
Le sinologue allemand Christoph Harbsmeier décrypte la philosophie du rire et de l’humour dans la culture chinoise
Pendant les dynasties Wei et Jin, le recueil de blagues Xiaolin (« Forêt du rire ») a vu le jour. Pendant la dynastie des Song du Nord, cinq volumes d’anecdotes « railleuses » ont été compilés dans le Taiping Guangji (« Vaste recueil de l’ère de la grande paix »). Sous les dynasties Ming et Qing est né le Xiaolin Guangji (« Vaste recueil de la forêt du rire »). Depuis l’Antiquité, le vocabulaire lié au rire n’a cessé d’évoluer dans la langue chinoise.
Le sinologue allemand Christoph Harbsmeier a récemment accordé une interview exclusive à China News dans laquelle il partage ses connaissances sur l’histoire culturelle du rire en Chine et la philosophie de la langue chinoise dans une perspective comparative. Il interprète pour nous la philosophie que sous-tendent le rire et l’humour dans la culture chinoise.
Une collection de plus de 700 façons de rire en Chine
Christoph Harbsmeier aime qu’on l’appelle « le petit Christoph qui aime rire ». Lors d’une conférence, il a présenté avec le plus grand plaisir les calligraphies qu’il a réalisées l’année de Jiachen (d’après le calendrier lunaire, elle correspond aux années 1904, 1964, 2024...), intitulées « Il y a du vrai dans le rire » et « À la lumière du soleil couchant de ma folie scandinave, pouf, le monde craque ».
« La culture du rire est extrêmement riche en Chine. » Christoph Harbsmeier a pris un malin plaisir à passer du temps à compiler un répertoire de mots chinois anciens contenant le caractère « xiao » (rire), comme « xiao » (rire), « daxiao » (rire aux éclats), « chixiao » (railler, rire de), « xixiao » (rire joyeusement), « xixiao » (se rire de), « jixiao » (rire de, ridiculiser), « guaixiao » (rire étrange), « duxiao » (rire à part soi)... ainsi que quelques onomatopées. Il a déjà recensé plus de 700 façons de rire en Chine.
Christoph Harbsmeier a collecté et classé ces différents types de rire, puis il a analysé l’évolution et le développement du vocabulaire du rire, du chinois ancien au chinois moderne. Quand il parle des différentes sortes de rire qui existent, Christoph Harbsmeier tantôt se caresse la barbe, tantôt expose et développe ses recherches le cœur débordant de joie, avec un sourire d’excuse, un sourire arrogant, un sourire timide, un sourire jusqu’aux oreilles, un sourire amical... La liste est longue. Il souligne que depuis l’Antiquité, un nombre croissant de mots chinois ont évolué à partir du caractère « xiao » et que, « lorsque l’on veut parler du “rire” en chinois, il faut choisir le bon mot parmi des centaines. La richesse de la culture chinoise du “rire” surpasse toutes les autres langues que je connais. »
D’après Christoph Harbsmeier, le rire est une manifestation culturelle « involontaire » de la psychologie d’une personne et les phénomènes associés peuvent refléter certaines caractéristiques propres à une nation. Par conséquent, les recherches sur le rire représentent une part importante des études culturelles.
« Le rire est une question philosophique profonde. » Selon Christoph Harbsmeier, qu’il s’agisse d’une tragédie grecque antique centrée sur l’autocritique et la satire ou du recueil de blagues Forêt du rire, qui a joué un rôle fondateur dans l’histoire de la littérature chinoise, tous contiennent des réflexions philosophiques.
Christoph Harbsmeier a traduit la préface du recueil de blagues Trésor du rire de l’écrivain chinois Feng Menglong de la dynastie Ming et rappelle que celui qui fait une blague se moque aussi de lui-même. Le rire est indissociable de la philosophie de la vie et l’auteur d’une blague dépeint alors une philosophie de vie qui transcende les us et coutumes, ainsi que les lois sérieuses.
En comparant les philosophies orientales et occidentales du rire, nous pouvons constater que même si les cultures du rire sont très différentes, il existe néanmoins des points communs cognitifs.
La philosophie chinoise ancienne est très « humoristique »
Christoph Harbsmeier prend toujours la philosophie comme point de départ pour étudier la culture chinoise. Puisque l’humour est souvent associé au rire, il recherche constamment « l’humour » dans le chinois ancien et explore les aspects « amusants » et profonds de la culture chinoise.
D’après Christoph Harbsmeier, « parmi les Cent écoles de pensée, le plus humoristique est Zhuangzi. » Dans l’histoire de la culture chinoise, presque personne n’admet avoir été influencé par Zhuangzi. Pourtant, du point de vue de l’importance culturelle et de l’influence académique, l’impact de Zhuangzi a été crucial. « Réfléchir aux problèmes avec aisance et essayer désespérément de les résumer sont deux modes de vie complètement différents. »
Dans les recherches de Christoph Harbsmeier, Han Feizi est aussi un véritable « philosophe de la blague », qui a compilé beaucoup d’histoires drôles, avec le même panache et le même style que Zhuangzi. Les œuvres classiques Gongsun Longzi, Le Commentaire de Zuo, Les Entretiens de Confucius, Les Annales des Printemps et Automnes de Lü et Les Stratagèmes des Royaumes combattants sont aussi pleines d’humour. « Le sens de l’humour découle d’une critique philosophique qui se manifeste par des questions sur soi-même, sur les autres et sur des choses que l’on considère comme acquises. Pour moi, l’humour est étroitement lié au niveau de connaissance. »
En 1990, Christoph Harbsmeier a publié un article dans le Harvard Journal of Asiatic Studies, dans lequel il explore le côté humoristique de Confucius dans Les Entretiens. Il écrit que le sourire est partout dans cet ouvrage. Christoph Harbsmeier apprécie le sens de l’humour et le style décontracté de Confucius. Il perçoit chez le penseur une forme d’humour affable, subtile et très communicatif qui n’est pas incompatible avec une douce ironie ou de profondes convictions morales.
J’adore le monde sensible et la drôlerie infinie des œuvres de Feng Zikai
Dans la vie, Christoph Harbsmeier aime collectionner des livres de blagues et partir en quête de bandes dessinées au marché des antiquités de Panjiayuan, à Pékin. Mais ce qu’il préfère par-dessus tout, c’est collectionner les œuvres de Feng Zikai. « Feng Zikai a eu une profonde influence sur moi. J’ai collecté presque toutes ses œuvres et j’aime aussi lire sa prose. Je suis très friand des versions originales. »
De 1973 à 1976, Christoph Harbsmeier a enseigné la philosophie et la logique dans une université malaisienne, où des étudiants lui ont recommandé les œuvres de Feng Zikai. Depuis lors, il s’intéresse à ce grand artiste et au monde émotionnel qu’il dépeint.
Christoph Harbsmeier estime que son affinité prédestinée avec Feng Zikai est merveilleuse. Depuis, il a publié successivement Feng Zikai – un réaliste au cœur de bodhisattva ou Rencontre entre le socialisme et le bouddhisme – le caricaturiste Feng Zikai.
« La beauté chez Feng Zikai réside dans le fait que ses dessins ont un style proche de l’homme contemporain. Ils sont pleins d’humour et mettent plus en avant une hauteur d’esprit qu’une technique. » Sous le pinceau de Feng Zikai, Christoph Harbsmeier ressent un monde sensible. Il admire beaucoup la sagesse naturelle directement exprimée dans ses peintures, ainsi que la pensée philosophique agréable et calme qu’elles proposent, qui reflètent une sorte de culture des lettrés.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
Commentaires