
« Black Myth : Wukong », un succès qui révèle l’émergence du soft power chinois à travers le jeu vidéo
Sorti en août 2024, Black Myth : Wukong est développé par Game Science, un studio chinois. Avec plus de 10 millions de copies vendues en quelques jours, ce jeu impressionne non seulement par ses graphismes, mais aussi par sa capacité à introduire la mythologie chinoise au sein de l’industrie vidéoludique mondiale. Ce phénomène révèle un potentiel culturel inattendu, au croisement du divertissement et du soft power.
Un personnage simiesque, dans un monde sombre teinté de bouddhisme et de taoïsme. Sur le net, impossible de passer à côté avec la campagne marketing massive qui accompagnait sa sortie mondiale. Le 19 août 2024, le studio chinois Game Science se faisait connaître à l’international avec Black Myth : Wukong, un jeu d’action-RPG de type souls-like. Ce genre, popularisé par des titres comme Dark Souls, se caractérise par un haut niveau de difficulté, des combats stratégiques exigeants et des boss spectaculaires dans un monde souvent sombre. Le jeu s’inspire du célèbre roman chinois Le Voyage en Occident, chef d’œuvre littéraire du XVIe siècle, et l’un des « Quatre Grands Romans classiques chinois », qui met en scène Sun Wukong, le roi singe.
À peine lancé, le jeu a rencontré un succès massif avec plus de 10 millions d’exemplaires vendus en 3 jours et 3 millions de joueurs simultanés sur des plateformes comme Steam et PlayStation. Ce jeu classé AAA, une appellation qui désigne des jeux développés avec des budgets très élevés et une qualité de production comparable aux blockbusters du cinéma, marque un tournant dans la manière dont la Chine exporte sa culture à travers le jeu vidéo.
Des fans posent lors du salon Gamescom dédié au jeux vidéo à Cologne en Allemagne, fin août 2024. © Zhang Fan/Xinhua
Un succès commercial qui dépasse les attentes
Black Myth : Wukong a rapidement battu des records de vente, atteignant plus de 10 millions de copies vendues en trois jours après sa sortie. Mieux, le 10 septembre, Sony dévoilait ses chiffres sur PlayStation : le roi-singe se hissait au top des téléchargements aux États-Unis et en Europe ! Le jeu, développé sur la technologie de l’Unreal Engine 5, se distingue par des graphismes d’une qualité exceptionnelle, des animations fluides, et des combats difficiles contre des ennemis inspirés de la mythologie chinoise. Ce n’est pas seulement un jeu bien conçu, mais aussi une véritable vitrine technologique pour l’industrie chinoise du jeu vidéo. Enfin, le succès de Black Myth est lié à une expérience nouvelle et excitante dans un monde tout à fait nouveau aux yeux du joueur occidental : celui du panthéon populaire chinois, peuplé de divinités bouddhistes et de créatures mythiques taoïstes. Le jeu a même été salué par Elon Musk, qui l’a qualifié « d’impressionnant » dans un tweet remarqué en Chine.
Projet entamé en 2018, Game Science a investi des ressources conséquentes pour rivaliser avec les standards internationaux (700 millions de dollars US selon Bloomberg). De plus, le jeu s’est imposé sur le marché mondial sans bénéficier de l’appui traditionnel d’un éditeur occidental majeur, un fait rare pour un jeu chinois.
Ce succès commercial montre que l’industrie chinoise du jeu vidéo, longtemps perçue comme dominée par des jeux mobiles ou free-to-play, est capable de produire des titres AAA compétitifs. Game Science a prouvé qu’il était possible de créer un jeu chinois ambitieux qui capte l’attention mondiale, au même titre que les plus grands titres occidentaux ou japonais.
Un soft power culturel inattendu
L’impact culturel de Black Myth : Wukong va bien au-delà de son succès financier. Le jeu place la mythologie chinoise au centre de l’expérience vidéoludique mondiale. Sun Wukong, le héros principal, est une figure mythique bien connue en Chine, mais rarement mise en avant à une telle échelle à l’international. En réinterprétant cette légende pour un public global, Game Science joue un rôle clé dans la diffusion de la culture chinoise, contribuant ainsi à un phénomène de soft power voulu ou non.
La beauté de cette initiative réside dans le fait que le jeu ne cherche pas à imposer un message culturel. L’immersion dans l’univers de Sun Wukong est naturelle, fluide, et captivante pour les joueurs internationaux. Là où d’autres formes de divertissement, comme le cinéma, peuvent parfois sembler trop didactiques, le jeu vidéo offre une expérience interactive qui permet une découverte plus subtile et personnelle d’une culture étrangère.
Capture du jeu vidéo. © Game Science
Le jeu vidéo, nouvelle frontière du soft power
L’industrie du jeu vidéo est devenue un nouveau vecteur de soft power à travers le monde, et Black Myth : Wukong en est un parfait exemple. Ce succès montre que les jeux vidéo ne sont plus de simples produits de divertissement, mais qu’ils peuvent être un moyen de renforcer l’influence culturelle d’un pays. Alors que le Japon a dominé ce domaine avec des icônes comme Mario ou Pokémon, la Chine semble maintenant prête à suivre la même voie grâce à des personnages comme Sun Wukong.
Ce phénomène est d’autant plus frappant que la diffusion de cette culture se fait de manière organique, sans intervention publique directe. Contrairement à certains films ou programmes culturels soutenus par des financements publics, Black Myth : Wukong est une initiative privée qui réussit à transformer un héros chinois en figure mondiale. Cela montre que la Chine peut rivaliser avec les grandes puissances culturelles dans l’arène mondiale du divertissement, non pas par une stratégie explicite de soft power, mais grâce à des produits créatifs et ambitieux, capables de capturer l’imagination du public.
Statue du panthéon taoïste chinois dans un temple à Jincheng dans le Shanxi, qui a inspiré le personnage « Kang Jinlong » dans le jeu. © Patrick20242023, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons.
Bref, Black Myth : Wukong est plus qu’un simple jeu vidéo à succès. Il illustre la manière dont la culture chinoise peut s’exporter à travers des initiatives innovantes, utilisant le médium du jeu vidéo comme un puissant vecteur d’influence culturelle. La Chine est prête à s’imposer comme un acteur majeur dans l’industrie vidéoludique mondiale.
Pour aller plus loin…
Sun Wukong - Le Roi Singe
Sun Wukong est le protagoniste principal du célèbre roman Le Voyage en Occident (Xi You Ji), écrit au XVIe siècle par Wu Cheng’en. Connu pour sa personnalité espiègle et rebelle, Sun Wukong est l’un des personnages les plus iconiques de la mythologie et de la culture populaire chinoises.
Né d’un rocher sacré, Sun Wukong est doté de pouvoirs surnaturels. Il peut prendre 72 formes différentes, voler sur des nuages, et possède une force surhumaine. Il manie aussi un bâton magique, le Ruyi Jingu Bang, capable de changer de taille à volonté. Il a aussi la capacité de cloner son propre corps grâce à ses poils.
Après avoir semé le chaos dans le Ciel, Sun Wukong est emprisonné sous une montagne par Bouddha. Il est ensuite libéré pour accompagner le moine Tang Sanzang dans une quête visant à rapporter des écritures bouddhistes sacrées de l’Inde vers la Chine. Sun Wukong incarne à la fois la rébellion contre l’ordre établi et la quête de la sagesse et de la rédemption, ce qui fait de lui un personnage profondément complexe.
Les Quatre Grands Romans classiques chinois
Ces œuvres littéraires, écrites entre le XIVe et le XVIIe siècle, sont considérées comme les plus influentes de la littérature chinoise.
• Le Voyage en Occident (Xi You Ji), de Wu Cheng’en (publié au XVIe siècle). Ce récit fantastique narre l’aventure de Sun Wukong, du moine Tang Sanzang et de leurs compagnons lors de leur quête pour rapporter des écritures bouddhistes. Il explore des thèmes religieux, philosophiques et surnaturels.
Le roman illustre l’importance de la rédemption et de la discipline spirituelle, tout en introduisant des personnages fantastiques devenus mythiques.
• Les Trois Royaumes (Sanguo Yanyi) de Luo Guanzhong (publié au XIVe siècle). Cette épopée historique retrace la fin de la dynastie Han et
la période des Trois Royaumes (220-280). Le récit, riche en intrigues politiques et batailles militaires, est centré sur les luttes de pouvoir entre les royaumes de Wei, Shu, et Wu. Ce roman est vénéré pour ses stratégies militaires et ses personnages héroïques, et il exerce une influence durable sur la culture et l’histoire chinoises.
• Au bord de l’eau (Shui Hu Zhuan) de Shi Nai’an (publié au XIVe siècle). Ce récit d'aventures suit un groupe de 108 hors-la-loi qui se rebellent contre
le gouvernement corrompu de la dynastie Song.
Ils forment une communauté installée dans les marécages du mont Liang et se battent pour la justice sociale. L’œuvre explore les thèmes de la révolte, de la justice et de la moralité, tout en présentant des personnages aux qualités et défauts bien humains.
• Le Rêve dans le Pavillon Rouge (Hong Lou Meng) de Cao Xueqin (publié au XVIIIe siècle). Ce roman se concentre sur la vie de la famille Jia, une famille aristocratique en déclin, et ses nombreux personnages, tout en explorant les relations amoureuses, la destinée et la corruption de l’élite. Considéré comme le chef-d’œuvre de la littérature classique, ce roman est une réflexion profonde sur la société chinoise, les émotions humaines et les luttes intérieures.
À propos de Game Science
• Date de fondation : 2014
• Fondateur et patron : Feng Ji, ancien employé de Tencent Games, est l’un des principaux fondateurs du studio. Il a lancé Game Science pour se concentrer sur des projets plus ambitieux et créatifs, loin des modèles de jeux mobiles traditionnels en Chine. Game Science est une société privée et n’est pas cotée en bourse.
• Siège : Hangzhou, Chine.
• Principaux succès :
- Art of War : Red Tides (2016) : Un jeu de stratégie en temps réel qui a permis à Game Science de se faire connaître dans l’industrie.
- Black Myth : Wukong (2024) : Le premier jeu AAA du studio, un action RPG basé sur la mythologie chinoise, qui a rencontré un succès mondial avec plus de 10 millions de ventes dans les jours suivant sa sortie.
Photo du haut : capture du jeu vidéo. © Game Science
Commentaires