan est mentionné le dieu des bénédictions, et si dans certains cas il est appelé « dieu de la richesse », son nom diffère en fonction des origines. Pendant les dynasties Ming et Qing, la croyance au dieu de la richesse et de la bénédiction s'est répandue dans le nord de la Chine, et certaines chroniques locales rapportent également l’existence de foires dans les temples du dieu de la richesse et de la bénédiction.
En plus du dieu de la richesse, il faut noter l’existence du personnage de Zhao Gongming et le groupe de cinq déités appelé Wutong Shen, qui occupent une fonction similaire. Le culte de Wutong Shen, qui trouve son origine en Inde et qui a ensuite été introduite en Chine, est progressivement devenu populaire à compter de la dynastie des Yuan jusqu’à celle des Ming. Les légendes et les croyances associées aux Wutong Shen font leur apparition sous la dynastie Tang. Pendant la dynastie des Song du Sud, de nombreux temples leur sont dédiés dans divers endroits du sud du fleuve Yangtze, qu’il s’agisse de petits temples de villages ou de grands temples Hongxuan.
Les Wutong Shen sont connus sous de nombreux et divers noms tels que Wuxian Shen, Wusheng Shen, Wuyang Shen, Wulu Shen, Huaguang, Ma Lingguan, etc. Le terme Wu chang contenu dans le titre de l'essai rétrospectif Wu chang hui écrit en 1926 par Lu Xun fait référence aux Wutong Shen. A Suzhou comme en d’autres lieux, les Wutong Shen sont désignés par le terme Wulang Shen et Wuge Shen. Ce changement de l’appellation Wutong est également lié au rejet de cette dernière par le confucianisme à cette époque.
Selon la légende, si les Wutong Shen peuvent rapporter de l'argent, celui-ci n'est pas donné en vain car des femmes sont demandées en retour, et par ailleurs, l’argent provient souvent d’un vol. Aux yeux des confucéens, les Wutong Shen qui enseignent l'adultère et le vol, sont des dieux maléfiques typiques. Bien sûr, derrière l’utilisation de voleurs comme le dieu de la richesse se cache le concept de conservation de celle-ci, qui considère le montant total de la richesse sociale comme un montant fixe : ce que je gagne l’autre le perds et ce que je perds l’autre le gagne. Les Wutong Shen ne sont pas des créateurs mais des porteurs de richesse et n’augmentent pas le montant total de la richesse sociale. Aux yeux des érudits confucéens, ils violent l’éthique confucéenne et corrompent la morale sociale.
Les érudits confucéens ont poussé le gouvernement à lancer de nombreuses campagnes pour interdire et détruire le mouvement Wutong. En raison de ce type de pression sociale, Wutong Shen a changé de nom pour se métamorphoser en « Shen Ge ». Par la suite est apparue la dénomination Wulu Caishen qui dans sa propagation a vu la connotation Wulu, signifiant littéralement cinq voies, évoluer Wuhang Zhengqi qui renvoie à la notion de « cinq éléments de justice » ainsi que la belle vision de « l’enrichissement tous azimuts ». Wulu Caishen conserve la fonction d’acquisition de richesse de Wutong Shen, tout en éliminant le vol, l'adultère et autres actes obscènes, et en ajoutant la connotation éthique de loyauté, de piété filiale, d'équité et de justice. La transformation de Wutong Shen a pris des centaines d'années, son image est sortie d’un malaise anti-éthique et antisocial, elle s’est achevée par le changement de nom et le perfectionnement de l’image de Wulu Caishen mais également son acceptation par l’ensemble de la société.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Photo du haut : Unsplash
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