Pourquoi les statues de Bouddhas sont-elles différentes à travers la Chine ?

1721036784498 China News Chai Yanfei, Shao Yanfei, Xiang Jing

Introduit en Chine avec le bouddhisme, l'art rupestre bouddhiste a été profondément intégré à la culture, aux pensées, aux croyances religieuses et aux émotions de la nation chinoise. Empruntant au cours des deux mille dernières années la voie de la « sinisation », cet art est une fenêtre ouverte sur le processus de sinisation du bouddhisme et favorise les échanges et l'apprentissage mutuel entre les civilisations du monde.

Quelles évolutions historiques l’art rupestre bouddhiste chinois a-t-il connu ? Quelles sont les différences entre les statues rupestres du nord et du sud ? Comment cet art relie-t-il les civilisations du monde ? Ma De, chercheur à l'Académie de Dunhuang et ancien directeur de l'Institut de recherche littéraire de Dunhuang, a récemment accepté une interview exclusive avec China News pour apporter des explications à ce sujet.

Grotte Hezhangyan 31 - Shunchang ⓒ Laetitia Rapuzzi

Pourriez-vous s'il vous plaît présenter l'origine et l’essence de l'art rupestre bouddhiste chinois ?

Il existe trois branches principales du bouddhisme chinois : le bouddhisme Han, le bouddhisme tibétain et le bouddhisme du Sud également connu sous le nom de Theravada. Ce que nous appelons souvent « le bouddhisme chinois » fait principalement référence au bouddhisme Han, qui a été introduit en Chine depuis l'Inde ancienne à travers les régions occidentales. Bien que la date d'introduction soit encore controversée, dynastie des Han occidentaux, dynastie des Han orientaux ou période de l’empereur Qin Shihuang, il est certain que cela remonte à deux mille ans.

L'art rupestre bouddhiste chinois est un trésor artistique au style unique de la nation chinoise. Dans un premier temps, il a hérité de la forme des statues bouddhistes indiennes auxquelles ont été intégrées au cours de son développement la culture, les pensées, les émotions et l'esthétique de la nation chinoise. Du point de vue actuel, cet art rupestre est le principal vecteur du bouddhisme chinois et de la culture bouddhiste. Il constitue non seulement un représentant exceptionnel de l'artisanat de la sculpture chinoise, mais aussi une partie intégrante de sa culture traditionnelle. Il porte en son sein des croyances bouddhistes et des pensées philosophiques, et dans le même temps, au cours de son évolution constante à travers les diverses périodes historiques, il s'est adapté aux besoins spirituels des gens et a joué un rôle positif dans la stabilité et le développement social.

Grotte Hezhangyan 14 - Shunchang ⓒ  Laetitia Rapuzzi

Après l’introduction de l’art bouddhiste rupestre en Chine, quel genre d’évolution historique a-t-il subi, et quels types de distribution et de caractéristiques a-t-il montré ?

L’art bouddhiste rupestre et le bouddhisme ont été introduits en Chine presque en même temps, ils ont traversé un long processus d’évolution. Les premières statues rupestres bouddhistes chinoises ont été introduites au Xinjiang depuis l’Inde via l’Asie centrale, elles se sont propagées d’ouest en est et du nord au sud du pays. Les premières grottes bouddhistes ont été fouillées vers la fin de la dynastie des Han de l'Est (20-220). Les plus représentatives comprennent la statue en relief du Bouddha assis sur le site funéraire de la falaise de Mahao à Leshan dans la province du Sichuan. Dans la province du Jiangsu se trouve la statue du Bouddha Sakyamuni au milieu des statues de la falaise de la montagne Kongwang à Lianyungang.

Pendant les dynasties du Nord et du Sud (420-581), les guerres étaient fréquentes. Les statues bouddhistes étaient utilisées par les dirigeants comme un moyen qui, pénétrant toutes les classes sociales, permettait de consolider le pouvoir politique et d’apaiser l’état d’esprit du peuple. Les grottes ayant des statues bouddhistes comme objet principal sont également devenues des lieux pour les activités sociales. Dans Printemps à Jiangnan composé par le célèbre poète Du Mu de la dynastie des Tang, le vers « Quatre cent quatre-vingts temples dans les dynasties du Sud, de nombreuses tours dans la brume et la pluie » décrit la scène où prédominaient les statues bouddhistes de cette époque. Les dynasties Sui et Tang ont mis fin à plus de 300 ans de divisions et les statues bouddhistes sont devenues plus prospères que jamais. Cependant, les changements fonctionnels survenus ont permis au monde bouddhiste d’être le reflet de la société humaine.

Sous la dynastie Tang (618-907), la société était stable, l'économie était prospère et les échanges culturels étaient fréquents. Les gens vivaient dans la paix et se complaisaient dans leur travail. Il existe un dicton relatif aux statues bouddhistes qui dit que : « le Bodhisattva est comme un enfant du palais ». En effet, les statues ont des visages ronds et dignes, des expressions solennelles et aimables, qui retranscrivent avec précision la beauté de l'époque prospère. L’avènement de la dynastie Song (960-1279) a vu le début de la promotion du confucianisme, ce qui a entraîné une restriction de la pratique du bouddhisme de la dynastie Han. Ainsi, dans une atmosphère laïque renforcée, s’est amorcé le déclin de la tendance à creuser des grottes et de facto la réduction du nombre de statues. Les bodhisattvas, les arhats et les serviteurs sont alors devenus des représentations de personnes réelles alors que dans le même temps la statuaire bouddhiste tibétaine a progressivement émergé. Les représentations rupestres ont peu à peu décliné sous les dynasties Yuan, Ming et Qing. Qu'il s'agisse du bouddhisme chinois ou du bouddhisme tibétain, les temples sont devenus les principaux lieux d'activités bouddhistes où les statues étaient vénérées. Tous ces faits nous permettent de comprendre combien le développement a été profondément influencé par l’intégration de la culture traditionnelle chinoise aux cultures multiethniques, ainsi que par les contraintes institutionnelles des dynasties passées.

Grotte Datong - Shunchang ⓒ Laetitia Rapuzzi

Si l’on porte un regard sur les statues de Bouddha, on constate une différence en termes d'embonpoint, de maigreur, de posture debout et de position assise selon qu’elles sont dans le sud ou dans le nord de la Chine. Comment expliquer ces différences ?

La sinisation du bouddhisme peut également être considérée comme la localisation et la socialisation du bouddhisme. Si l’on considère l'exemple de la statue du Bouddha Maitreya, on constate que cette forme porteuse du bouddhisme est une expression symbolique correspondant à la foi Maitreya de l'époque et à la région correspondante. Elle témoigne de l'évolution de la sinisation du bouddhisme et de son adaptation constante aux besoins spirituels du peuple chinois. Le proverbe « Le sol et l’eau font les hommes, les hommes font les dieux » illustre bien le fait que chaque type de statue de Maitreya reflète la société d’une époque et de ses besoins.

Un exemple typique est celui du Bouddha de Xinchang, le « plus grand Bouddha du sud du fleuve Yangtze », qui a été édifié il y a plus de 1 500 ans. Cette statue, sculptée par trois générations de moines et dont la réalisation a nécessité 30 ans de travail, reste à ce jour l’unique vestige des premières statues rupestres du sud. Le Bouddha est représenté avec de beaux os et des traits clairs, un front large, des sourcils et des yeux fins et deux oreilles aux lobes qui pendent sur les épaules, reflétant ainsi le monde intérieur calme, sage et transcendant du Bouddha. À cette époque, au nord, le grand Bodhisattva Maitreya apparaît avec les jambes croisées, alors qu’au sud il est assis en position du lotus signifiant que Maitreya a accompli la « réparation d’un lieu dans une vie », c’est-à-dire qu’il a atteint le niveau le plus élevé du Bodhisattva, et donc la position du Bouddha après avoir terminé sa vie. En effet, à cette période, alors que le nord est déchiré par la guerre, la société du sud est plus stable, plus prospère et plus proche de la société idéale. Les moines ont pris en considération la situation du moment et ont construit la statue du Bouddha Maitreya telle qu'ils l'envisageaient dans la prochaine vie de ce dernier.

D’une manière générale, le bouddhisme a été introduit dans le sud de la Chine plus tard que dans le nord, mais il s’y est développé plus rapidement. Ce fut particulièrement le cas pendant les dynasties du Sud et du Nord (420-581). Alors que les statues rupestres étaient populaires, le nord et le sud étaient politiquement opposés, leurs différences géographiques et culturelles étaient évidentes, ce qui a conduit au développement différencié de cet art et de la croyance en Maitreya. Ajoutons également que le style des statues est également lié aux croyances, aux préférences artistiques, au degré de pouvoir et au niveau de savoir-faire du propriétaire de la grotte dans laquelle elles se trouvaient.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : Grotte Hezhangyan 45 - Shunchangⓒ Laetitia Rapuzzi

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